Ces dernières semaines des groupuscules d’extrême droite, de plus en plus armés et violents, ont multiplié leurs apparitions de rue, pouvant aller jusqu’à des expéditions punitives dans certains quartiers populaires. Cela se produit dans un contexte de montée de l’extrême droite partout dans le monde, dans cette période où l’on voit des personnalités d’extrême droite jusque-là marginales devenir présidents – aux États-Unis, au Brésil, en Inde, mais aussi en Hongrie, en Italie, et dernièrement en Argentine et aux Pays-Bas. De petits groupes armés sont en train de se forger. Ils présentent un risque important pour les travailleurs d’origine étrangère, mais aussi pour le mouvement ouvrier dans son ensemble, dont ils sont l’ennemi mortel.
Une multiplication des attaques racistes
Après la mort à Crépol du jeune Thomas lors d’une rixe, assimilée à un crime « anti-blanc » par l’extrême droite et la droite qui lui court après, des groupes de militants venus de toute la France se sont organisés pour en découdre, munis de barres de fer. À Romans-sur-Isère, le 25 novembre, 80 militants d’extrême droite sont venus s’affronter aux habitants du quartier de la Monnaie, aux cris d’« Islam hors d’Europe ». La population du quartier s’est défendue en en neutralisant certains, dont l’un de leurs militants du groupe d’un dénommé « Gros Lardon », qui s’est fait tabasser en pleine rue. Mais ces nervis d’extrême droite ont blessé plusieurs jeunes et ont utilisé des tirs de mortier, y compris contre la police qui en a interpellé 17. Parmi eux, des membres d’un groupe de néo-nazis franciliens, Division Martel, ou encore de Vandal Besak, un groupuscule appartenant à la mouvance « nationale-révolutionnaire », dite de « troisième voie », qui se prétend distincte à la fois du capitalisme et du communisme – on remarquera le parallèle avec l’appellation « national-socialiste » des nazis des années 1930. Une mouvance dont les membres semblent bien être responsables de nombreuses agressions dans le Doubs. Et tout ce beau monde est organisé dans un canal Telegram, Nova Europa, qui vise à coordonner des actions violentes sur tout le territoire.
Après ce déchaînement de violence, l’inquiétude s’exprime dans le quartier populaire de la Monnaie, où vivent de nombreux travailleurs maghrébins. « Si je tombe sur un groupe comme ça d’extrême droite alors que je suis avec ma fille, je n’ai pas envie de finir à l’hôpital. J’ai peur pour ma fille », expliquait un habitant du quartier à TF1 au lendemain de l’arrivée des fachos. Et c’est effectivement la peur que souhaiteraient instaurer ces groupes, spécialement parmi les immigrés. Avec, heureusement, un relatif échec puisque ces groupes de nervis se sont heurtés à une population qui ne s’est pas laissé faire.
La descente raciste de Romans-sur-Isère, suivie de plusieurs apparitions de l’extrême droite identitaire et néofasciste dans plusieurs villes, comme le rassemblement de 200 militants à Paris le 1er décembre, a mobilisé des militants particulièrement jeunes, séduits par le concept de « guerre culturelle », et l’idéologie du « grand remplacement ». Ces militants, au nombre de 3 000 selon les chiffres du ministère de l’Intérieur et qui appartiennent d’ordinaire à une mouvance hétéroclite, fragmentée, mais en pleine recomposition, se regroupent de plus en plus, au moins à l’occasion d’opérations ponctuelles. Cette extrême droite militante ne se contente plus seulement d’actions symboliques et d’apparitions médiatisées à l’initiative de groupes identitaires : les groupes spécialisés dans les interventions violentes passent à l’action. Il y a neuf mois, par exemple, des militants ont incendié la maison du maire de Saint-Brévin-les-Pins et fait pression pour qu’il démissionne parce qu’un nouveau centre pour migrants allait ouvrir sur sa commune.
Une mouvance politique de mieux en mieux implantée en Europe
Toutes ces organisations essaiment et s’organisent à l’échelle européenne. L’extrême droite constitue des milices qui paradent de plus en plus dans les quartiers et cherchent à faire leur loi. Et ce qui se produit en France n’est qu’une réitération de ce qui s’est produit dans les pays voisins ces dernières années. En Italie, le groupe CasaPound organise des maraudes et des collectes alimentaires qui excluent les immigrés, afin de s’implanter dans les quartiers populaires ; la même chose s’est produite en Grèce pendant la crise économique : le parti Aube dorée, présent au Parlement entre 2012 et 2019, organisait simultanément ce genre d’activité tout en s’en prenant aux immigrés sur les marchés. En Hongrie, les néo-nazis défilent armés dans les rues des quartiers tziganes pour y terroriser ceux qui servent de bouc-émissaires au gouvernement Orbán.
Le résultat d’une banalisation des idées d’extrême droite
Les logiques génocidaires à l’œuvre à Gaza et leur traitement politique en France, après des années de mise à l’honneur des thématiques chères à l’extrême droite, donnent aujourd’hui confiance aux groupuscules néo-fascistes pour organiser leurs démonstrations de force. Le soutien politique de Macron à Netanyahou dans le nettoyage ethnique qu’il est en train de commettre à Gaza est loin d’être sans effet en France, où l’extrême droite, invitée sur de nombreux plateaux TV à des heures de grande écoute, déchaîne sa haine des musulmans. Elle développe son discours xénophobe en accusant tous ceux qui soutiennent les Gazaouis sous les bombes de renforcer l’islamisme et instrumentalise la lutte contre l’antisémitisme pour mieux accuser la population musulmane, ou supposée telle.
La politique raciste de Netanyahou, confortée par les grandes puissances impérialistes, renforce donc le climat xénophobe déjà existant, et les adeptes des méthodes violentes se sentent pousser des ailes pour tenter de terroriser la population maghrébine. Ces derniers sont sans doute bien contrariés par les manifestations en solidarité pour le peuple palestinien qui réunissent beaucoup plus de monde depuis octobre que leurs propres démonstrations de force. En tout cas, ils sont encouragés dans leurs basses œuvres par le parti de Zemmour et Maréchal-Le Pen, Reconquête, qui a refusé de condamner les expéditions punitives ciblant la population maghrébine. Le 5 décembre, Marion Maréchal-Le Pen affirmait sur France Info : « On s’en fiche ! C’est une menace qui n’existe pas. » Pourtant, il ne suffit pas de chercher bien longtemps pour se souvenir des meurtres de Federico Martín Aramburú en mars 2022 par Loïk Le Priol, un ancien militaire et militant du mouvement Groupe union défense (GUD), et de Clément Méric en 2013 par un groupe de skinheads d’extrême droite. Et que dire des attentats meurtriers d’Anders Breivik en Norvège, sur l’île d’Utoya et à Oslo en 2011, qui firent 77 morts et 151 blessés parmi des adolescents ?
Quant au Rassemblement national, qui cherche par tous les moyens à lisser son image et à se présenter comme un parti responsable, son président Bardella s’est désolidarisé des actions violentes, mais n’a rien à redire sur le fond à propos des motivations de ces groupuscules. Cette posture de Bardella n’a d’autre but que de faire oublier les mille liens noués par son parti avec le Bloc identitaire et autres groupes violents. Par exemple, nul besoin de beaucoup gratter pour constater que le prestataire d’impression et de communication du parti est dirigé par Frédéric Châtillon, un proche de Soral et de Dieudonné, ancien du GUD et qui a récemment participé à des manifestations de CasaPound en Italie.
La nécessité de s’organiser politiquement
Bien sûr, l’heure n’est pas celle du fascisme comme phénomène de masse : pour faire régner son ordre social capitaliste, la bourgeoisie se satisfait de son appareil d’État et n’a pas encore besoin de troupes paramilitaires dans lesquelles seraient enrégimentées de larges parts des déclassés, comme pouvaient le faire les SA du parti nazi dans les années 1930. C’est pourquoi Darmanin a dissous plusieurs groupuscules ces dernières années, la dernière en date étant celle de Division Martel : après tout, sa police fait déjà très bien le travail de chasse aux migrants et de persécution des travailleurs immigrés dans les quartiers pauvres ! Mais ce sont ces actions de la police qui encouragent ces groupuscules d’extrême droite à forger un appareil militaire prêt à intervenir contre les travailleurs. La terreur dans les quartiers est là pour dissuader les jeunes des couches les plus pauvres de la classe ouvrière d’exprimer leur colère. La répression des révoltes qui ont suivi l’assassinat de Nahel à Nanterre par la police, lors desquelles 600 jeunes ont été arrêtés, est l’un des signes les plus évidents qu’une guerre de classe est à l’œuvre. C’est parce que la police donne l’exemple aux fascistes que la « dissolution » de leurs groupuscules se révèle singulièrement inefficace. Ces organisations renaissent sans cesse de leurs cendres à peine interdites, sous une forme ou sous une autre.
Les groupuscules d’extrême droite sont en train de se faire la main, d’entraîner leurs jeunes, en s’en prenant aujourd’hui aux plus précaires pour, demain, s’en prendre au mouvement ouvrier et aux travailleurs en lutte de façon plus systématique. L’intensification des luttes du mouvement ouvrier – que nous appelons de nos vœux et faisons de notre mieux pour organiser – se heurtera bien davantage que par le passé à ces espèces de milices au service du patronat.Les travailleurs n’éviteront l’affrontement ni avec la bourgeoisie, ni avec les nervis fascistes. S’y préparer est d’abord une question politique. Il ne suffira pas de constituer des « groupes antifascistes », même si la question de formes d’organisation de la protection adaptées à l’émergence de groupuscules d’extrême droite armés est essentielle pour toutes les organisations du mouvement ouvrier. La montée de l’extrême droite est le reflet d’un raidissement des classes dirigeantes qui, partout dans le monde, ont choisi l’affrontement face à la montée des révoltes populaires. Mais ces dernières ouvrent justement la possibilité d’organiser des militants ouvriers derrière les idées communistes révolutionnaires pour ouvrir des perspectives politiques à ces révoltes, proposer une politique de classe. Il y a une polarisation sociale dans la société. L’extrême droite exprime politiquement l’un de ces pôles, celui qui défend les intérêts des classes dirigeantes. Même si elle a pris de l’avance, les conditions objectives rendent possibles l’organisation d’un pôle communiste révolutionnaire qui défende les intérêts des travailleurs.
Martin Eraud