Martyr de la « liberté d’expression », le militant d’extrême droite américain Charlie Kirk assassiné par balles mercredi 10 septembre en pleine réunion publique dans une université de l’Utah ? Ce serait confondre cette liberté avec la promotion du racisme (il regrettait l’esclavage et la ségrégation raciale parce qu’alors, selon lui, « les Noirs commettaient moins de crimes »), de la misogynie (il qualifiait l’IVG d’ « Holocauste de notre époque [à] éradiquer totalement »), du fondamentalisme religieux (catholique, comme son ami le vice-président J.D. Vance) et d’à peu près toutes les phobies politiques de l’extrême droite américaine (« Le grand remplacement n’est pas une théorie, c’est une réalité » ; « L’Europe est un continent conquis [par l’islam] »).
Pour promouvoir son idéologie dans la jeunesse américaine, Charlie Kirk avait fondé en 2012, à l’âge de 18 ans, l’organisation Turning Point USA. Très vite, de puissants soutiens financiers l’ont transformé en un média influent, aux millions d’abonnés sur les réseaux sociaux. Kirk jouait la vedette dans des émissions où il prétendait débattre avec ceux qui ne partagent pas ses idées, émissions calibrées pour que sa démagogie s’épanouisse sans réelle contradiction. Il a soutenu Trump, y compris dans l’épisode de l’attaque du Capitole par ses partisans, et a contribué à sa réélection, notamment en lui gagnant des voix dans la jeunesse. Puis il l’a conseillé, y compris dans la désignation des membres du gouvernement.
Pour les partisans de Trump – et, derrière eux, toute l’extrême droite planétaire de Netanyahou à Meloni en passant par Bardella –, l’occasion est belle de se poser en victimes d’une prétendue violence politique de gauche. Et tant pis si, en juin dernier, c’est une députée démocrate du Minnesota qui était tuée chez elle avec son mari par un militant chrétien anti-IVG qui venait de blesser par balles un autre élu démocrate et avait listé soixante-dix personnes à exécuter.
Trump compte bien s’appuyer sur le choc produit par le meurtre de Kirk pour pousser les feux contre ses opposants. « Le moment est venu de se lancer dans une répression totale de la gauche. Tous les responsables politiques démocrates doivent être arrêtés et le Parti démocrate interdit », a déclaré sur X Matt Forney, un journaliste fascisant. Certains s’imaginent apparemment tenir leur « incendie du Reichstag » qui avait servi de prétexte, en 1933, au parti nazi pour suspendre les libertés publiques et politiques… Déjà des universités, des journaux, des entreprises virent des salariés simplement pour avoir posté des messages rappelant le pedigree de Kirk.
Face à la menace de ce maccarthysme 2.0, courber l’échine n’est pas une solution. Seule la mobilisation des millions de femmes et d’hommes qui font fonctionner cette société peut offrir une issue, bien plus que les balles de tireurs isolés qui payent leur geste de leur vie. C’est bien ce que craint la bourgeoisie, qui serre les rangs en ce moment derrière son président.
Mathieu Parant
