En arrêtant dans des conditions plus ou moins obscures l’écrivain Boualem Sansal (un enlèvement le faisant disparaitre avant d’avouer l’arrestation), après avoir interdit en Algérie le dernier livre de Kamel Daoud et mené campagne contre lui, le pouvoir algérien fait, à coup de condamnations et opérations policières, ses petits calculs.
Il fait de la surenchère dans les polémiques avec la France qui, pour ses intérêts économiques, a choisi de soutenir le Maroc contre l’Algérie sur la question du Sahara occidental, et où l’attribution du prix Goncourt à Kamel Daoud et tous les éloges de médias liés au pouvoir français comme à l’extrême droite ont quelques motivations politiques, bien éloignées des questions littéraires. En même temps, le pouvoir algérien essaye de se donner le beau rôle vis-à-vis de l’opinion publique algérienne, en s’en prenant à deux auteurs aux opinions politiques profondément réactionnaires et en grattant la corde nationaliste, pointant les penchants qu’ils affichent pour la France impérialiste.
Ainsi l’arrestation de Sansal, décrété ennemi de l’Algérie, permet à Tebboune de justifier les multiples arrestations d’opposants au régime, présentés eux aussi comme ennemis de l’Algérie. Les communiqués de l’agence de presse algérienne, repris dans divers journaux algériens, s’empressent de dénoncer « l’agitation d’une partie de la classe politique » française qui serait « une preuve supplémentaire de l’existence d’un courant haineux contre l’Algérie » et la preuve que ce « lobby ne rate pas une occasion pour remettre en cause la souveraineté algérienne ». Le journal algérien El Watan souligne les prises de position de Sansal en faveur du Maroc sur l’annexion du Sahara occidental (dans le journal d’extrême droite Frontières) et les protestations d’Éric Zemmour à l’arrestation de l’écrivain.
CQFD, dit en quelque sorte Tebboune : vous voyez bien que tous ces opposants qu’on arrête, anciens militants du Hirak, blogueurs irrespectueux du régime et autre mal-pensants, sont tous des ennemis du peuple algérien. Sans parler de tous ces jeunes qui expriment dans les stades, à l’occasion des matchs de foot, leur malaise de vivre dans la misère et le chômage, et leur colère contre les privilégiés du régime.
Ce n’est pas pour des raisons beaucoup plus reluisantes que, de l’autre côté de la Méditerranée, nos bien-pensants du monde politique hexagonal y sont allés de leur indignation démocratique, les Marine Le Pen, Zemmour, Ciotti, Wauquiez, Macron et autres, qui s’empressent de parer Daoud ou Sansal de « lucidité » et de « valeurs républicaines et démocratiques ». Eux qui trouvent normal que leur république tricolore matraque et emprisonne en Nouvelle-Calédonie ou en Martinique. Lucidité, c’est un peu vite dit pour un Kamel Daoud qui dénonce au nom de la laïcité un « Mélenchon auto hamassisé » et lui préfère l’euro-députée RN Malika Sorel-Sutter qui « ose dire » qu’une immigration soumise à la religion est « un risque majeur pour tous », explique-t-il. Certificat de démocratisme là aussi, pour un Boualem Sansal qui voit pourtant dans l’Israël de Netanyahou une « grande et belle démocratie », même s’il écrit qu’il craint qu’elle sombre avec la guerre.
Liberté d’expression à défendre, en Algérie comme en France. Mais idées réactionnaires à combattre.
Olivier Belin