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Bangladesh : la mobilisation de la classe ouvrière rebat les cartes

Depuis deux semaines, les travailleurs des usines textiles du Bangladesh, majoritairement des femmes, se mobilisent pour des augmentations de salaire. Grève, blocage de route ou élévation de barricades, les travailleurs tiennent tête à la fois au patronat et au gouvernement. La mobilisation ouvrière la plus importante depuis une dizaine d’années, dans un pays qui est l’un des ateliers du monde.

Deuxième exportateur de prêt-à-porter derrière la Chine, le Bangladesh devient un acteur incontournable du secteur. Les chiffres montrent que les revenus du pays dépendent en grande partie de ses exportations de marchandises vers les pays occidentaux, beaucoup plus que de son marché intérieur. Le secteur textile est quasiment le seul secteur d’exportation, ce qui met le Bangladesh sous la coupe des géants du secteur, qui sous-traitent aux usines bangladaises. Plus le secteur textile progresse, plus la dépendance vis-à-vis des multinationales de l’habillement se renforce. En 2023, le pays a exporté pour 50,98 milliards d’euros de textile et d’habillement : une progression de 6,67 % par rapport aux bilans précédents. Derrière ces gros chiffres, et les profits qui les accompagnent, se cache une exploitation de plus en plus féroce.

En 2013 déjà, les projecteurs s’étaient braqués sur le Bangladesh à l’occasion de l’effondrement des ateliers du Rana Plaza, dans lesquels travaillaient 5000 ouvriers. À la suite de l’accident, qui a fait, d’après les chiffres officiels, 1127 morts, les autorités bangladaises ont tenté de trouver les moyens d’apaiser une situation explosive. Un « conseil du salaire minimum » qui devait augmenter les salaires tous les cinq ans s’est alors mis en place. Conseil qui a augmenté le salaire des ouvriers du textile une seule et unique fois… en 2013.

Le refus d’augmenter les salaires de la part du patronat pèse encore plus lourd sur les travailleurs depuis le retour de l’inflation à l’échelle mondiale, qui a culminé à 9 % en 2022 au Bangladesh. Comment vivre et faire vivre ses enfants avec un salaire minimum qui équivaut à peine à 84 euros par mois ? C’est la question posée par les ouvriers en grève, qui ont forcé les usines sous-traitantes de toutes les grandes marques, de H&M à Levi’s en passant par Disney, à fermer. En tout, ce sont plus de 600 usines qui sont mises à l’arrêt. Car le patronat a aussi décidé des lock-outs, de peur que le mouvement s’étende.

En 2019 déjà, les travailleurs du textile, réclamant une hausse de salaire, avaient fait cesser la production de 52 usines. La grève avait duré une semaine et donné lieu à une répression féroce, couplant violence policière et patronale – 5000 personnes avaient alors été licenciées sans ménagement. Le mouvement actuel a entrainé des réponses similaires du côté du pouvoir : la police a déjà fait trois morts, et de nombreux syndicalistes ont été arrêtés. La mobilisation ouvrière, néanmoins, ne faiblit pas. Elle s’avère très profonde, à la fois par sa durée et son ampleur, mais aussi parce qu’elle se situe dans un contexte de contestation politique plus générale.

Certes, c’est la proposition de revalorisation d’environ 25 % des salaires, faite par la BGMEA (Bangladesh Garment Manufacturers and Exporters Association, le Medef local dans un pays qui organise son économie autour de l’exportation du textile) qui a mis le feu aux poudres, mais les classes populaires étaient déjà dans la rue. Depuis cet été, des manifestations ont lieu pour demander la destitution de la Première ministre Sheik Hasina, la fin de la corruption, la libération des prisonniers politiques et l’organisation d’élections « libres et équitables » en vue des législatives de 2024. Ces manifestations, qui revendiquent davantage de démocratie, restent néanmoins très encadrées par des forces politiques bourgeoises. Notamment le principal parti d’opposition, le BNP (Bangladesh Nationalist Party), allié aux islamistes, dont l’alternance avec le parti de la Première ministre1 (la Ligue Awami), depuis les années soixante-dix2, fait un parti de gouvernement tout à fait respectable. D’ailleurs, les syndicats liés à cette opposition se tiennent hors du mouvement. Les dirigeants du BNP semblent soucieux de cantonner la lutte qu’ont engagée les travailleurs à une question économique. Soucieux, aussi, de présenter un visage respectable au patronat, qu’ils entendent servir à la place de la Ligue Awami. D’où le refus de soutenir les travailleurs en grève.

Du côté des organisations ouvrières qui sont partie prenante du mouvement, on est finalement assez timoré. La proposition du Comité du salaire minimum qui consiste en une augmentation de 56,25 % a certes été rejetée par les principaux syndicats impliqués. Mais dans le même temps, la Fédération des ouvriers de l’industrie et de l’habillement du Bangladesh (BGIWF), liée au Parti communiste bangladais a revu à la baisse ses revendications, passant d’un minimum de 20 393 takas (190 euros environ) à 13 000 takas… Contredisant les pancartes des manifestants.

Les travailleurs du textile ne semblent pas avoir dit leur dernier mot. Les grévistes sont toujours très nombreux, malgré la violence de la police. Chaque proposition du patronat est jugée insuffisante et donne lieu à de nouvelles poussées de colère dans la rue, comme celle qui a eu lieu dans la banlieue de Dacca après l’annonce des 25 % d’augmentation par la BGMEA. La puissance du mouvement réside aussi dans sa capacité à fragiliser la chaîne de production des grands capitalistes de l’habillement comme Zara ou Gap, qui cherchent au Bangladesh une main-d’œuvre toujours moins chère.


Mona Netcha

 

 


 

 

1 Le BNP a été cinq fois aux affaires depuis sa création en 1978.

2 En 1971, l’indépendance du Bangladesh est proclamé par la Ligue Awami, ce qui donne lieu à une guerre qui rend effective cette indépendance.