Le généticien américain James Watson est mort le 7 novembre dernier à l’âge de 97 ans. Il avait été récompensé du prix Nobel avec le biologiste britannique Francis Crick, en s’accaparant les travaux de la biochimiste Rosalind Franklin. Raciste, eugéniste et misogyne, il a profité de sa notoriété pour propager ses idées nauséabondes.
Le 27 avril 1953, la célèbre revue scientifique Nature publia un article intitulé « La structure moléculaire des acides nucléiques : une structure pour l’acide désoxyribonucléique », signé par James Watson et Francis Crick. En proposant un modèle d’organisation spatiale en double hélice pour la molécule d’ADN, ils ouvrirent la voie à la génétique moderne : l’identification et la manipulation des gènes étaient désormais possibles. Ils reçurent le prix Nobel de physiologie ou médecine pour cette découverte en 1962.
Pour arriver à ce résultat, ils s’appuyèrent notamment sur les travaux d’une biochimiste britannique, Rosalind Franklin. Celle-ci avait réussi à enregistrer des clichés de diffraction aux rayons X de l’ADN, mais un de ses collègues, Maurice Wilkins, transmit les clichés à Crick et Watson qui s’empressèrent de publier leurs résultats. Pendant de longues années, Watson défendit l’idée que Franklin avait bien enregistré les clichés mais que seuls les deux comparses avaient pu les interpréter correctement. En guise de mea culpa tardif, la même revue Nature publia le 25 avril 2023, 70 ans presque jour pour jour après leur article, « La véritable contribution de Rosalind Franklin à la découverte de la structure de l’ADN ». Dans celui-ci, une lettre et un article non publié de Franklin montrait que celle-ci avait bien compris tout l’enjeu de sa découverte. Sa mort prématurée en 1958 a laissé les coudées franches à Francis Crick et James Watson pour réécrire l’histoire en leur faveur. Et la carrière de Watson était lancée…
Un prix Nobel, mais pas de découverte majeure
James Watson est né en 1928 à Chicago. Enfant de la bourgeoisie d’affaires catholique, il décida de s’orienter vers la biochimie, qui était alors en plein essor, après avoir lu le livre Qu’est-ce que la vie ? du physicien Erwin Schrödinger. Après sa thèse, il rejoignit le laboratoire de cristallographie de Cambridge en 1951, où il eut pour collègue immédiat Francis Crick, avec pour but la résolution de la structure de l’ADN. Parmi les autres groupes travaillant sur le sujet : celui du King’s College de Londres, où officiaient Maurice Wilkins et Rosalind Franklin. La suite est désormais connue : la renommée grâce au vol des travaux de Franklin avec la complicité de Wilkins.
Bardé du prix Nobel à seulement 34 ans, James Watson rejoignit alors Harvard. Il y créa un département de biologie moléculaire, mais sans faire de découverte majeure. En 1968, il reprit la direction du Cold Spring Harbor Laboratory à New York. Là encore, il brilla moins par ses travaux scientifiques que par ses talents d’administrateur : grâce à sa notoriété, il leva suffisamment de fonds pour donner une autre ampleur à sa nouvelle institution d’accueil, mais les archives scientifiques gardent peu de traces de ses recherches à cette période. 1968 est également l’année de la parution de son autobiographie, La Double Hélice. Dans ce texte, il s’acharna à dénigrer la personnalité de Franklin, décrite de façon totalement mensongère comme « acariâtre » et « désagréablement sexiste », alors même qu’elle était décédée depuis dix ans. Il faut dire que les critiques sur la paternité de sa découverte commençaient à se faire entendre.
Une lente décrépitude
En 1988, le gouvernement américain le nomma directeur du Projet Génome Humain au sein des National Institutes for Health, la principale institution de recherche médicale des États-Unis. L’objectif de ce programme était de séquencer l’intégralité de l’ADN du génome humain, en espérant de potentielles applications thérapeutiques. À sa tête, Watson se battit contre toute commercialisation de la génétique, notamment le brevetage des gènes, ce qui l’amena à démissionner du projet en 1992.
L’opposition de Watson à cette dérive commerciale ne l’empêcha pourtant pas de soutenir les théories les plus nauséabondes en matière de génétique.
Au cours d’une interview au journal britannique The Sunday Times en 2007, il déclara ainsi à propos des Africains : « Toutes nos politiques sociales sont fondées sur le fait que leur intelligence est la même que la nôtre, alors que tous les tests disent que ce n’est pas le cas. » Ajoutant qu’il espérait que tout le monde soit égal, mais que « les personnes qui ont affaire à des employés noirs trouvent que ce n’est pas vrai ». À une autre occasion, il a prôné l’avortement dans le cas où une femme porterait un enfant avec un « gène de l’homosexualité », gène qui n’existait que dans son esprit tordu. Les sorties racistes et eugénistes de Watson l’ont progressivement marginalisé et relégué dans le camp du déterminisme biologique le plus caricatural. À la sortie de La Double hélice, le biologiste Richard Lewontin a critiqué la manière dont Watson avait transformé une découverte cruciale en une histoire d’ambition personnelle et de mesquinerie : « Il a dévalué la monnaie de sa propre vie. » Cinquante-sept ans plus tard, la dévaluation est massive.
Simon Costes