Nos vies valent plus que leurs profits

Colère des éleveurs : une colère qui devrait être contagieuse

Depuis l’abattage de 208 vaches dans une ferme de l’Ariège à la fin de la semaine dernière, la colère monte chez les éleveurs. Les actions de blocage, comme sur l’A64 entre Toulouse et Bayonne, les barrages filtrants et les occupations de ronds-points ont été nombreux ce week-end, tout particulièrement dans le Sud-Ouest, qui est l’épicentre de la contestation.

Les raisons de la colère

Les éleveurs mobilisés s’opposent à l’abattage systématique du troupeau entier lorsqu’un animal a été testé positif à la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Ils revendiquent l’extension de la vaccination à tout le territoire et la mise en quarantaine des troupeaux concernés. Cette prise de position est portée par la Confédération paysanne, syndicat agricole classé à gauche, mais aussi par la Coordination rurale, qui est quant à elle étroitement liée à l’extrême droite. Des communiqués locaux communs qui semblent tout de même mettre Stéphane Galais, porte-parole de la Confédération paysanne mal à l’aise avec cette nouvelle « unité d’action » : « Ce n’est pas une convergence idéologique, la liste de nos désaccords est trop longue sur tous les autres sujets (…) ». Quant à Bardella, il fait mine de comprendre le désarroi des éleveurs, jusqu’à ce que les priorités des capitalistes se rappellent à lui. C’est bien en fonction de ces priorités financières que la FNSEA, syndicat représentant les plus gros exploitants et d’une agriculture productiviste et industrielle, guide les décisions gouvernementales : abattage de l’entièreté des troupeaux lorsque quelques animaux sont contaminés et vaccination concernant uniquement les troupeaux des régions touchées par l’épidémie. On peut en effet se demander pourquoi ne pas faire vacciner l’ensemble des troupeaux à travers le pays. Mais là aussi c’est une affaire de gros sous : au-delà du coût sans aucun doute élevé d’une opération d’une telle ampleur, la filière a exporté 1,3 million d’animaux l’année dernière, or, selon les standards internationaux, il ne serait plus possible d’exporter les bovins récemment vaccinés, car les anticorps provoqués par le vaccin leur feraient perdre leur statut « indemne de la maladie ». On le voit, pour la FNSEA comme pour le gouvernement, les enjeux économiques entrent clairement en contradiction avec l’urgence sanitaire.

Arnaud Rousseau, à la tête de la FNSEA, incarne d’ailleurs pleinement la défense de cette vision uniquement capitaliste : il prétend parler au nom des agriculteurs, mais il est surtout chef d’entreprise, directeur de la multinationale Avril, possédant de nombreuses marques telles que Isio4, Lesieur, Matines, Puget, etc. Pas étonnant que seuls priment les intérêts financiers, sans aucune considération pour le désarroi d’éleveurs pour lesquels des années, voire des générations, de travail, de sélection génétique des troupeaux, seraient réduites à néant., sans parler du traumatisme de voir leurs bêtes abattues. Quant aux promesses d’indemnisation de la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, ils ont bien raison de n’y accorder aucune confiance.

À la ville, comme à la campagne, le problème, c’est le capitalisme !

Les éleveurs sont majoritairement, à la différence des salariés, de petits indépendants, possédant leurs moyens de production. La part des salariés permanents ne représente que 20 % des emplois équivalents temps pleins (ETP) de la main d’œuvre agricole en 2020. Les petits patrons agricoles sont à leur manière victimes du système capitaliste, coincés entre les grands groupes qui leur vendent matériel et fourrage en amont, et ceux qui contrôlent la commercialisation du lait et de la viande en aval. Ceux qui se mettent à la tête de leurs mouvements mettent systématiquement en avant l’Union européenne, la concurrence internationale, comme les causes principales des difficultés qu’ils rencontrent pour pouvoir vivre de leur travail. Mais ce sont des grands groupes bien français comme Lactalis ou les enseignes de la grande distribution, qui leur achètent à moindre coût leurs productions.

Leur mobilisation actuelle peut nous concerner sous deux aspects. Les plus petits exploitants sont victimes d’un système productiviste qui contraint à des choix désastreux pour l’humain comme pour l’environnement et sur lequel les travailleuses et les travailleurs auraient leur mot à dire, car cela concerne toute la société. Mais aussi par le fait qu’ils savent se faire entendre et faire valoir leurs intérêts quand ils entrent en bagarre. Au moment où le gouvernement croit pouvoir nous faire avaler la couleuvre de son budget antisocial, où des entreprises toujours plus nombreuses licencient ou mettent la clé sous la porte, où nos salaires sont insuffisants pour vivre, nous aurions bien des raisons de nous faire entendre nous aussi sur nos propres revendications !

Lydie Grimal