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Une affaire de principe, film d’Antoine Raimbault

2012. Le commissaire européen à la Santé, le Maltais John Dalli, est brutalement « démissionné » par le président de la Commission de Bruxelles de l’époque, Manuel Barroso : Dalli aurait réclamé aux lobbys de l’industrie du tabac des millions d’euros pour affaiblir le projet de directive anti-tabac qu’il devait présenter quelques jours plus tard, voire intercéder pour faire admettre le « snuf », une sorte de tabac en sachet à mettre en bouche, un peu comme le tabac à chiquer, autorisé en Suède et interdit en Europe. Le projet – paquets de cigarettes neutres, photos chocs sur tous les paquets, projet devenu effectif depuis – est repoussé sine die.

José Bové, élu en 2009 député européen sur la liste du parti Europe-Écologie – devenu peu après Europe-Écologie-Les Verts –, est informé que Dalli, personnellement impliqué dans la lutte contre le tabagisme, est certainement victime d’un coup monté des lobbys du tabac, sur fond d’implication du chef de l’Olaf (Office européen de lutte anti-fraude) et de Barroso lui-même. Malgré ses désaccords avec Dalli, il va, avec son équipe, mener l’enquête…

Le film met bien en évidence l’opacité du fonctionnement des institutions européennes – l’Olaf se refuse à publier le rapport sur lequel il s’appuie pour accuser Dalli, le président du Parlement européen, le social-démocrate Gustav Schultz, refuse la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire, Barroso refuse de répondre aux questions des parlementaires ou des journalistes, etc. De même qu’il montre à quel point les lobbys s’agitent autour des directives européennes qui gênent ceux qu’ils représentent. Rien de bien surprenant, certes, mais voir tout cela étayé est toujours instructif, surtout à quelques semaines des élections européennes.

Finalement, un an plus tard, la directive anti-tabac est votée à l’unanimité par le Parlement européen et les paquets de cigarettes prennent l’allure que nous leur connaissons désormais. Le directeur de l’Olaf est obligé de démissionner et, lorsque Barroso quitte la présidence de la Commission européenne, c’est pour rejoindre le célèbre groupe financier Golden-Sachs. Le spectateur est bien convaincu que Dalli a été l’objet d’un complot des lobbys couvert en haut lieu, même si son recours devant la Cour de justice européenne a tout de même été rejeté.

Si l’on prend le film comme un thriller, il est assez réussi, avec presque tous les ingrédients du genre : voyages avec vues en surplomb des villes visitées pour les besoins de l’enquête, dossiers dérobés, couloirs interminables et rencontres dans les ascenseurs, et même course-poursuite dans une grande gare. Le contraste entre les façades aérées des bâtiments des institutions européennes à Bruxelles abondamment filmées et l’opacité de ce qui s’y trame est frappant. Un thriller qui ne finit pas trop mal : si les gentils ne l’emportent pas tout à fait, les méchants sont confondus et le bien l’emporte en fin de compte puisque la lutte contre le tabagisme marque des points.

Bâti sur des faits réels, le film tient un peu trop de l’hagiographie vantant les mérites d’une icône des écologistes, José Bové, dans le rôle du chevalier blanc. Les lobbys continuent d’exister, l’opacité règne toujours, et pas seulement dans les institutions européennes. Les trusts du tabac continuent à pourrir la santé de milliards de personnes et les directives européennes n’ont jamais remis leur existence en cause, seule façon d’en finir avec eux.

Mais le film décrit une petite victoire, partielle, provisoire, mais victoire quand même sur les dirigeants des trusts. Alors, ne boudons pas ce petit plaisir !

Jean-Jacques Franquier