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Bangladesh : le gouvernement prêt à tout pour briser la révolte ?

Manifestation, 21 juillet (crédit : NetraNews)

Article rédigé le 28 juillet 2024

Après un premier recul face au mouvement étudiant avec le passage de 30 % à 5 % des quotas réservés aux descendants des « héros de l’Indépendance »1 dans la fonction publique, une partie des porte-parole étudiants de l’organisation Students Against Discrimination appellent à mettre fin à la mobilisation2, alors que la terreur policière continue de frapper le pays.

Students Against Discrimination appelle à mettre fin aux manifestations

Une semaine après que SAD a appelé à une première « pause » lundi 22 juillet, puis à une seconde mercredi 24, l’organisation déclare maintenant la fin de la mobilisation « dans les intérêts du public », étant donné que « le gouvernement a déjà répondu à notre revendication [une réforme rationnelle du système de quota]. » Ainsi, trois porte-parole du SAD affirment la victoire du mouvement, et demandent la réouverture des lieux d’études fermés depuis le 16 juillet dans l’ensemble du territoire.

Ces déclarations font cependant suite à l’incarcération de ces étudiants. D’autres coordinateurs, comme Abdul Kader, ne reconnaissent pas cette déclaration qu’ils jugent montée de toute pièce par la police. Ils appellent au contraire à maintenir la mobilisation tant que le gouvernement n’aura pas répondu à leurs demandes : « La nation ne sera pas trompée. Le mouvement va continuer tant que la justice n’aura pas été rendue pour celles et ceux qui sont morts. »

En effet, non seulement le système général des quotas reste en place et ouvre ainsi la possibilité au gouvernement de repartir à l’assaut plus tard, mais c’est bien le régime Hasina lui-même que les étudiants veulent faire tomber.

(Crédit : @Mushfique07 (Twitter), « L’armée prend position à l’arrêt de bus Azampur »)

Le choix de la répression pour briser l’élan populaire

La mobilisation étudiante des dernières semaines a ébranlé le gouvernement bangladais, au point de susciter des sympathies dans le reste des classes populaires du pays. Pour empêcher que cette contestation fasse traînée de poudre, le parti au pouvoir, la Ligue Awami, a fait le choix d’écraser dans le sang la mobilisation : tout d’abord en envoyant son organisation de jeunesse s’affronter physiquement avec les étudiants mobilisés, puis en dépêchant la police, puis l’armée afin de « rétablir l’ordre » face au « chaos ». Le gouvernement n’a pas lésiné sur les calomnies, déclarant que les étudiants étaient des « traîtres à la nation » (razakars) ou des pions du parti politique bourgeois d’opposition, la BNP, qui a pourtant attendu trois semaines pour soutenir le mouvement, voire des agents de l’étranger.

L’appel à une « pause » de Students Against Discrimination lundi dernier, pour panser les blessures et demander la fin des couvre-feux, le rétablissement d’internet et l’arrêt de la répression, n’a pas mis fin à la fuite en avant répressive. La police et les milices paramilitaires continuent de faire régner la terreur dans les rues, tandis que le rétablissement progressif d’Internet ne concerne pas les réseaux sociaux privilégiés par les étudiants : hors de question de les laisser s’organiser ! Dans les hôpitaux, les forces de police confisquent les registres des décès afin de couvrir l’importance de leurs massacres (les chiffres officiels décomptent 201 morts et les étudiants plus de 15 000 blessés3).

Les porte-parole de Students Against Discrimination, comme des centaines d’opposants au régime, ont été victimes d’enlèvement et de séances de torture, comme Nadih Islam qui a raconté avoir été arrêté par vingt officiers de police, puis emmené de force dans une salle avant d’être interrogé, puis torturé mentalement et physiquement. La terreur déployée par le régime vise à briser les étudiants, comme Faria, une étudiante de 23 ans qui a participé aux manifestations à Dhaka et raconte que la violence exercée par la police continue de la tenir éveillée la nuit.

La répression touche aussi la diaspora bangladaise, qui a organisé des rassemblements de soutien aux quatre coins du monde, menacée de perdre le renouvellement des visas en cas de soutien au mouvement ou de propagation d’informations qui « trompent le peuple »4. La Première ministre se met en scène, pleurant les destructions d’infrastructures, notamment celles du pouvoir, et accuse encore une fois les « traîtres » et les « ingrats » qui ne voient pas tout ce que leur apporte leur gouvernement. Aucun mot, évidemment, pour les milliers de blessés ou pour les morts accusés de manifester pour attenter à la prospérité du pays : comme si la violence économique était le fruit des manifestations et pas des politiques capitalistes des classes dirigeantes !

Un régime aux ordres du patronat

Tous les partis (même oppositionnels) défendent en effet les intérêts des capitalistes locaux et étrangers : le gouvernement s’est bien assuré que l’industrie textile continue de tourner malgré les couvre-feux et la désorganisation qu’ils causent ! Sheikh Hasina, la « massacreuse des étudiants », s’est faite garante de l’ordre capitaliste et de la propriété privée. Tout a été fait par le gouvernement pour empêcher toute jonction entre travailleurs et étudiants, avec la mise en place de « cordons sanitaires » autour des usines5 après que les syndicats du textile ont pris position pour les revendications des jeunes6. Évidemment, une telle jonction taperait là où ça fait mal, attaquant le fondement du pouvoir des classes dirigeantes, là-bas et ici.

Une telle mobilisation des travailleurs aurait en effet aussi frappé les capitalistes étrangers et les puissances impérialistes qui soutiennent, par leur silence, les massacres commis par l’État bangladais, malgré les alarmes des Nations unies. Sans même que les travailleurs se soient mis en grève, la désorganisation causée par les couvre-feux, les coupures d’Internet, etc., inquiète les donneurs d’ordres qui questionnent les patrons d’usine bangladais pour savoir si les commandes seront produites à temps7. Imaginez si les travailleurs décidaient d’arrêter la production, au moment même où le patronat leur fait multiplier les heures supplémentaires en pleine terreur policière !

Le blackout médiatique organisé par le gouvernement Hasina arrange bien le reste du monde capitaliste, qui profite des Jeux olympiques pour passer sous silence les contestations qui grondent sur toute la planète. La solidarité entre exploiteurs passe aussi par des emprisonnements, comme aux Émirats arabes unis, où cinquante-sept manifestants anti-quota ont été emprisonnés, dont trois à vie, un à onze ans de prison et les cinquante-trois autres à dix ans de prison pour « rassemblement et incitation à l’émeute. »8

« Alors, on a perdu ? »9

Sur les réseaux sociaux, de nombreux jeunes se désespèrent de l’appel à l’arrêt de la lutte par certains dirigeants du SAD (« Ils ont tué un lycéen […], un garçon qui est mort dans la salle médical du campus. Ils croient vraiment que je vais tourner la page ? ») tandis que d’autres coordinateurs du SAD affirment continuer la mobilisation face à une déclaration « écrite par les services de renseignement. » La terreur répressive et les provocations du gouvernement ont peut-être désorganisé momentanément l’élan populaire, mais pour combien de temps ? Comme le rapportait un opposant exilé au Guardian10 : « Le gouvernement croit peut-être qu’il a gagné, mais ce n’est pas le cas. Le mouvement est dans une phase de repos mais il reviendra plus fort. La première ministre s’affaiblit de jour en jour. La prochaine fois, un couvre-feu ou même l’armée ne suffiront pas à réprimer le peuple. »

D’après des vidéos publiées sur les réseaux sociaux, les manifestations étudiantes semblent avoir repris lundi 29 juillet à l’université de Rajshahi11.

La colère persiste chez les manifestants et l’ampleur de la mobilisation, malgré son ralentissement, a ébranlé le pays entier. Elle ne permettra peut-être pas au « cordon sanitaire » d’empêcher les travailleurs de rentrer dans la bataille.

Ce sont eux qui payent la crise économique qui s’est renforcée depuis le 16 juillet, avec les coupures d’Internet, des fréquentes coupures de courant, des destructions d’infrastructures et la perturbation de l’approvisionnement. Les prix pour les premières nécessités telles que la nourriture ou l’électricité ont encore augmenté, et les patrons font payer les retards sur leurs commandes internationales en multipliant les heures supplémentaires et en ouvrant les usines le week-end.

Ici et ailleurs, rejoignons les rassemblements et montrons notre solidarité avec les étudiants bangladais qui subissent la répression avec le silence complice des puissances impérialistes !

26 juillet 2024, Stefan Ino et François Cichaud

 

 


 

 

1  https://npa-revolutionnaires.org/manifestations-au-bangladesh-le-gouvernement-recule-jusquou-ira-la-revolte-populaire/

2  https://www.dhakatribune.com/bangladesh/dhaka/352974/quota-reform-movement-coordinators-announce-end-of

3  https://www.wsws.org/en/articles/2024/07/27/dyyh-j27.html

4  https://x.com/thedavidbergman/status/1816764639847256156?s=46

5  https://www.marxist.com/rci-statement-on-bangladesh.htm

6  https://www.leftvoice.org/a-student-movement-sets-out-to-conquer-bangladesh/

7  https://www.thedailystar.net/business/economy/news/rmg-factories-resort-weekend-production-minimise-loss-3663531

8  https://www.aljazeera.com/news/2024/7/22/uae-hands-57-bangladeshis-long-term-jail-terms-for-protests

9  https://x.com/DillDiyanGallan/status/1817587190316359713

10  https://www.theguardian.com/world/article/2024/jul/26/bangladesh-student-protests-mass-movement-against-dictator

11  https://x.com/doamuslimsbn2/status/1817814019123912777