Nos vies valent plus que leurs profits
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Il y a 80 ans : assassinats de masse au camp de Thiaroye par l’armée française

Fresque murale à Dakar. Photo de Erica Kowal, source : wikimedia

Le 1er décembre 1944, au petit matin, environ 1600 tirailleurs originaires du Sénégal, de Haute-Volta (actuel Burkina Faso), de Côte d’Ivoire et du Soudan français (actuel Mali) sont rassemblés sur l’esplanade du camp militaire de Thiaroye dans la banlieue de Dakar au Sénégal. Complètement désarmés, ils sont encerclés par plus de mille hommes lourdement armés quand les officiers français donnent l’ordre de tirer. Les rapports officiels dénombreront 35 ou 70 morts. Les victimes se comptent en réalité par centaines, peut-être 380 d’après le cinéaste sénégalais Ousmane Sembène qui le premier a porté au public cette tragédie.

Leur tort ? Avoir réclamé leur dû. Enrôlés de force pour défendre les intérêts capitalistes français pendant la Deuxième Guerre mondiale, utilisés comme chair à canon, emprisonnés, ils n’ont reçu qu’un quart de leur solde. L’armée ne comptait pas leur verser le complément, ni la prime de démobilisation : dans la tête des officiers, à quoi cet argent aurait-il bien pu servir à ceux qu’ils considéraient comme arriérés ? Les tirailleurs ont alors refusé leur démobilisation et revendiqué qu’on les paye. Les officiers français, habitués à ne pas être contestés par des subalternes et pétris de racisme, font donner la force pour mater les contestataires.

Calomnies et falsifications

L’armée française a par la suite sali ses victimes : le mouvement a été présenté comme une mutinerie, fomentée par des « indigènes » qui auraient succombé à la propagande nazie. On aurait même retrouvé des photos de Hitler dans leurs paquetages ! Les survivants du massacre sont condamnés par la justice militaire à la dégradation et à des peines allant jusqu’à dix ans de prison et le nombre de victimes est volontairement sous-évalué. Tout est bon pour justifier cette atrocité et montrer de quoi est capable l’armée française si on la défie.

Car ce crime n’est pas un cas isolé, il fait partie d’une longue liste dont l’État français s’est rendu coupable vis-à-vis des peuples colonisés à la même époque : à Sétif, Guelma et Kherrata, en Algérie pour réprimer des manifestations indépendantistes en mai et juin 1945, à Haïphong au Vietnam en 1946 ou encore à Madagascar contre l’insurrection de 1947 pour ne citer que quelques exemples. Pour maintenir sa mainmise sur son empire colonial et mettre au pas les populations, l’État français usait de tous les moyens.

Vers le repentir ?

Dans une lettre envoyée au président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, le 28 novembre 2024, Emmanuel Macron a pour la première fois utilisé le terme de « massacres » pour décrire la réalité des faits. Une première dont se félicitent les commentateurs. Il ne s’agit pourtant que d’affirmer ce que tout le monde sait déjà. Sans parler du fait que les archives les plus sensibles ont été détruites depuis longtemps et qu’il n’y a plus de survivants, ou presque, à satisfaire. Une tactique déjà mise en œuvre à travers les rapports Duclert sur le génocide des Tutsis ou le rapport Stora sur la guerre d’Algérie : à l’heure où la présence de l’État français est contestée dans ses anciennes colonies, les mots ne coûtent pas cher s’ils permettent de maintenir des liens privilégiés sur le continent et ainsi préserver les profits des entreprises françaises.

Adrian Lansalot