Nos vies valent plus que leurs profits

Pérou : état d’urgence, mais urgence sociale !

La destitution de la présidente péruvienne Dina Boluarte, lâchée par ses amis politiques sous la pression des mobilisations populaires qui secouent le pays depuis début septembre, n’a pas calmé la colère. Le 15 octobre, des dizaines de milliers de jeunes sont encore descendus dans les rues, à l’appel de la Gen Z, arborant comme d’autres jeunes révoltés dans le monde le drapeau One Piece, et d’organisations syndicales. Le président par intérim, José Jerí, a déclaré l’état d’urgence pour trente jours, ce qui pourrait entraîner l’interdiction des manifestations et des réunions. Guillermo Bermejo, élu du parti Perú Libre1 au congrès, vient d’être condamné à quinze ans de prison pour avoir participé à des activités de la guérilla maoïste du Sentier lumineux entre 2008 et 2009 : une condamnation politique opportune qui permet d’éliminer un adversaire pour la prochaine élection qui doit avoir lieu en avril. Cela n’a pourtant pas découragé des centaines de jeunes qui ont à nouveau manifesté pour rendre hommage à l’un des leurs, tué lors des récentes manifestations. Le gouvernement serre les rangs derrière la police.

Les raisons de la colère demeurent

C’est la faim et la misère des classes populaires, auxquelles s’ajoute l’incapacité de gouvernants liés au crime organisé à assurer la sécurité de la population, qui explosent. Extorsions, rackets par des bandes criminelles, voire assassinats : 55 conducteurs de bus ont perdu la vie en 2025. Selon un récent sondage, 83,3 % des Péruviens n’ont aucune confiance dans la police. C’est ce qui a précisément fait descendre dans la rue à la fois des jeunes de la Gen Z et des conducteurs de bus ou de moto-taxis.

Le lundi 6 octobre, les artères principales de la métropole Lima (13 millions d’habitants, dont le fonctionnement routier normal est déjà un chaos invraisemblable), ont été assiégées et paralysées par une grève de ces transporteurs des quartiers pauvres, en réponse à un énième assassinat.

En jouant la carte de la destitution d’une présidente haïe2, le Congrès comptait calmer le mécontentement social. Mais José Jerí, est de la même engeance, traînant lui aussi des casseroles – dont l’enrichissement personnel. Pas sûr que le bâton de la répression décourage les mobilisations qui restent annoncées.

27 octobre 2025, Louis Dracon et Sabine Beltrand

1  Le parti qui soutenait Pedro Castillo, président avant Boluarte – élu en juillet 2021 et destitué en décembre 2022 – issu d’une famille de paysans pauvres.

2  Voir sur notre site, « Le Pérou à la croisée des chemins », Louis Dracon et Sabine Beltrand, 19 octobre 2025.