Nos vies valent plus que leurs profits

Le vaisseau des morts, de B. Traven

Le vaisseau des morts, B. Traven
Libertalia, réédition 2024, 376 p., 10 €

 

 

B. Traven, militant socialiste de la première partie du 20e siècle, n’a pas son pareil pour dépeindre l’exploitation et la domination à l’œuvre dans la société de classe : comment un système broie les travailleurs, ce qu’est l’exploitation au quotidien, mais aussi les révoltes plus ou moins désespérées de ceux d’en bas. Difficile de fermer un de ses livres sans être en colère et avoir envie de changer le monde.

Dans Le vaisseau des morts, publié en 1926, il s’attaque à l’absurdité des frontières et à leur utilité pour la classe dominante. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, un marin américain rate le départ de son bateau du port d’Anvers. Bloqué au port sans son livret de marin1, il n’est plus possible pour lui de s’embarquer sur un autre navire. Pour la Belgique, pas question de garder une paire de bras inutile dans le pays, alors on repasse le problème au voisin. De quoi se poser des questions : « Contre qui exige-t-on des passeports et des visas ? Contre les travailleurs. Contre qui s’exercent les restrictions à l’immigration […] ? Contre les travailleurs. » Entre expulsion et vagabondage, un long voyage le mènera d’un pays à l’autre jusqu’aux côtes espagnoles. L’occasion de se heurter à l’inflexibilité des États tout autant qu’à la solidarité de ceux qui n’ont rien. « Avoir faim, c’est humain. Avoir des papiers, ça ne l’est pas, ça n’est pas naturel. Toute la différence est là. »

C’est finalement sur un navire fantôme, qui ne navigue qu’en attendant le naufrage et donc la prime d’assurance pour l’armateur, que notre marin retrouvera l’embauche. Pas besoin de regarder les papiers des marins quand le navire est condamné. C’est l’occasion pour B. Traven de décrire les conditions de travail des soutiers2, ces damnés de la mer. Et pour notre personnage, de lutter contre un système qui veut l’attirer tout au fond. « L’État lui-même doit veiller à ce que les compagnies restent compétitives. C’est pourquoi il ne se soucie pas que les hommes le soient. Ils ne peuvent en effet l’être tous les deux en même temps. »

Norbert Moravcik