Dans la nuit du 3 au 4 décembre, le président conservateur sud-coréen Yoon Suk-yeol a déclaré la loi martiale avant de se rétracter six heures plus tard sous la pression de la rue et de l’opposition parlementaire.
Immédiatement, des dizaines de milliers de jeunes, travailleurs, élus de l’opposition et des syndicats s’étaient rassemblés devant le Parlement contre la loi martiale. Employée la dernière fois sous la dictature en 1979, elle entraînait l’interdiction de toute activité politique et la mise sous surveillance des médias. En toile de fond de ces mesures autoritaires, l’affrontement entre le parti du président (Parti du pouvoir au peuple) et l’opposition (Parti démocrate) sur le budget ; le président souhaitant notamment augmenter les dépenses de police. Il a prétexté une manœuvre « des forces communistes nord-coréennes », épouvantail régulièrement invoqué pour couvrir les aspirations démocratiques d’une chape de plomb. Samedi 7 décembre, le vote de destitution du président a échoué après que les députés de son parti eurent refusé d’y prendre part et ainsi annulé la procédure, alors qu’un million de travailleurs se tenaient une nouvelle fois devant le Parlement contre le président.
La confédération coréenne des syndicats (KCTU), forte de ses 1,2 million d’adhérents (sur 51 millions d’habitants), avait appelé aux rassemblements et à la grève générale dès le 4 décembre pour « défendre la démocratie », déclarant que « le peuple n’a jamais pardonné aux régimes qui ont réprimé les citoyens et violé la démocratie ». Malgré le rétropédalage du président, la KCTU a organisé des débrayages de deux heures dans les usines (comme à General Motors ou Hyundai) pour rejoindre les manifestations. Une réaction massive pour la classe ouvrière coréenne, dont une grande partie travaille dans l’industrie (chantiers navals, automobile, semi-conducteurs), à qui il a fallu des dizaines d’années et moult mouvements de grève générale pour s’extraire d’un régime dictatorial et corrompu pour conduire à une démocratie instable, sous tutelle des États-Unis qui comptent encore 28 000 soldats sur place.
Exemple de réussite économique bourgeoise, la Corée du Sud est passée à vitesse grand V de pays pauvre à puissance industrielle : huitième exportateur mondial et second exportateur d’électronique après les États-Unis. Pourtant, le pays souffre notamment d’un marché intérieur faible : 40 % du PIB émane des exportations (contre 25 % pour la France), les bas salaires ne permettant pas aux travailleurs d’acheter ce qu’ils produisent. L’endettement record des ménages pousse aussi de nombreux travailleurs au suicide (taux le plus élevé au monde). Le président envisageait en 2023 de légaliser la semaine de 69 heures, alors que les Sud-Coréens travaillent déjà 1910 heures par an (contre 1490 en France). Un chiffre officiel minoré dans un pays qui a même un mot pour désigner la mort par surmenage : gwarosa. Un déficit public de 5,2 % du PIB en 2022 a justifié des coupes austéritaires, comme dans la santé, dans un état déplorable. De plus, l’élection de Trump pourrait affecter l’économie coréenne : d’une part en taxant les exportations, d’autre part en forçant « l’allié » coréen à s’autonomiser du marché chinois. Ce qui est sûr, c’est que les travailleurs coréens ne s’en sortiront qu’en se battant, à la fois pour la démocratie, mais aussi pour des conditions de vies décentes.
Stan Miller