
Autismes, les combats d’une vie, un podcast sur France Culture
La série documentaire (LSD) de France Culture s’est penchée sur l’autisme en quatre épisodes d’une heure chacun, une initiative salutaire étant donné le peu de connaissances que nous avons collectivement sur le sujet. Voulant déconstruire le stéréotype de l’autiste savant véhiculé dans les films et séries (Rain Man, Good Doctor, etc.), le podcast n’évite pourtant pas de nombreux biais.
L’autisme correspond à un développement neurologique particulier1. On peut parler des hypersensibilités qui induisent des aversions à des odeurs, intensités lumineuses, bruits forts ou contacts avec certaines matières. La communication verbale peut être laborieuse et apprise tardivement et des retards intellectuels peuvent être présents. Une incompréhension des normes sociales et des difficultés à s’adapter aux imprévus sont courantes. Elles ne sont pas toutes présentes avec la même intensité chez chaque personne, ce qui remet en cause les concepts d’autistes légers ou profonds. Il y a en fait plusieurs curseurs. Ces spécificités, parfois associées à des comorbidités comme l’épilepsie, rendent la vie épuisante aux autistes qui naviguent dans un monde peu adapté.

La série documentaire veut raconter chronologiquement la vie des personnes autistes. Sur les premiers mois de leur vie, elle interroge des parents racontant leur solitude et leur désarroi d’avoir des enfants « différents », qui ne les regardent pas, ont des retards de communication, sont réfractaires aux contacts physiques, jusqu’au diagnostic qui les déculpabilise. Sur la scolarisation, on entend que les professeurs sont débordés avec de tels bambins qui font des crises en cours, ont des retards d’apprentissage et qu’il faudrait plus de moyens (AESH, éducateurs spécialisés notamment). Le problème serait alors uniquement le manque de financement. Et c’en est un2, mais les méthodes d’apprentissage ne sont guère discutées par le podcast. Or, les thérapies parfois présentées dans le documentaire forcent les autistes à se normaliser. Regarder dans les yeux est imposé alors que cela demande un gros effort de concentration à de nombreux autistes et n’est en soi pas utile. Les gestes « inhabituels » comme secouer ses bras (flapping) qui servent à exprimer ou réguler leurs émotions sont également proscrits. On assiste à une thérapie ABA (Applied Behavioral Analysis) pendant laquelle un enfant est dressé à coup de friandises à avoir un comportement « normal ». Lorsque cet enfant peut enfin s’exprimer, il parle de sa difficulté à être différent dans notre monde. Sur l’apprentissage, les autistes développent des intérêts spécifiques forts sur certains sujets. Ils sont sources de joies quand ils peuvent être assouvis. Ces intérêts peuvent alors être moteurs, comme dans le cas intéressant d’un enfant autiste, réticent à lire pendant des mois et qui ne s’y met que pour comprendre les dialogues de ses jeux vidéos, quand cela fait sens pour lui. Malgré plusieurs situations similaires, il est dommage que l’émission ne formule pas explicitement cette notion d’intérêts spécifiques. De fait, la parole a été donnée surtout aux proches ou accompagnants, moins aux personnes autistes, dont la majorité est tout à fait capable de revenir sur son expérience d’enfant. La description donnée de l’autisme vient d’un point de vue extérieur et est donc incomplète, de même pour sa prise en charge. On peut également questionner l’absence d’intervention de militants autistes antivalidistes qui ont du recul sur leur parcours et peuvent donc le remettre en cause (la « thérapie » ABA est fréquemment une de leurs cibles3).
En outre, face aux crises autistiques, la série aurait pu expliquer que puisqu’elles viennent de l’exaspération de vivre dans un monde agressif pour les sens des personnes autistes, imprévisible et fatigant, le rôle des accompagnants devrait consister à en identifier les causes pour aménager leur environnement autant que possible. En l’état, leur inclusion reste un problème de société, le taux de chômage les concernant dépassant 75 %4.
Enfin, au cours du dernier épisode, une éducatrice revient avec pertinence sur leur incompréhension des normes sociales et nous invite, non sans malice, à questionner les conventions qui norment nos relations. Vers la toute fin du documentaire, une critique de taille émerge enfin, formulée par une formatrice autiste. Et si, pour que les personnes autistes aient des vies décentes, elles ne devaient pas plutôt partager elles-mêmes leurs points de vue – c’est souvent plus possible que ça en a l’air – sur leurs fonctionnements et sur la société, afin que cette dernière comprenne davantage leurs besoins ?
Simone Teutasi
1 https://cle-autistes.fr/politique/autisme/
2 https://npa-revolutionnaires.org/inclusion-scolaire-toutreste-a-faire/
3 https://cle-autistes.fr/politique/aba/
4 https://www.leparisien.fr/economie/emploi/chomage-les-autistes-grandsoublies-du-marche-de-l-emploi-28-12-2020-8416410.php