Culte, série télévisée créée par Matthieu Rumani et Nicolas Slomka
Six épisodes de 45 minutes, disponible sur Amazon Prime
Éloge de la télé-réalité ?
Disponible sur Amazon Prime, la série Culte propose de revenir en six épisodes sur la toute première émission de télé-réalité française : Loft story. On y découvre les dessous de ce programme télé à la limite du voyeurisme qui a marqué toute une génération.
La série propose de suivre deux femmes aux antipodes l’une de l’autre. D’un côté, Isabelle, l’ambitieuse productrice de l’émission, est très largement inspirée d’Alexia Laroche-Joubert la grande papesse de la télé-réalité française, issue d’une famille bourgeoise qui voit d’ailleurs d’un mauvais œil cette émission vulgaire. Ce sera un des ressorts de la série. De l’autre, Loana, une mère célibataire, danseuse en boîte de nuit, contrainte d’abandonner sa fille et dont le personnage est calqué en tout point sur la véritable première gagnante de l’émission. Le Loft, empreint d’un sexisme sauce années 2000, l’enfermera dans le rôle d’une parfaite poupée – ce dont elle souffrira, sans jamais réussir à s’en émanciper.
Si les ressorts scénaristiques se répètent un peu au cours des épisodes, cette mini-série est éclairante sur le microcosme créé par le Loft : recherche de personnages stéréotypés, ou poussés au stéréotype par la production, diffusion d’images intimes sans l’accord des intéressés, manipulation des participants et du public… Le voyeurisme est au cœur de la série par un jeu de mise en abyme – le spectateur réel regarde des producteurs pseudo fictionnels scruter jour et nuit les moindres faits et gestes de candidats et en faire des clichés ambulants (la bimbo, l’insupportable bellâtre, etc.).
Elle montre également l’évolution du paysage audiovisuel français amorcé par cette émission qui en a inspiré des dizaines d’autres pendant les deux décennies suivantes, lorsque tous les grands groupes de télévision voudront une part du gâteau, non sans l’avoir au départ honni. En effet, les personnages inspirés des très propres sur eux Patrick Le Lay (TF1) et Nicolas de Tavernost (M6), qui s’étaient bouché le nez pour des raisons morales, ont fini par céder aux sirènes du gain en se jetant sur ces programmes, appâtés par les bonnes audiences.
On oscille entre l’envie de dénoncer le mépris de classe qui peut animer les détracteurs du Loft et celle de dénoncer l’appétit de ceux qui, sous couvert de tolérance et de diversité, usent et abusent de l’image de Loana et capitalisent sur sa triste histoire. La série est clairement écrite du point de vue, et parfois à la gloire, d’Isabelle/Alexia Laroche-Joubert (qui la produit, on n’est jamais si bien servi que par soi-même). Cet élément donne lieu à plusieurs scènes un peu surréalistes où le téléspectateur est poussé à se réjouir de l’échec de l’inspection du travail à pénétrer le plateau du Loft ou encore de la manière dont la production se met le CSA dans la poche.
Pour un portrait un peu plus en demi-teinte des producteurs de télé-réalité, on pourra se tourner vers la série américaine Unreal, également disponible sur Prime vidéo et TF1 Série. Cette série est aussi créée par une ponte de la télé-réalité, américaine cette fois, Sarah Gertrude Shapiro, qui a contribué au Bachelor américain pendant neuf saisons. À l’inverse d’Alexia Laroche-Joubert, elle a totalement rompu avec ce milieu et en propose donc une approche plus incisive. Unreal met en scène la production d’une série de télé-réalité de type Le Bachelor : le personnage principal, Rachel, est tiraillé entre ses convictions féministes « à la ville » et la réalité de son travail. Son rôle de showrunneuse d’émission est de manipuler les candidates au confessionnal, quitte à mettre à mal leur image en les poussant sans cesse au drame et à la rivalité, pour gagner le cœur du Bachelor… et des parts d’audimat.
Emma Martin