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Le Ravissement, film d’Iris Kaltenbäck

Dans son premier long-métrage au titre à double sens (le ravissement fait à la fois référence à un profond sentiment de joie mais aussi à un enlèvement), la réalisatrice française Iris Kaltenbäck s’inspire d’un fait divers et suit Lydia, une sage-femme très investie dans son travail en proie à la solitude et au mal-être, sur le chemin qui va la mener à « ravir » l’enfant de sa meilleure amie Salomé.

On pourrait reprocher au film quelques scènes et moments en voix off qui viennent parfois trop dire et alourdissent la narration, certains éléments de l’histoire moins crédibles que d’autres, mais on n’en reste pour autant pas moins saisi par la façon dont l’écriture, l’image et le jeu des acteurs et des actrices (Hafsia Herzi notamment dans le rôle principal, d’un naturel et d’une justesse fascinantes) nous rendent absolument empathiques des personnages, nous donnent à ressentir et à penser sans juger.

Dès le début, des moments de cinéma encore trop inédits donnent le souffle court : on voit à l’écran des accouchements, sans fantaisie et dans tout ce qu’ils ont de plus cru, on les vit aussi bien du point de vue des mères que de celles (sages-femmes, infirmières, etc.) qui travaillent dur pour les accompagner dans ces heures éprouvantes. Encore aujourd’hui, ce moment si particulier, que vivent pourtant dans leur chair la plupart des femmes, reste tabou, comme pour continuer à idéaliser ou fantasmer la maternité, et on ne peut que s’enthousiasmer de voir des œuvres enfin s’attaquer de front à cette question : c’est un des grands thèmes qui traversent Le Ravissement.

En confrontant par exemple la dépression post-partum de Salomé à toute la fiction socialement répandue d’une maternité comme synonyme d’accomplissement pour les femmes, qui imbibe complètement le personnage de Lydia, ou en interrogeant ce qui se niche dans le désir même d’être parent, sa légitimité, ce qui fonde la paternité et la famille elles-mêmes, il y a matière à réflexion. Finalement, c’est sur toute la société, les vrais comme les faux parents, les grands-parents, les beaux-parents… bref, sur une idée plus générale de « propriété » des enfants que le film invite à prendre du recul.

Il y aurait beaucoup encore à relever, comme le fait qu’en plus d’une sage-femme dans le rôle-titre, on trouve Milos, conducteur de bus RATP d’une famille serbe immigrée en France, et leur rencontre qui esquisse discrètement quelques réflexions sur ce que le travail de nuit, les horaires décalés, les journées à rallonge, peuvent produire sur les corps ou la santé mentale. En bref, Le Ravissement, sorti en salle le 11 octobre dernier, est un grand premier film et une sacrée expérience émotionnelle, qu’on ne peut que conseiller d’aller vivre par soi-même.

Claire Lafleur