Les travailleurs se sont massivement mis en grève le 24 janvier contre les attaques multi-sectorielles du nouveau président d’extrême droite. Une réponse populaire rassurante mais qui devra se poursuivre bien au-delà d’une seule journée de mobilisation pour l’emporter. Prochain rendez-vous mardi 30 janvier.
Écrit avec l’appui de l’entretien de Cele Fierro, législatrice pour la commune autonome de Buenos Aires, province de la capitale argentine.
« La réussite du 24 janvier renforce la combativité des travailleurs », s’enthousiasme Cele Fierro, députée fédérale du Mouvement socialiste des travailleurs (MST). La classe ouvrière a répondu présent mercredi 24 janvier dans des rues argentines. Les organisateurs revendiquent 1,5 million de manifestants et 5 millions de grévistes ! Élu depuis le 10 décembre, Javier Milei, le nouveau président ultra-libertarien, aura mis quatre jours avant de passer à l’offensive. Sa « loi omnibus » de 664 articles et son « DNU », décret de nécessité d’urgence, de 336 articles frappent tous les fronts : droits du travail, sociaux, démocratiques, féministes et LGBT, culturels… Parmi ces paquets de lois figurent des coupes budgétaires sans précédent sur tous les services publics, la libéralisation totale du Code du travail (restriction absolue du droit de grève), la réduction des congés maternité, la fin de l’encadrement des loyers, la normalisation du travail non déclaré… Milei entend aussi revenir sur le droit à l’avortement obtenu en 2020 et nier officiellement l’existence des personnes transgenres (reconnue depuis 2012). Le tout dans un contexte de pauvreté qui s’intensifie avec une inflation mensuelle de 25 %. Les grands médias reprennent activement sa propagande dans laquelle il désigne les mouvements populaires comme responsables de tous les maux du pays : mouvement féministe, piqueteros, syndicats. Ainsi, la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, tente d’instaurer un protocole « anti-piquetes » pour criminaliser toute mobilisation sociale, en privant notamment d’aides sociales celui qui entravera la circulation. Elle entend interdire les rassemblements de plus de trois personnes et même faire payer aux organisateurs les frais de déplacement des flics qui viennent réprimer la manifestation !
La grogne populaire réveille les syndicats
Pour la première fois en quatre ans, les syndicats appelaient à une grève générale nationale le 24 janvier, en plein été. Péronistes1, ils avaient fidèlement accompagné le précédent gouvernement Massa tout du long. Cette fois, la colère les déborde. Moins d’une heure après l’annonce de Milei de sa loi omnibus, la réaction populaire a été conséquente : ce 20 décembre, jour anniversaire de l’Argentinazo2 (grande commémoration de la mobilisation populaire de 2001), des dizaines de milliers de manifestants se rendaient devant les tribunaux fédéraux de chaque province et entamaient une grande casserolade jusque trois heures du matin pour refuser les attaques de Milei. Cette mobilisation spontanée constituait une première déroute express pour le protocole répressif de Bullrich.
Pour éviter de se couper définitivement des travailleurs, les trois principales centrales syndicales (CGT, CTA-T et CTA-A) ont été contraintes d’annoncer une journée de mobilisation… un mois après. « Les bureaucraties péronistes veulent éviter tout type d’expression indépendante, affirme Cele Fierro. En vue du 24 janvier, certains secteurs de la CGT et des CTA ont même signé des accords pour des baisses de salaire. » Mais certains secteurs, très localisés toutefois, n’ont pas attendu le signal bureaucratique national pour lancer leurs grèves début janvier.
Milei à Davos, symbole d’une politique mondiale
Alors qu’il souhaitait frapper fort et miser sur la rapidité pour passer à autre chose, Milei s’embourbe au Parlement. Minoritaire, il est contraint de négocier avec la droite, cette « caste politicienne » qu’il prétendait dénoncer durant sa campagne mais qui lui permet de gouverner à son tour. Cele Fierro ne se fait pas d’illusions : « Les députés de “l’opposition du dialogue” négocient quelques amendements contre le vote de la loi. On n’attend rien du Congrès, où se négocie un projet contre la population. Seule la rue pourra tordre le bras du gouvernement. » Malgré quelques points de blocage qui feront l’objet de négociations de palais – comme celui concernant la privatisation de YPF, la juteuse entreprise pétrolière publique –, la bourgeoisie réserve aux travailleurs, privés de tout, une austérité drastique et une extrême exploitation. Plus qu’une situation exotico-dramatique, le cas argentin pourrait servir de laboratoire à la bourgeoisie mondiale, à en croire l’enthousiasme des dirigeants au forum de Davos. Au ghetto suprême de la grande bourgeoisie, une standing-ovation concluait son éloge caricatural et inhumain du libéralisme. Et pour cause, abaissement des taxes à l’importation et incitation aux investissements étrangers, sans restriction : du pain béni pour les plus grands patrons. En octobre dernier, Stellantis (ex-PSA) achetait déjà 20 % de l’entreprise Argentina Lithium & Energy. La belle affaire pour Macron et ses copains, lui qui a été le premier à soutenir Milei après son élection en s’affichant avec un maillot de foot argentin spécialement dédicacé.
Résistance populaire et ouvrière
À l’opposé, dans notre camp, le FIT-U, alliance des partis d’extrême gauche, tente de peser sur les syndicats pour réclamer un « vrai plan de lutte », sentant un rapport de forces favorable et surtout l’urgence de construire une grève générale illimitée. Le service public – la santé, les fonctionnaires administratifs, les enseignants et les cheminots – est particulièrement mobilisé mais « l’effervescence générale touche aussi les entreprises privées comme le pneumatique, et même les secteurs encadrés par la bureaucratie de la CGT », note la camarade du MST. Partout depuis un mois, malgré la répression policière et contre la volonté des syndicats, les assemblées fleurissent dans les quartiers, les organisations piqueteras, les entreprises. Ces cadres, dirigés à la base et coordonnés entre eux, permettent notre unité et donc notre force. Seule cette manière nous garantit qu’aucune bureaucratie ne puisse mener nos luttes dans une impasse ou brader nos acquis contre de nouvelles concessions. « Le débat avec la CGT porte sur la suite, poursuit-elle. Nous voulons construire un plan de lutte démocratiquement depuis la base, en assemblées. La bureaucratie cherche des canaux de négociation, ne veut pas que la mobilisation s’amplifie et n’a pas annoncé de nouvelles échéances le 24 au soir. Nous [avec le FIT-U] avons donc fixé un prochain rendez-vous mardi 30 janvier, jour du vote à l’Assemblée. »
Pour Cele Fierro, la solidarité internationale avec la mobilisation argentine est nécessaire. Souvent à l’initiative d’expatriés désireux de soutenir la lutte qui s’amorce en Argentine, des collectifs se forment et, mercredi 24 janvier, un rassemblement a regroupé 300 personnes à Paris, au rythme des chants et tambours, dans la fidèle tradition latine.
Lamine Siout
En vidéo : au rassemblement à Paris du 24 janvier
1 Courant politique longtemps majoritaire en Argentine, le péronisme naît du général Perón, président à trois reprises avant la dictature (1946-1955). De la gauche réformiste au centre droit, le péronisme revendique un État providence fort et un idéal de conciliation de classes et de justice sociale. Comme la CGT, le gouvernement sortant de Massa s’en réclamait.
2 L’Argentinazo est un mouvement populaire qui a eu lieu en 2001 dans un contexte croissant de lutte contre la pauvreté et le chômage, déclenché par une crise du système bancaire qui a rendu indisponible les salaires et a entraîné la démission de cinq gouvernements successifs.