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Turquie : Erdoğan cherche à domestiquer le principal parti d’opposition

La police turque bloque l’accès aux locaux du CHP d’Istanbul pour permettre à « l’administrateur d’État » nommé par le gouvernement d’investir le terrain

Ces derniers jours, le pouvoir turc multiplie les attaques judiciaires contre le Parti républicain du peuple (CHP) afin de décapiter la direction de celui-ci à travers des arrestations de ses dirigeants, la nomination d’un « administrateur d’État » à la tête de la branche d’Istanbul ou en essayant d’annuler le dernier congrès du CHP et faire destituer par un tribunal sa direction. Dimanche 14 septembre, le CHP avait réuni de 50 000 personnes à Ankara pour un meeting de protestation. Mais la décision prise le lendemain par le tribunal chargé de prononcer la destitution de remettre son jugement à la fin du mois d’octobre n’a pas été interprété par la presse comme un recul, mais plutôt une façon de maintenir, avec la menace de destitution, une épée de Damoclès sur la tête du CHP.

Mais si le CHP, héritier du kémalisme et qui a gouverné la Turquie pendant des dizaines d’années a encore les moyens de rassembler ses troupes, cela est bien loin de ce qu’a été l’explosion sociale de mars dernier, à la suite de l’arrestation d’Ekrem İmamoğlu (maire CHP d’Istanbul). Une explosion sociale que, de son coté, le CHP lui-même s’était efforcé de détourner vers la seule demande d’élections anticipées. Mais au-delà de cette guerre entre Erdoğan et l’ancien parti au pouvoir, c’est bien la situation sociale qui ne cesse de s’aggraver en Turquie.

D’après la Confédération des syndicats révolutionnaires (Disk), l’inflation a réduit les salaires réels des travailleurs de 37 000 livres sur les huit premiers mois de l’année 2025, soit 762 euros (l’équivalent d’un mois et demi au salaire minimum). La politique répressive d’Erdoğan vise aussi bien l’opposition démocrate que la contestation ouvrière : de nombreuses grèves sont interdites, les militants syndicaux trop « radicaux » arrêtés – notamment pour « injure » contre le président.

L’offensive d’Erdoğan avait dû s’arrêter momentanément face aux mobilisations massives initiées par les étudiants en mars dernier, avant de reprendre pendant l’été, les universités fermées pour les vacances, tandis que le CHP avait canalisé la colère dans des perspectives institutionnelles d’élections anticipées. Le dernier rassemblement du CHP a marqué une augmentation sensible de l’assistance par rapport aux meetings hebdomadaires du CHP. Mais va-t-on assister à un rebond de la contestation de la jeunesse alors que les universités entament à peine leur rentrée, en lien avec la contestation sociale ? C’est cela qui pourrait être cauchemardesque pour Erdoğan.

Stefan Ino