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Gabon : dégager le « système Bongo » et la Françafrique… jusqu’au bout !

Au tour du Gabon de connaître son coup d’État militaire : mercredi 30 août, Ali Bongo a été destitué du pouvoir par l’armée, un putsch mené par Brice Oligui Nguema, le chef de la « garde républicaine », un régiment d’élite dévolu originellement… à la protection du président. Une entaille de plus à la Françafrique ?

Le Gabon, paradis de la Françafrique

La dynastie Bongo régnait depuis plus de 55 ans sur le Gabon, pays phare de la Françafrique. Dès 1967, Omar Bongo, le père d’Ali Bongo, est mis au pouvoir par la France. Commence un long règne de 42 ans sur un pays riche en ressources naturelles… au plus grand bénéfice des multinationales françaises : le pétrole pour Total (ex-Elf), Perenco ou Maurel & Prom, le manganèse pour Eramet, le bois pour Rougier. En retour, la famille Bongo s’enrichit à hauteur de centaines de millions : pour chaque dollar de pétrole extrait, une fraction atterrit sur le compte personnel du président. Et il en y a des barils ! Omar Bongo puis son fils acquièrent notamment des dizaines de voitures de luxe et plusieurs hôtels particuliers en France. En étroite connivence avec Elf, une « caisse noire » est mise en place par le pouvoir gabonais pour financer les partis politiques français : gauche ou droite, pas de jaloux ! À la mort du père en 2009, Ali Bongo reprend le flambeau avec l’assentiment de la France et se fait le chantre de la protection de la planète dans un pays dont la superficie est occupée à plus de 90 % par la forêt équatoriale. Encore une histoire de gros sous : la vente de « crédits carbone » à des grandes entreprises en recherche d’absolution environnementale offre de juteuses perspectives monétaires. Et pendant ce temps, le Gabon déforeste, exporte son pétrole offshore et reste un des pays leaders dans la pratique extrêmement polluante du torchage, le fait de brûler le gaz pour purifier le pétrole extrait.

Malmenée dans son ancien « pré carré » africain, la France fait certes aujourd’hui face à une concurrence accrue au Gabon : la Chine est devenue le premier investisseur étranger dans le pays tandis que la présidence gabonaise s’est rapprochée de Londres en rejoignant le Commonwealth à l’été 2022. Mais l’ancienne puissance coloniale et ses entreprises restent bien présentes. Pendant longtemps principale base arrière des opérations, officielles ou non, des barbouzes français sur tout le continent africain, le Gabon accueille toujours une des quatre bases permanentes de l’armée française en Afrique : plus qu’un symbole.

Le passage en force de trop ?

Pillé par les grandes puissances et les multinationales, le Gabon est aussi riche en ressources naturelles qu’en inégalités : à Libreville, la capitale, quelques kilomètres suffisent pour passer du palais présidentiel en marbre blanc aux bidonvilles croulant sous les ordures. Plus d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté avec moins de deux dollars par jour et 40 % des jeunes sont au chômage. Le paludisme est endémique, les coupures d’électricité ou d’eau quotidiennes. Pour se maintenir au sommet de cette société ultra inégalitaire, la dynastie Bongo ne s’est jamais trop embarrassée de démocratie, sans que la diplomatie française n’y trouve à redire. Les élections sont en permanence truquées et quand la fraude ne suffit pas, la répression prend le relais. En 2016, l’annonce de l’élection trafiquée d’Ali Bongo entraîne de grandes manifestations réprimées dans le sang : l’armée bombarde le quartier général de l’opposition à l’hélicoptère de combat, faisant 27 victimes. Même en dehors des périodes électorales, la traque des opposants – adversaires politiques, associations, syndicats – est monnaie courante.

Dès le samedi 26 août, jour de vote pour l’élection présidentielle, les accusations de fraude ont de nouveau fleuri. Mais l’État a aussitôt annoncé une victoire écrasante d’Ali Bongo avec plus de 60 % des voix avant de décréter un couvre-feu et de couper Internet dans tout le pays… jusqu’à ce que l’armée intervienne pour « mettre à la retraite » Ali Bongo.

Tout changer pour ne rien changer ?

La destitution d’Ali Bongo n’a pas provoqué le moindre mouvement de protestation dans la population. Peu de monde pour regretter un autocrate qui a organisé le pillage du pays par les multinationales à son propre profit. Au contraire, des manifestations de soutien aux militaires – relativement modestes – ont eu lieu dans tout le pays. Un sentiment général : bon débarras !

Pour autant, ce coup d’État met aujourd’hui au pouvoir le général Brice Oligui Nguema, un homme du sérail s’il en est ! Très proche d’Omar Bongo, lointain cousin d’Ali Bongo et passé par toutes les arcanes de l’appareil militaire gabonais, il a détourné lui aussi des millions réinvestis dans l’achat de plusieurs propriétés de luxe aux États-Unis. Ses premiers actes une fois au pouvoir ? Se nommer lui-même « président de transition ». Ses premiers mots ? Promettre la mise en place d’institutions démocratiques mais… « lentement » car il ne faut pas confondre « vitesse et précipitation ». Tout un programme ! L’opposant principal d’Ali Bongo à l’élection présidentielle, Albert Ondo Osssa – lui-même ex-ministre de Bongo de son état… – crie lui à la « révolution de palais » : une partie du clan Bongo aurait décidé de lâcher un Ali Bongo en bout de course, qui plus est affaibli par les séquelles d’un AVC depuis plusieurs années.

Devant ce marigot rempli de crocodiles aux dents plus ou moins affutées, la France a semble-t-il été quelque peu prise de court à l’annonce du coup d’État puisqu’elle s’apprêtait plutôt à adouber, comme en 2016, la nouvelle mascarade électorale de Bongo et garder ainsi un allié de longue date en Afrique centrale et de l’Ouest. Avec la volonté également de ne pas favoriser l’épidémie de coups d’État dans la région qui déstabilise, en dépit de situations différentes, des pions fidèles de l’impérialisme français. Après le Mali, le Burkina Faso, la Guinée, le Niger, maintenant le Gabon… à quand le Cameroun de Paul Biya, au pouvoir depuis 40 ans et grand ami de la France, ou le Tchad du fils Déby ?

Si le timing a pu gêner dans le contexte d’instabilité actuelle (la France n’ayant pas été avare de coups d’État dans la région par le passé…), l’État français n’aura pour autant aucune difficulté dans le futur à s’accoquiner avec le général Oligui Nguema tant celui-ci incarne la continuité du « système Bongo » derrière les vagues promesses de changement. Pour mettre à bas la Françafrique et changer leur sort, les travailleurs gabonais auront besoin de bien autre chose que d’un prétendu sauveur en treillis : prendre leurs affaires en main et chercher à ce que la colère déborde les frontières du petit Gabon et de ses deux millions d’habitants. Une possibilité rendue d’autant plus plausible au vu de la forte immigration malienne, ghanéenne ou camerounaise par exemple au Gabon.

Boris Leto