Nos vies valent plus que leurs profits

Trois films à voir : Compañeros — Buenos Aires 1977 — Les évadés de Santiago

José Mujica, président de l’Uruguay et ex-guérillero des Tupamaros dans les années 1960-1970, est mort le 13 mai dernier. C’est l’occasion de voir (ou revoir) ces films qui règlent leur compte aux tortionnaires militaires du temps de la dictature en Uruguay et dans le reste de l’Amérique latine.

 

 

[Lire sur notre site nos deux articles du 20 mai 2025 : « Uruguay — De la guérilla à la présidence, Pepe Mujica, icône de la gauche compatible avec le capital », et « Les Tupamaros : l’échec du guérillérisme »]

 

 

Compañeros, d’Álvaro Brechner (2018)

1973-1985 : douze années d’enfermement sous la dictature uruguayenne

Compañeros (La noche de 12 años), est le dernier sorti des films relativement peu nombreux qui dénoncent avec une précision quasi documentaire la barbarie des dictatures qui ont sévi en Amérique latine dans les années soixante-dix et quatre-vingts. Il a été tourné en 2018, c’est-à-dire plus de trente ans après la fin de la dictature militaire en Uruguay. Il relate les douze ans d’emprisonnement de trois dirigeants tupamaros, dont Pepe Mujica qui devait devenir président de la République.

Même après la victoire électorale du Frente Amplio en 2005, ce tournage n’a pas été facile, car l’armée reste très influente dans ce pays : les assassins et tortionnaires sont couverts par une loi d’amnistie qui n’a pas été abolie, contrairement à celles qui avaient été adoptées par les dictateurs eux-mêmes au Chili et en Argentine. La dénonciation de ces crimes est restée longtemps prudente et allusive. Compañeros nous fait vivre jusque dans les moindres détails les souffrances infligées aux prisonniers. Privation de sommeil ou de nourriture, isolement, coups, tortures, changements réguliers de lieux de détention, ceux-ci n’ont plus d’existence légale et sont totalement déshumanisés et à la merci de leurs geôliers.

Une des scènes les plus cruelles est une visite de la Croix-Rouge, informée par la famille d’un détenu qui a tout de même réussi à le localiser. La direction le sort de sa basse-fosse pour l’installer quelques heures dans une cellule confortable dotée de livres et même d’un poste de radio. Mais il doit jouer le jeu, car lui et ses camarades seraient victimes de représailles terribles s’ils dénonçaient le stratagème. Il ne peut qu’échanger des regards avec les visiteurs…

 

 

Buenos Aires 1977, d’Adrián Caetano

Ce film est sorti en 2006, sans doute en raison de la mobilisation puissante et permanente de larges pans de la société argentine contre les anciens répresseurs, bien au-delà des familles de victimes comme les Mères de la place de Mai. À cette époque, dans le moindre petit village des Andes, on pouvait voir des affichettes « No à l’impunidad » jusque sur des vitrines de magasin.

 

 

Les évadés de Santiago, de David Albala

Au Chili en revanche, où une grande partie de la bourgeoisie conserve la nostalgie de Pinochet, il faudra attendre 2020 pour que sorte le film Les évadés de Santiago, consacré à l’évasion spectaculaire de 49 militants du Front patriotique Manuel Rodriguez en 1990. Les Tupamaros avaient réussi un exploit comparable en réussissant à libérer une centaine de leurs camarades de la prison de Punta Carretas, à Montevideo (Uruguay) en 1971.

 

 

Ces trois films malheureusement assez peu diffusés constituent de véritables documents sur cette sinistre période. Ils sont toutefois disponibles en VOD, sur Canal+ et en DVD.

Gérard Delteil