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Adrexo-Milee : « Il va falloir se battre pour que les actionnaires payent »

Dix-mille salariés de Milee (ex-Adrexo) dont l’activité est essentiellement la distribution de plis publicitaires « non adressés » subissent un énorme plan de licenciements, le plus important depuis quarante ans d’après L’Humanité, qui concerne l’ensemble des 10 000 travailleurs et travailleuses du groupe. Malgré l’ampleur du désastre, cette affaire ne fait pas l’objet d’une grosse couverture de presse et n’a pas, pour l’instant, provoqué de mouvement de grève ni de manifestations. Mais c’est bien la lutte qui est à l’ordre du jour dans tous les secteurs contre les plans de licenciements et les suppressions d’emplois.

Interview de Charles, représentant syndical Sud PTT

Quelles sont les conditions salariales chez Milee ?

Je suis salarié depuis 19 ans dans l’entreprise. J’ai été distributeur puis manutentionnaire pendant 13 ans avant de devenir agent de maîtrise en 2018 dans le 78. Avec cette ancienneté et six ans sur mon poste, je gagne 1 790 euros par mois, toutes primes comprises. La majorité des salariés sont non seulement au Smic, mais aussi en temps partiel. Nous sommes 10 000 travailleurs et travailleuses, mais seulement 3 500 « équivalents temps plein ». Une part importante de nos collègues sont des retraités qui compensent leurs faibles revenus avec un salaire d’appoint. Au printemps 2024, 1 700 salariés avaient plus de 70 ans.

Que va-t-il se passer pour ces retraités ?

En fait rien. Ils et elles cotisent aux caisses chômage et retraite mais n’ont aucun droit en cas de licenciement. C’est le retour à la case départ après s’être usés la santé au travail. Dans mon centre (environ 50 personnes) il y a eu deux morts de « vieillesse » cette année. C’est la norme dans la boite.

Il y a donc beaucoup d’anciens et d’anciennes, pas de limite d’âge, alors que le travail est physique ?

Non il n’y a pas de limite. Dans un bilan, le plus vieux salarié était dans la tranche d’âge 95-100 ans ! Le travail consiste à distribuer de la publicité et des plis « non adressés ». Les salariés se rendent dans un dépôt, prennent en moyenne 200 à 300 kg de papier avec leur véhicule personnel et le distribuent : une activité physique et usante. Un actionnaire a ironisé dans la presse en déclarant que cela évitait aux retraités « de payer un abonnement à la salle de sport ».

Un patron très décomplexé, comme l’ensemble des actionnaires. Ils ont touché des dividendes cette année ?

Oui, ils ont retiré 72 millions, en dividendes ou en épongeant la dette de Milee à la maison mère, Hopps. Ces actionnaires rachètent des entreprises pour les vider de leur substance. En 2019, alors que ça faisait deux mois qu’on avait nos salaires en retard, ils finançaient un tournoi de golf à Aix-en-Provence. Depuis novembre dernier, on ne touchait plus nos salaires normalement. Et depuis la liquidation, on n’a plus de revenu. On ne touche même pas le chômage, car on attend les documents de l’entreprise.

Pourquoi les actionnaires liquident-ils cette entreprise lucrative basée sur l’exploitation la plus éhontée ?

Depuis les années 2000, le marché de la publicité non adressée était partagé entre La Poste (via Médiaposte) et Milee. Le volume diminue, surtout à cause des mesures dites « écologiques » qui ne sont même pas encore obligatoires. Les patrons ont anticipé : La Poste a fermé Médiaposte début 2024, supprimant 4 000 emplois sans annonce officielle. Chez Milee, la direction a lancé un plan social avant la liquidation : 10 000 emplois supprimés, mais les actionnaires s’en sortent indemnes. Ils conservent des actifs comme le siège social et pourraient recommencer leur prédation ailleurs.

L’annonce a été brutale, mais il n’y a pas de mouvement ni de grève, comment expliques-tu cela ?

Dans la presse, j’ai vu l’Huma, Mediapart et Rapports de force mais pas grand-chose d’autre. Pour tout te dire, j’étais content quand un copain m’a filé un bulletin postal de LO dans lequel il y avait un petit article sur nous.

En interne sur le terrain, c’est un peu compliqué. Il y a 40 % de turn-over par an. Le travail est très individuel donc personne ne se connaît : on passe au maximum une heure par semaine dans les dépôts. On n’a plus vraiment de collectif de travail. En plus de cela, les syndicats majoritaires le CAT et le SASD sont des syndicats maisons qui font tout pour que rien ne se passe. Sud n’est pas représentatif, la CGT fait à peine plus de 10 % et nos réseaux militants sont faibles. L’appel de la CGT le 8 octobre n’a réuni que 100 personnes dont une dizaine de salariés.

Comment vois-tu l’avenir immédiat ?

Ce n’est pas facile de répondre, nous sommes toutes et tous dans une situation compliquée et sans revenus à l’heure actuelle, car les payes ne sont pas tombées depuis septembre. Il va falloir se battre pour que les actionnaires payent, pour que La Poste (qui va récupérer tout le trafic) reprenne les salariés qui le souhaitent et pour que les retraités voient leur travail supplémentaire valorisé d’une manière ou d’une autre. Tous les travailleurs qui sont révoltés par notre situation, ou qui s’y reconnaissent, peuvent nous aider en en parlant à leurs collègues ou dans leur syndicat. Cela nous sortirait de l’isolement et nous donnerait confiance.

Correspondant