La consommation de drogue et son trafic sont bien intégrés à l’économie. On peut se faire livrer de la drogue comme on commande une pizza. Pourtant, la réponse des États tombe partout à côté de la plaque. Les trafiquants s’adaptent aux moyens répressifs et, au lieu de diminuer la violence, la répression l’augmente et structure le marché noir. En fin de compte, c’est l’aspect sanitaire qui est laissé de côté.
L’économie informelle au sens large se développe avec la misère, lorsque des quartiers, voire des villes entières, sont frappés par le chômage de masse, la destruction des services publics, les suppressions des aides pour l’accompagnement des jeunes, la disparition des maisons des jeunes et de la culture… Alors, quand on est incapable de résoudre ces problèmes à la source, il reste la matraque, la discrimination et la stigmatisation (« fumer un joint, c’est avoir du sang sur les mains », dit Bruno Retailleau, soutien inconditionnel du massacre à Gaza).L’addiction aux drogues, qu’elles soient légales ou non, touche déjà des millions de personnes : rien qu’en France, on estime à 900 000 les consommateurs quotidiens de cannabis selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) ; l’alcool et le tabac entraînent 115 000 décès par an. Les personnes en situation de dépendance ne devraient pas être considérées comme des délinquantes, mais comme des malades : elles ont besoin d’hôpitaux en état, de personnel dédié, d’accompagnement et de lieux spécialisés, gratuits et accessibles.
La légalisation : une bonne affaire pour les capitalistes
Si les politiques répressives ont depuis longtemps montré leur inefficacité, l’herbe n’est pas vraiment plus verte du côté de la légalisation sous le capitalisme.
La légalisation du cannabis revient souvent sur la table et, là encore, l’aspect sanitaire passe au second plan. Ce sont plutôt les enjeux économiques qui sont discutés. On peut voir dans les sponsors de la Conférence internationale du marché du cannabis de 2022 à Berlin (l’Allemagne a légalisé le cannabis en 2024) tout l’attirail classique des lobbyistes : cabinets d’avocats, juristes, boîtes de conseil, d’investissement et industriels pharmaceutiques – de quoi être rassurés !
En réalité, la légalisation n’a pas vraiment endigué la consommation, quand elle ne l’a pas carrément augmentée, pour le plus grand bonheur de certains capitalistes qui gagnent un marché très juteux : aux Pays-Bas, des entreprises agricoles ont ainsi été autorisées à développer leur business par la production de cannabis pour approvisionner les coffee shops.
Le marché noir, quant à lui, continue d’exister en parallèle : dans l’Oregon, aux États-Unis, la production légale couvrait dès 2019 sept années de demande locale, selon l’étude de l’OFDT. En raison de l’interdit fédéral et international, cette surproduction ne peut être exportée ou transportée légalement dans un autre État et finit bien souvent par être détournée vers le marché noir.
La consommation de drogues est l’expression d’un besoin de s’abstraire d’une société violente et anxiogène. Lutter contre cette consommation, ce n’est certainement pas s’en prendre à ceux qui y ont recours et ne sont que des victimes de la dureté de la société. Or c’est tout ce dont sont capables les États. En ce sens, nous sommes favorables à la dépénalisation des drogues, c’est-à-dire l’arrêt de toute répression vis-à-vis des consommateurs, tout en militant contre leur usage. Et nous dénonçons la répression des « petites mains », quand les gros bonnets de la drogue peuvent poursuivre tranquillement leurs activités.
La lutte contre la drogue est inséparable de la lutte contre ce qui en crée le besoin, c’est-à-dire une société basée sur l’exploitation et l’oppression, qui broie les individus – ce qu’est aujourd’hui la société capitaliste.
Un combat que seule l’organisation consciente du monde du travail sera en mesure de prendre en charge.
Étienne Cresson, Jean Einaugig
Sommaire du dossier
- Sous couvert de lutte contre la drogue, le flicage permanent
- Exploitation facile et concurrence féroce : le trafic de drogue, un concentré de capitalisme
- Le blanchiment, c’est simple
- La bourgeoisie en quête de deal(s) juteux, hier et aujourd’hui
- La lutte du mouvement ouvrier contre l’alcoolisme
- Pour un monde sans drogues, quelles solutions ?