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Y aura-t-il des trains à Noël ?

Des camarades de la branche transport du NPA se sont entretenus avec deux cheminots en grève en cette avant-veille de Noël. Ali, contrôleur TER à Lille, et Benoît, aiguilleur à Austerlitz, tentent de rétablir quelques vérités face au torrent de fake-news anti-grève et anti-cheminots.

 

NPA : Votre grève est le feuilleton de ce Noël. Live sur les chaînes d’info en continu, rebondissements… En cette matinée du 23 décembre, où en est-on ?

Ali : Ce matin les syndicats ont signé l’accord proposé par la direction hier soir. Ils ont donc levé le préavis pour le week-end du nouvel an. Le collectif national ASCT (CNA) les suit et nous appelle à cesser le mouvement. Ça n’empêche pas qu’on est nombreux en grève ce matin. À Lille, on a tenu une assemblée générale de grévistes à 10 h 30. On a voté de maintenir le mouvement le week-end prochain : 24 pour, 2 contre et 2 abstentions. La grève appartient aux grévistes !

Ça fait quelques jours qu’on sent bien que la pression de la direction et du gouvernement s’exerce sur les directions syndicales et sur le CNA. Les syndicats n’ont jamais appelé à cette grève. Ils ont posé des préavis et se sont rendus aux négociations. Le CNA, après la grève très réussie du week-end du 3 décembre, a lancé l’idée de grève pour les grands départs pendant les fêtes. Mais depuis une semaine, ils lâchent le guidon. Ils ont organisé une consultation sur Facebook en proposant à mots couverts d’annuler la grève. Le résultat provisoire n’allait pas dans leur sens : les contrôleurs la voulaient cette grève. Le CNA a fermé sa page – sous prétexte qu’elle aurait été piratée ! Et il a refilé la patate chaude aux syndicats. La direction de la CGT est restée très hostile à ce collectif – méfiante vis-à-vis de toute initiative de la base. Sud a organisé une consultation interne qui a recueilli une courte majorité pour maintenir la grève – mais la direction fédérale n’a pas communiqué, car ce résultat n’allait pas dans son sens. La CFDT, par la voix de Laurent Berger, a appelé à cesser ce mouvement qu’elle n’a pas du tout construit, exactement comme pendant la grève des raffineurs le 18 octobre.

Ces atermoiements ne sont pas du tout le reflet de l’état d’esprit à la base. Mes collègues sont en colère contre cette attitude du CNA et des directions syndicales. C’est nous qui décidons ! Face au chantage de la direction, on s’est dit « même si on perd tout, même si on n’a rien, on va jusqu’au bout ! » Le problème, c’est que sans organisation démocratique du mouvement à l’étape actuelle, les discussions tournent en boucle sur l’attitude des directions syndicales. Il y a quelque chose qui me rappelle les Gilets jaunes dans cette grève !

Benoît : On observe le même genre de phénomène à l’aiguillage. Le 25 mai dernier, la direction de Sud avait annulé au dernier moment une grève qui s’annonçait bien suivie dans notre secteur. Une tactique assez désarmante : multiplier les déclarations d’intention de grève pour faire pression, puis lever les préavis. Ça peut marcher une fois ou deux… et puis ça tourne au bluff, et dans la lutte de classes, le bluff ne pardonne pas.

Le week-end dernier, notre colère a refait surface. Dans plusieurs régions, dont Bordeaux, Montparnasse et chez moi à Austerlitz, on est allé jusqu’au bout de la grève. Sur la zone de mon poste d’aiguillage, tous les collègues, syndiqués et non syndiqués, ont tourné, ils sont devenus militants de la grève et ça a payé : le mouvement a été très suivi les 16 et 17 décembre.

Ce jour-là, réunis en assemblée générale, on a constaté que la petite hiérarchie nous avait remplacé, ce qui a diminué l’impact de notre grève. L’AG a voté de remettre ça avec les contrôleurs une semaine plus tard. Si les chefs veulent travailler à notre place, alors qu’ils bossent à Noël et pendant le jour de l’an. Nous on les passera en famille pour une fois !

NPA : Vous avez connu toute l’année 2022 cette situation de « guérilla sociale » à la SNCF, avec des mouvements locaux, par métiers, quelques journées d’action nationales bien encadrées, la direction qui manœuvre, lâche des primes, des miettes sur les salaires… un bras de fer en cours et qui va certainement se prolonger.

Ali : Je suis contrôleur depuis dix ans. Ce mois-ci j’ai touché 1 900 euros nets en comptant les primes. Je découche une fois par semaine pour le boulot. Je vis en horaires décalés. Cette année j’ai travaillé 32 week-ends. Faute d’embauches, les cadences n’arrêtent pas d’augmenter. On passe souvent de neuf à huit heures de repos entre deux journées de travail. On n’a même pas dix minutes entre deux trains pour aller aux toilettes.

La situation est devenue intenable. En fin de semaine, les collègues posent des journées de grève, car ils ne tiennent plus. C’est ce qu’on appelle entre nous les congés payants ! On constate que les erreurs de sécurité augmentent et c’est le plus inquiétant.

Benoît : À l’aiguillage on sent une forte colère à la base qui porte sur les effectifs et sur les salaires. On travaille en trois-huit mais avec des semaines de travail décalées. Cette année, on a battu les records de repos « secs », c’est-à-dire de jours de repos isolés, et de périodes de travail de six jours. On fait les comptes en fin d’année et on est nombreux à ne pas avoir eu le nombre de repos doubles auxquels on a droit. Les taquets réglementaires, déjà bien à notre désavantage, ont été explosés. Sur mon secteur, selon les chiffres de la direction, il y a 40 postes vacants sur 650.

La direction dit vouloir embaucher mais elle bluffe. Elle a fermé la plupart des centres de formation d’aiguilleurs, donc ils ne pourraient même pas accueillir un afflux. De toutes façons les candidats ne se précipitent pas : horaires et salaires, ça ne colle pas !

Depuis le début de l’année on a quand même mis la direction sur le reculoir, c’est aussi ça qui donne de la force à nos mouvements. Elle lâche des miettes totalement insuffisantes, mais elle lâche : à l’aiguillage on a obtenu, en plus des mesures générales à la SNCF, une prime pérenne de 60 euros par mois et le décompte de dix minutes de travail pour les remises de service qui n’étaient pas payées jusque-là. Ça fait des années qu’on revendiquait ça, mais bien sûr il y a encore un piège : ces dix minutes seront placées sur un des nombreux « compteurs temps » qu’on n’est jamais sûrs de toucher ou récupérer…

NPA : Les chiens aboient et la caravane de la grève passe. Pas la peine de répondre aux ennemis jurés du monde du travail. Mais que dire à ceux qui s’interrogent sincèrement sur le risque de corporatisme de ces « grèves de la dinde », pour reprendre une expression méprisante qui a eu longtemps cours dans les milieux syndicaux ?

Benoît : Le corporatisme naît d’un sentiment d’impuissance à faire bouger les choses au niveau général. Les collègues prennent leurs affaires en main à l’échelle où ils le peuvent. C’est le devoir des militants ouvriers de les y encourager. Et de formuler des perspectives sous une forme qui évite de se laisser enfermer par métier, par service, par boîte et de généraliser si c’est possible.

Autour de la grève des raffineurs, dans tous les services de la SNCF, mais aussi dans plein d’autres entreprises, on a senti un vent de solidarité et même au-delà. Les collègues se sont reconnus dans cette lutte pour les salaires, au-delà des barrières de statut. Qu’ont fait les directions syndicales qui dénoncent aujourd’hui le corporatisme ? Dans les AG de grévistes cheminots du 18 octobre, elles ont appelé à reprendre le travail…

Ali : J’étais très content de l’initiative du CNA, qui est partie sous la forme d’un groupe Facebook. Son succès reflète cette situation de nos conditions de travail, aggravée par l’inflation. Les directions syndicales n’apparaissent pas du tout à la hauteur de cette situation, les collègues en discutent. Alors ils prennent les choses en main eux-mêmes, à l’échelle où ils le jugent possible. Les contrôleurs se sont organisés, ils se sont sentis forts, donc ils ont revendiqué pour leur métier.

Les revendications des contrôleurs n’ont rien de spécifique, ce sont les revendications de tout monde du travail : salaires, cadences, effectifs. L’objectif c’est de s’organiser à la base, pour nos revendications et pour les porter à l’échelle où il le faut. Pour ça il faut soutenir, participer et encourager tous les mouvements, même partiels, pour qu’ils aillent le plus loin possible et se généralisent.

Ces grèves de Noël ont bien excité gouvernement et patronat. On ne les entend pas protester contre les annulations quotidiennes de TER et RER… mais des TGV hors de prix à Noël ! Ça fait du bien de les voir se fâcher tout rouge. D’autant que ce n’est pas une première : tout ce beau monde fait mine d’avoir oublié, mais en 2019, les cheminots ont fêté Noël et le jour de l’an sur les piquets de grève, avec les camarades de la RATP. On avait refusé d’appliquer la trêve que les directions syndicales avaient offerte au gouvernement dans la bagarre contre le projet de retraites à points. Et on avait gagné à la fin !

Alors que nos grèves de Noël sonnent comme un avertissement à nos ennemis du gouvernement et du patronat, forcent nos faux amis des appareils syndicaux à sortir du bois et encouragent l’ensemble du monde du travail : en janvier, tous ensemble pour nos salaires, pour des embauches et pour nos retraites !

Branche transport du NPA, le 23 décembre 2022