Donald Trump a donc été réélu président des États-Unis. Et, cette fois, il obtient non seulement la majorité des grands électeurs, mais la majorité des voix dans le pays. Il conquiert en même temps la majorité au Sénat et conservera probablement la majorité à la Chambre des députés.
Une élection qui se traduira par la poursuite, voire l’accélération, des attaques contre les classes populaires dont le pouvoir d’achat a déjà été miné par l’inflation. L’élection d’un homme coupable de viol est une insulte à toutes les femmes ; d’un homme ayant tenu des propos racistes une menace pour tous les travailleurs migrants et, au-delà, pour tous les travailleurs.
Mais cela n’explique pas que des Noirs, des Latino-Américains, eux-mêmes en butte au racisme et à la xénophobie, se soient détournés de leur vote traditionnel pour le Parti démocrate. Cela n’explique pas que les dirigeants d’organisations syndicales, comme ceux du puissant syndicat des camionneurs, aient refusé d’appeler à voter pour la candidate démocrate, traduisant sans doute le penchant de certains d’entre eux pour Trump et sa démagogie populiste.
Que des travailleurs, des pauvres, des hommes victimes du racisme, des femmes victimes du sexisme votent pour un candidat milliardaire, raciste et violeur peut paraître aberrant. Mais il faut aussi se demander pour quelles raisons ils se sont détournés d’une femme candidate noire se réclamant, verbalement au moins, du monde du travail.
Le Parti démocrate a été au pouvoir, à travers le ticket Joe Biden-Kamala Harris, depuis quatre ans. Arrivé alors qu’on n’était pas encore sorti de la crise du Covid, Biden a mobilisé des centaines de milliards pour, officiellement, relancer l’économie. En réalité, pour subventionner les grandes entreprises. Face à l’inflation qui a rongé le pouvoir d’achat, cette fois pas de milliards, aucune mesure contre les acteurs et profiteurs de l’inflation : rien n’a été fait en faveur des classes populaires. Après avoir dénoncé la politique raciste de Trump vis-à-vis de l’immigration, Biden-Harris – car c’est cette dernière qui supervisait les questions d’immigration dans l’administration Biden –, ont durci les conditions de séjour et d’expulsion vis-à-vis des migrants arrivant du Mexique. Et, face à une police raciste qui continue de persécuter, voire tuer les Noirs, rien n’a été fait non plus, dans la lignée de l’inaction de Barack Obama.
Sur le plan international, Biden a prolongé la politique agressive de l’administration Trump vis-à-vis de la Chine, l’intensifiant même avec des menaces militaires à propos de Taïwan. Biden a poursuivi sa politique d’affaiblissement de la Russie à travers la guerre en Ukraine. Il a ouvert des crédits illimités pour soutenir la politique génocidaire de Netanyahou à Gaza et, aujourd’hui, au Liban, malgré le risque que, demain, la guerre s’étende dans tout le Moyen-Orient.
Autant de raisons pour ce qui apparaît comme une défaite de Kamala Harris et des Démocrates, plutôt qu’une victoire de Trump et des Républicains.
Il ne sert à rien de s’étonner du fait que l’Amérique se soit tournée vers un homme qui apparaît comme incohérent et illuminé. Derrière lui, il y a des équipes qui défendent le fric, ceux qui en ont et en veulent toujours plus, une politique à l’international comme sur le plan intérieur.
Sur le plan international, il mènera sans doute une politique brutale et décomplexée, défendant un nationalisme exacerbé, exigeant l’ouverture des marchés des autres tout en dressant des barrières douanières à l’entrée des États-Unis. Renouer avec Poutine, dont le système impérialiste dans son ensemble a besoin pour faire régner l’ordre dans une partie du monde, fait partie des options possibles de la bourgeoisie américaine – le peuple ukrainien ne compte pas plus pour Trump que pour Biden.
Sur le plan intérieur, derrière Trump, il y a un Elon Musk dont on se fiche pas mal de savoir s’il est réellement complotiste ou si c’est une posture démagogique. Elon Musk est un libertarien, partisan de l’effacement quasi complet de l’État devant les entreprises capitalistes. Trump lui a promis de le charger de la réforme de l’État – et l’on voit dans l’Argentine de Milei à quel point des dirigeants libertariens peuvent supprimer tout ce qui permet aux classes populaires de garder un peu la tête hors de l’eau. Oui, il faut s’attendre à ce que l’administration Trump s’en prenne aux services publics, à tous les budgets sociaux.
Alors… Défaite pour le camp des travailleurs ? Pas tout à fait ! Les attaques de l’administration Trump sont à venir. Des travailleurs, de leur côté, ont déjà entamé le combat contre la ruine de leur pouvoir d’achat. Des combats victorieux, non seulement dans l’automobile l’an dernier, mais il y a seulement deux jours dans l’aéronautique, avec la victoire des travailleurs de Boeing qui ont obtenu 38 % d’augmentation de leurs salaires sur quatre ans.
Les combats sont à venir. Il est probable que l’administration Trump intensifie la répression contre les militants ouvriers – l’arsenal juridique en place aux États-Unis, comme dans tous les États prétendument démocratiques, le permet déjà. Mais les travailleurs n’ont d’autre choix que de se battre sur le seul terrain où, pour eux, les dés ne sont pas pipés par avance : la lutte de classe.
Jean-Jacques Franquier
(Une version, plus courte, de cet article sous forme d’éditorial est disponible)