Nos vies valent plus que leurs profits

Un 10 septembre mémorable : « En haut des couilles en or, en bas des nouilles encore… y’en a marre ! »

Le 10 septembre 2025 a été une belle journée de blocages, grèves, manifestations, qui a excité la verve populaire ! Nous consacrons quatre pages de notre journal no 41 aux grèves qui ont eu lieu dans le privé comme dans le public, parce que la grève reste pour les travailleurs le meilleur moyen de bloquer les profits de leurs exploiteurs, mais la journée du 10 a aussi été marquée par une floraison de rassemblements, manifestations, actions créatives qui sont nées elles-mêmes de centaines de rassemblements antérieurs, depuis août, sur des places ou lieux de travail ! Nos camarades en relatent ci-dessous un certain nombre, dans divers articles.

L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt pour travailler mais aussi pour bloquer ! Dès 4 heures du matin à Caen près de deux échangeurs du périphérique. Dès 5 heures du matin à Rouen, à ce célèbre rond-point des Vaches – carrefour logistique et stratégique de la lutte de classe, depuis la grève de 1995, et jamais abandonné par les Gilets jaunes depuis 2018. Au petit matin aussi sur les piquets des conducteurs de bus parisiens. À l’aube idem, à la porte de bahuts où les lycéens parisiens ou rennais se savaient attendus par des flics mobilisés contre eux par Retailleau ! Un pouvoir qui craint à ce point la jeunesse est mal parti. Et la répression énerve plutôt qu’elle décourage.

À Saint-Malo, ça tombait mal pour les principaux patrons de la région qui, sous l’égide du Medef et de notables locaux, avaient rendez-vous pour un forum économique. Pourtant jour de tempête ! Sous protection policière, ils ont dû franchir des haies de manifestants, ouvriers et lycéens, qui scandaient : « C’est qui les assistés ? C’est qui les parasites ? Les actionnaires ! »

Dans l’après-midi, c’est par milliers voire dizaines de milliers que les centres-villes (de Rouen, Nantes, Rennes, Lyon, Bordeaux, Lille, Grenoble…) se sont remplis de manifestants en colère. Le soir, par milliers encore à des rendez-vous et rassemblements ! Énormément de jeunes.

En ce 10 septembre, toutes les cases ont été cochées (grèves, manifestations, blocages), d’une mobilisation dont aucune des grandes structures politiques et syndicales nationales n’avait lancé le signal. De quoi donner confiance pour la suite. De quoi être plus nombreux le 18 septembre, en le préparant déjà par des initiatives et assemblées, dans des universités ou des hôpitaux. De quoi s’organiser – précisément à la base d’où l’élan est parti et où de multiples formes d’organisation démocratique doivent s’inventer, pour une même rage contre Macron, les riches et les patrons.

Michelle Verdier

 

 


 

 

À Rouen : les Vaches n’ont vu ni les camions… ni les trains !

C’est avec une certaine émotion que celles et ceux qui avaient décidé de se retrouver dès 5 heures du matin au rond-point des Vaches pour lancer la journée du 10 septembre dans l’agglomération rouennaise se sont vite aperçus que beaucoup de monde avait répondu à l’appel. Après quelques échanges de saluts encore endormis et la joie des retrouvailles autour du feu près de la cabane emblématique des Gilets jaunes, après le petit briefing des consignes « pour bien bloquer les camions », l’opération, très bien organisée du début à la fin, s’est lancée vers 5 h 15 avec 150 personnes. Une heure plus tard, on était 225. Ce sont environ 300 personnes qui se sont finalement relayées jusqu’à 13 heures pour empêcher des milliers de camions d’emprunter ce rond-point, point de passage obligé pour aller charger ou décharger des cargaisons sur toute la zone industrielle attenante, couverte de plateformes logistiques. Rond-point identifié depuis 1995 comme lieu de l’expression collective de la colère ouvrière à chaque grand mouvement social et jamais abandonné par les Gilets jaunes depuis 2018.

Parmi les « bloqueurs », il y avait un bon nombre de cheminots, notamment des ateliers de Quatre-Mares, tout proches, dans lesquels la grève a été fortement suivie dans de nombreuses équipes. Mais aussi des conducteurs de trains : un train sur deux n’a pas circulé le 10 en Normandie. Pendant huit heures, les discussions ont été nombreuses, d’abord avec les automobilistes un peu ralentis, mais solidaires et repartant avec un flyer les appelant à rejoindre la manifestation de l’après-midi à Rouen et l’assemblée-agora à la suite. Mais aussi entre les participants, vêtus de gilets syndicaux de différentes couleurs ou sans gilet, entre habitués des actions « en interpro » et « primo-manifestants », entre vétérans de 2018 et jeunes adeptes du « bloquons-tout ». Des expériences différentes mais une même rage contre Macron, les riches et les patrons et aussi une même envie de trouver ensemble la stratégie qui nous fera gagner cette fois !

Correspondants

 

 


 

 

À Rennes : mobilisation réussie, et après on continue !

Après des assemblées générales préparatoires organisées à la fac de Rennes 2 dès le 2 septembre, et qui ont réuni jusqu’à 500 étudiants, ainsi que des AG de ville qui ont réuni jusqu’à 600 personnes, c’est 20 000 personnes, dont une majorité de jeunes qui se sont retrouvés à la manifestation appelée par Solidaires en centre-ville, le 10 septembre. Des chiffres qui rappellent les manifestations de 2023 contre la réforme des retraites. Mais avant ça, dès l’aube, trois lycées étaient bloqués, coordonnés entre eux par des AG inter-lycées. Les lycéens ont défilé en cortège, derrière une banderole « sois jeune et révolte toi ! » Bien dit !

À l’université de Rennes 2, la présidence a fermé administrativement la fac par peur de la mobilisation, ce qui n’a pas empêché les étudiants de se retrouver à la manif, mais aussi d’appeler à une AG dès le lendemain qui a regroupé 300 personnes, pour préparer au plus vite les suites.

Des grèves ont eu lieu, notamment au Centre hospitalier Guillaume-Régnier, au CHU ou à la Star, le réseau de transports en commun, sans pour autant rejoindre la manifestation… Les travailleurs et travailleuses sociaux du Blosne, un des quartiers populaires de Rennes, avaient une banderole « Animation en lutte contre les budgets d’austérité ». Les flics ont attendu la fin de la manif, quand les manifestants se dispersaient pour répondre par les gaz lacrymos, les charges, les tirs de LBD, les interpellations et la violence, comme ils avaient fait le matin sur les blocages de rocade et de dépôt de bus, parce qu’ils savaient qu’ils ne pourraient pas réprimer 20 000 manifestants ! Pour la suite, à la manif rennaise comme ailleurs, il a fallu alerter sur le danger des fausses solutions institutionnelles. Les slogans qui disaient « C’est pas à l’Assemblée, c’est pas à Matignon qu’on obtiendra satisfaction, mais par la grève et par l’action », montrent la voie. Dès le 10 au soir, la journée du 18 était déjà « militée », sur les lieux d’études, sur les lycées, et la mobilisation de la jeunesse organisée en assemblée générale pourrait bien entrainer d’autres secteurs.

S’il faudra répondre à l’appel du 18, la question de la suite est déjà à l’ordre du jour de l’AG de Rennes 2… et c’est un appel à toutes les autres assemblées générales à faire de même !

Correspondant

 

 


 

 

Caen : Une journée pour relever la tête

Retailleau promettait d’empêcher tous les blocages, ce mercredi 10 septembre. À Caen, il n’en a rien été. Dès 4 heures du matin, des dizaines de personnes se regroupaient près de deux échangeurs du périphérique, puis les bloquaient une heure après. La préfecture a dû dévier la circulation dans l’agglomération. Les passages de camions ont saturé plusieurs axes intérieurs. Là où une circulation se maintenait, il était possible de distribuer des tracts. Et si certains automobilistes montraient leur hostilité, avec d’autres en revanche on pouvait argumenter pour la lutte, la grève et appeler à la manifestation du soir.

Un routier biélorusse s’arrête, demande sans trop y croire si la route pour Rennes est libre, puis ajoute : « Mais pourquoi vous bloquez ? » On s’explique. Son expression compatissante se colore d’une toute autre émotion quand il apprend que le mouvement s’oppose à des coupes budgétaires qui financeraient des dépenses militaires… qui pourraient servir un jour prochain contre son pays, c’est-à-dire lui et ses proches.

À 11 h 30, le dernier des points de blocage qui tenait encore est néanmoins enlevé par une charge de gendarmes mobiles. Pour durer davantage, il aurait fallu plus de monde sur les blocages, donc plus de grévistes. Mais s’il y avait eu plus de grèves et de grévistes, n’y aurait-il pas eu autre chose à faire sur le lieu de travail ? C’est avec le sentiment d’avoir fait leur possible – un bémol : les huit interpellations par la police… – que les participants ont reflué vers le centre-ville.

Dans l’après-midi, entre 300 et 400 étudiantes et étudiants se réunissaient en assemblée générale. La manifestation de 18 heures voyait affluer des masses impressionnantes, notamment de jeunes. Dans le défilé, les pancartes et les slogans ciblaient le gouvernement, les riches, mais aussi le RN. Étions-nous 10 000 comme l’évaluaient plusieurs manifestants ou seulement 5 000 comme le prétend Ouest-France ? Peu importe. Nous étions beaucoup et nous nous sommes sentis forts. Et c’est cela qui compte pour les temps à venir.

Correspondants

 

 


 

 

Saint-Lô (50) : Même la CFDT était là…

« Syndicaliste mais citoyen avant tout », annonçait le tract du syndicat de l’agroalimentaire SGA CFDT de la Manche. Autant dire qu’il ne partageait pas l’hostilité envers la mobilisation du 10 septembre de la direction confédérale CFDT. Au contraire : le syndicat appelait à la grève. Avec une réussite variable, allant de quelques unités ici et là à un impressionnant chiffre de 70 % de grévistes dans une laiterie proche de Saint-Lô. Dans une autre usine, à Saint-Lô, des intérimaires ont posé une journée de congé car, ont-ils dit, « si on se met en grève, c’est la porte ». Un bémol : les militants CFDT sont restés sur leur rond-point pendant que plusieurs centaines de personnes manifestaient en fin de matinée.

Correspondants

 

 


 

 

Vire (14) : tracteurs : 1, gendarmes : 0

Comment bloquer un gros rond-point quand on est une trentaine face à quatre voitures de gendarmes ? À l’entrée de Vire au petit matin du 10 septembre, il y avait heureusement des tracts pour s’adresser aux automobilistes.

Soudainement, trois tracteurs se rangent du côté des manifestants. Pas de quoi couper tous les accès du rond-point, certes, mais assez pour bien perturber la circulation. Les pandores font grise mine, consultent la hiérarchie, menacent de couper des câbles sur les tracteurs qui feraient sauter le frein à main. Sans impressionner les agriculteurs, qui n’en sont visiblement pas à leur coup d’essai. L’heure de la manifestation approchant, on lève le camp vers le centre-ville. Les gendarmes respirent. Pas longtemps, car le défilé sitôt terminé, c’est le rond-point de la Porte horloge, au cœur de Vire, que les tracteurs bloquent. Nouvelles menaces gendarmesques. Mais des dizaines de manifestants entourent cette fois les tracteurs, comme pour les protéger. Pendant ce temps, une autre partie du cortège s’en va en fanfare – la batucada du bocage est de la partie – vérifier que la permanence de la députée du coin, Élisabeth Borne et son remplaçant, est toujours aussi vide.

Correspondants

 

 


 

 

Saint-Malo : coup de colère contre le forum du Medef

Le 10 septembre coïncidait à Saint-Malo avec l’ouverture du Forum économique breton, qui rassemblait les principaux patrons de la région sous l’égide du Medef et des notables locaux. Ceux-ci, pour accéder au palais du Grand Large qui abritait leurs festivités, placée sous protection policière, furent obligés de passer entre des haies de manifestants très remontés qui scandaient : « C’est qui les assistés ? C’est qui les parasites ? Les actionnaires ! »

Une centaine de manifestants les attendaient depuis huit heures du matin, bientôt rejoints par une centaine d’autres partis du lycée Jacques-Cartier. Parmi eux, une trentaine de lycéens dont l’un des slogans favoris était « Mangez les riches ! »

Dans la foule, qui augmenta au fil de la matinée, on remarquait les drapeaux de syndicalistes d’EDF, de la Caisse des marins, de la santé, des élèves de l’Afpa, un groupe féministe dont les pancartes proclamaient « Contre le capital, contre le patriarcat , même combat ! ». Beaucoup de jeunes, et en particulier de jeunes femmes. Les patrons ont donc été obligés de subir leur colère pendant plus de quatre heures. Pour ceux qui auraient été sourds à leurs cris, diverses pancartes avaient été accrochées sur les vitres du palais « Racket », « Rendez l’argent », « Du fric pour l’hôpital, pas pour le Rafale ! »

Correspondant