
À Hagondange comme dans toute la France, le patronat s’apprête à faire une grande saignée dans les emplois. 400 sont menacés dans cette aciérie actuellement à l’arrêt, dans une région déjà sinistrée par la désindustrialisation et le chômage.
À la faveur d’un tractage dans le centre-ville de Hagondange appelé par l’intersyndicale CGT, CFDT et CFE-CGC pour s’adresser aux passants et aux automobilistes, les informant de la lutte en cours contre la fermeture de l’usine sidérurgique que nous rapportions dans un article précédent, nous avons pu poser quelques questions à Stéphane, ouvrier de la boîte et délégué CGT au CSE, rapporteur de la commission sécurité et référent harcèlement sexuel et agissements sexistes.
Que se passe-t-il dans l’usine actuellement ?
On est bientôt en redressement judiciaire, selon l’audience du 11 août 2025. C’est-à dire que c’est la même situation que l’an dernier parce que le fonds d’investissement Greybull n’a pas fait sa part (1,5 million sur les 90 millions promis), a reçu 75 millions d’euros de prêt d’État et a délaissé le groupe
Novasco. Le 25 juin s’est ouverte une conciliation du tribunal pour trouver de nouveaux investisseurs pour Novasco. Dans cette situation catastrophique et aux abords du redressement judiciaire, le site de Hagondange est le seul à n’avoir aucune offre : deux lettres d’intention pour le site Dunes de Dunkerque et une offre pour les sites Dunes, Custines de Nancy et Marais de Saint-Étienne (à l’heure où nous écrivons ces lignes, NDLR.).
Quelles sont les revendications des travailleurs mobilisés par rapport à cette situation ?
On a décidé de faire une action coup de poing à Hagondange pour attirer le regard de la population, surtout avec la difficulté liée à la période estivale. C’est central pour nous de faire comprendre que si l’usine ferme, c’est 400 emplois directs et encore plus d’emplois indirects qui sont supprimés. Pour la ville de Hagondange ce serait une catastrophe. Ce qu’on veut c’est une offre sérieuse, industrielle et durable, pas un fonds vautour comme Greybull Capital.
Nos lecteurs savent que l’usine avait été reprise par le fonds d’investissement Greybull. Pourquoi s’est-il retiré ?
Pour faire l’historique, l’usine aurait dû être reprise par un industriel italien, Venete, qui était intéressé par le pôle automobile, mais il s’est retiré. Puis nous avons eu deux propositions : Europlasma (entreprise d’assainissement) et Greybull qui ont fait des offres pour reprendre l’usine via une négociation avec l’État, avec prêt de deniers publics. Le plan de Greybull consistait en un investissement de 175 millions d’euros d’investissement pour une voie lingot destinée à fabriquer des lingots pour former des obus au laminoir de Dunkerque. Le business plan été découpé en prêt d’État (85 millions en plusieurs tranches en premier) et en investissement de Greybull (90 millions). Autrement dit ce fond n’a pris aucun risque dans ce plan. Actuellement, l’État a prêté 75 des 85 millions d’euros prévus… et Greybull 1,5 million ! En février, Greybull s’est rendu compte que son business plan de départ était en décalage de la réalité du terrain. L’État, voyant cette situation (tardivement), a demandé à un cabinet d’actualiser ce business plan avec la réalité et a estimé qu’il fallait 200 millions d’euros d’ici 2029 pour maintenir l’usine. On est donc bien loin de la situation de départ. Un accident dans l’aciérie de l’usine où trois ouvriers ont été brûlés a parachevé le scénario compliqué qui se joue ici. On voit que l’argent public n’est pas du tout fléché. L’État fait des cadeaux aux patrons et ceux-ci partent avec la caisse.
Quelle est l’ambiance dans la boîte parmi les collègues ?
Il y a de tout… Aujourd’hui, vous avez vu des collègues motivés pour se mobiliser pour sauver leur emploi. Syndicalement on ne veut pas lâcher l’affaire parce que la sidérurgie est importante en Lorraine et que l’entreprise risque de mourir si on ne mobilise pas. Mais une partie est démoralisée à cause des conditions de travail dégradées (chômage technique…) des fonds vautours qui viennent pour les subventions et repartent… On est aussi dans une période spécifique, parce que l’usine est à l’arrêt complet (avec reprise annoncée le 25 août), donc les collègues sont payés à se mobiliser ! Assez rare pour le souligner ! L’objectif c’est de mobiliser ceux qui sont résignés !
On a aussi assisté à des barrages pour empêcher des camions de fournisseurs venus chercher leur dû afin d’avoir un levier de pression sur l’État et le patron. Quelle est la stratégie derrière ces actions ?
Oui, tant qu’on n’est pas en redressement judiciaire, nous avons des camions de fournisseurs qui arrivent. Ils veulent être payés, tout comme nous. On a aidé quelques boîtes de fournisseurs en les payant en priorité pour éviter qu’ils ne coulent à cause des dettes de NOVASCO. La stratégie consiste à bloquer les camions des clients qui viennent chercher leurs tonnes et pour les ferrailleurs qui viennent chercher leur paiement. Eux aussi ont toute légitimité à vouloir être payés, mais toute cette organisation périlleuse montre bien la catastrophe que serait la fermeture de l’usine. Une fois le redressement judiciaire annoncé, si c’est l’issue de l’affaire, ils ne pourront plus récupérer leurs biens ou être payés. C’est injuste pour eux, mais on n’a pas le choix dans ce bras de fer avec l’État et l’actionnaire, notamment pour obtenir des indemnités de licenciement dignes.
Lors des AG ou des actions, as-tu l’impression que collectivement, les travailleurs de l’usine sont conscients de la force qu’ils ont dans la chaîne de production, que l’usine tourne grâce à eux ?
Oui. Ils le savent bien, mais la préoccupation principale est autour de comment obtenir des indemnisations élevées. Nous, on répond par la rue et la mobilisation pour tenter encore d’obtenir un projet industriel fiable.
Vous menez une lutte de longue haleine, depuis plus d’un an. Est-ce que vous avez l’attention de médias, d’élus etc. ?
Pour la mobilisation on a relancé nos anciennes boucles de la mobilisation de l’année dernière, repris contact avec Charlotte Leduc et Vincent Félix (LFI, respectivement ancienne députée de la 3e circonscription de Moselle et ancien candidat aux élections législatives de 2024 dans la 1re circonscription de Moselle, ndlr.). À la reprise, on voit pour faire venir un maximum de députés connus dans les rangs de la gauche et peut être faire venir Jean-Luc Mélenchon. Mais la période estivale rime avec congés pour les parlementaires, donc cette annonce de redressement judiciaire a un très mauvais timing. L’an dernier, l’annonce avait eu lieu en mars et la question de la participation de l’Etat à la reprise de la boîte a pu être posée au Parlement. Cela avait bien embarrassé Roland Lescure, alors ministre de l’industrie.
Quelles sont les suites du mouvement ?
Le blocage va continuer jusqu’à vendredi 1er août ; tous les salariés sont en congés la semaine de battement avant la décision du tribunal… On va tout de même continuer à nous mobiliser jusqu’au 25 août et la reprise de la production et sans doute au-delà !
Propos recueillis par L.R.