Nos vies valent plus que leurs profits

L’IA capitaliste menace-t-elle nos emplois ?

Les capitalistes du monde entier misent aujourd’hui sur l’intelligence artificielle (IA) dans l’espoir de gains importants de productivité du travail. L’objectif reste de remplacer une part de travail humain par des machines demandant une quantité inférieure de travail pour être produites. Peu importe que des milliers de travailleurs soient condamnés au chômage à force de restructurations. Quand bien même les économies de main-d’œuvre réalisées libéreraient celle-ci pour développer de nouveaux secteurs de production, comme le prétendent certains économistes, cela n’a rien d’immédiat et ne garantit en rien aux licenciés d’aujourd’hui de retrouver un travail à court terme.

Supprimer des emplois « intellectuels », aliéner toujours plus le travail

L’IA est donc perçue par nombre de travailleurs comme une menace, plutôt que comme un nouvel outil à leur service pour diminuer leur temps de travail et en améliorer les conditions. À l’image des scénaristes hollywoodiens, qui ont fait grève durant 148 jours en 2023, entre autres pour réguler l’utilisation de l’IA dans leur métier. Contrairement aux précédentes vagues d’automation, cela touche en premier lieu les professions intellectuelles, cadres et artistes. Les IA dites « génératives » (qui produisent du texte, de l’image ou du son) peuvent déjà remplacer une partie des tâches accomplies par les traducteurs, développeurs informatiques, journalistes ou juristes, tandis que d’autres traitent en quelques secondes une masse d’informations pour aider à la décision les consultants de McKinsey et consorts, les médecins (pour des diagnostics), les DRH (pour le suivi des candidatures) ou encore les traders. Des professions autrefois dotées d’un certain prestige se retrouvent ainsi en première ligne, au même titre que les téléconseillers partiellement remplacés par des « chatbots » et « callbots ».

C’est bien de cela que l’intelligence artificielle tire son nom : de la capacité de ces technologies à remplacer un travail dit « intellectuel ». Ce qui n’empêche pas que l’IA couvre aussi des tâches que l’on n’aurait pas intuitivement catégorisées comme intellectuelles, comme la conduite automatisée, ou des tâches mixtes comme le pilotage de robot, qui ouvrent la voie vers des machines de plus en plus « libérées » du travail humain… tout en aliénant toujours plus les travailleurs devenant de simples « servants de machine ».

Une rentabilité pas (encore) au rendez-vous du capitalisme

Le principal frein actuel à la généralisation de ces systèmes reste le coût élevé de leur fonctionnement pour certaines tâches. L’IA nécessite des milliards de calculs et donc d’immenses entrepôts de serveurs informatiques gérés par quelques grands groupes, comme OpenAI et Microsoft. Une fois retombé le buzz du monde des start-ups, les applications réellement rentables pour le capital restent à trouver, qui nécessiteront sans doute d’être plus économes en calculs, mais aussi d’être plus fiables. Ce qui est d’autant plus difficile que les domaines sont plus facilement réalisables par l’être humain.

L’horizon de la rentabilité pourrait donc être plus éloigné que ce qu’avait anticipé le monde de la finance, avec le risque d’un éclatement de la bulle spéculative autour de la tech, à l’image de celle dite des « nouvelles technologies » au début du siècle, n’entraînant pas seulement des pertes financières, mais aussi des fermetures d’entreprises et du chômage.

À plus ou moins long terme selon les branches, les travailleurs doivent néanmoins se préparer à l’utilisation des innovations radicales introduites par l’IA pour permettre aux patrons de licencier tout en augmentant la pression sur les salaires, les conditions de travail et la compétition entre travailleurs. La solution face à cela ne réside pas dans le refus de principe de cette technologie, ni même son illusoire régulation dans le cadre du capitalisme, mais avant tout dans le renforcement de la capacité des travailleurs à résister collectivement pour revendiquer à la fois l’interdiction des licenciements, le partage du travail entre tous et la maîtrise de leur processus de travail.

J.M. et M.S.

 

 


 

 

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