La volte-face de Trump n’était pas seulement qu’une énième manifestation de son tempérament imprévisible. La mise en œuvre de la politique protectionniste se heurte en effet à de sérieux obstacles, même au sein de la bourgeoisie.
Déjà, tous les secteurs n’y ont pas le même intérêt. Les capitalistes de l’énergie y ont beaucoup à gagner (notamment pour s’imposer sur le marché européen), alors que des secteurs comme l’aéronautique, l’automobile ou l’électronique, qui reposent beaucoup sur la sous-traitance à l’international, y ont davantage à perdre.
Mais c’est l’ensemble de l’économie américaine qui a été prise dans un climat d’incertitude à la suite des mesures de Trump. La vente massive des bons du trésor américains, l’instabilité des cours de bourse ont montré la dépendance de l’économie américaine vis-à-vis du commerce mondial. Plusieurs figures importantes du patronat américain, Jamie Dimon (JP Morgan), Larry Fink (BlackRock), mais aussi son acolyte Elon Musk se sont exprimés publiquement pour critiquer Trump. La chute libre des bourses était à sa façon un signe de défiance envoyé par une partie de la bourgeoisie américaine. Bill Ackman, rallié récemment à Trump, expliquait sur X être en accord avec les tarifs douaniers, mais il estimait que Trump prenait le risque d’« une perturbation majeure de l’économie mondiale qui nuirait aux entreprises ». Ne rien faire empêcherait en effet la bourgeoisie américaine de se maintenir face à la concurrence, mais des tarifs douaniers trop élevés seraient dangereux pour les affaires. Trump est donc revenu sur une partie de ses mesures, tout en maintenant le cap de la guerre commerciale.
Il est difficile de prédire où cela va mener, Trump lui-même navigant à vue. Une partie des économistes qui l’entourent voient dans les tarifs douaniers une source de revenus pour réduire le déficit et la dépendance aux capitaux étrangers, chinois en particulier, voire pour remplacer l’impôt sur le revenu : une aubaine pour les grandes fortunes, payée par les consommateurs américains.
Après avoir sorti le bazooka, le processus de négociation que Trump a imposé pourrait offrir à la bourgeoisie américaine des tarifs douaniers sur mesure, en ciblant certains pays ou produits. Les smartphones et ordinateurs venant de Chine ont d’ailleurs déjà été exemptés. Trump ne peut pas espérer faire revenir aux États-Unis les usines textiles ou reposant sur une main-d’œuvre peu qualifiée et bon marché, mais il pourrait imposer des tarifs aux produits dit « à haute valeur ajoutée » en concurrence avec les usines implantées aux États-Unis. En tout cas, si les tractations ont commencé avec une cinquantaine de pays, elles auront également lieu avec une partie du patronat américain, qui entend continuer d’exploiter les travailleurs à travers le monde sans entrave.
Robin Klimt
Sommaire du dossier
- La guerre commerciale de Trump : une guerre impérialiste pour restaurer l’hégémonie américaine
- La bourgeoisie américaine face au coup de poker de Trump
- Protectionnisme et libre-échange : deux facettes d’une même politique
- Un jeu à somme nulle ?
- Réciproques comme le marteau et son clou
- Souveraineté nationale ou indépendance de classe ?
- « Travailleurs de tous les pays, unissons-nous »
- Automobile : barrières douanières, brume électrique et ombres chinoises