Le 3 mars 1985 se terminait la plus grande grève des mineurs de l’histoire britannique qui avait commencé tout juste un an plutôt. Une grève qui souleva une immense sympathie au sein de la population laborieuse du pays mais qui se termina par un échec. Pour les mineurs, le bilan fut amer : 6 morts, 20 000 blessés, 11 000 arrestations, plus de 5 600 comparutions en justice, 200 peines d’emprisonnement prononcées et un millier de licenciés. Ce n’était pourtant pas la combativité qui leur avait manqué : elle fut, par bien des côtés, exemplaire. Mais dès le début du mouvement, la bureaucratie syndicale se dressa pour éviter que leur mouvement fasse tache d’huile. Et elle y parvint.
Un contexte politique et économique difficile
Lorsque la grève commença, Margaret Thatcher était au pouvoir depuis cinq ans. Avec l’appui unanime du Parti conservateur, elle avait mis en place une politique anti-ouvrière qui se caractérisait notamment par une libéralisation et une privatisation à outrance de l’économie, la liquidation des entreprises nationalisées, des coupes sombres dans les services publics, une baisse des salaires réels, des licenciements massifs, etc. Elle voulait fermer les mines, qui n’étaient plus rentables du fait notamment de l’arrivée massive du gaz et du pétrole exploités en mer du Nord. En outre, elle avait pris des mesures interdisant les piquets de grève et les grèves de solidarité et mis sur pied une police anti-émeute.
Le début de la grève
La raison immédiate de la grève fut l’annonce le 1er mars par le National Coal Board (les charbonnages britanniques) de la fermeture de 20 puits « non rentables » et le licenciement sec de 20 000 mineurs. Avant cette annonce, la direction des charbonnages avait pris la précaution de stocker d’importantes quantités de charbon à proximité des centrales électriques et des aciéries en cas d’arrêt de la production charbonnière.
La grève commença spontanément dans les puits de Cortonwood, dans le sud Yorkshire, et s’étendit peu à peu, notamment en Écosse. Les grévistes envoyèrent des piquets volants dans les autres mines pour les inciter à cesser le travail. Et cela a fonctionné. La direction de National Union of Mineworkers (NUM), le syndicat dirigé par Arthur Scargill, accompagna alors le mouvement en l’amplifiant. Au plus fort de la grève, 140 000 des 200 000 mineurs participeront au mouvement, mais ceux de certaines régions, notamment le Nottinghamshire, resteront en dehors de la lutte.
Une énorme sympathie populaire…
Dès le début, la grève rencontra beaucoup de sympathie au sein de la population laborieuse qui avait vu en quelques années ses conditions de vie et de travail se dégrader. En mars 1984, le pays comptait entre trois et quatre millions de chômeurs, soit de 14 % à 15 % de la population active. Les mineurs apparaissaient comme les premiers à défier le gouvernement anti-ouvrier de Thatcher et étaient accueillis un peu partout à bras ouverts. Pour recueillir des fonds pour les caisses de grève étaient organisés, un peu partout dans le pays, manifestations de rue, fêtes des voisins, concerts et théâtres de rue tandis que, sur les ronds-points, apparaissaient des groupes avec des affiches proclamant : « Si vous êtres solidaires des mineurs, klaxonnez ! » Ce qui donna lieu à de joyeux tintamarres.
… mais l’opposition farouche de la bureaucratie syndicale
Mais, rapidement, la direction du Trade Union Congress, la confédération syndicale, mit en place un cordon sanitaire autour des grévistes. Elle laissa sans réponse les appels à la solidarité que lui adressait Scargill et nombre de syndicats demandèrent à leurs membres de ne pas rejoindre les piquets de grève des mineurs. L’un d’eux, celui des électriciens, dénonça même la grève en prenant parti pour le gouvernement. Il y eut cependant des mouvements de solidarité spontanés parmi les dockers, les ouvriers des transports routiers, les cheminots, les électriciens et les sidérurgistes qui refusèrent de transporter ou de manipuler « le charbon des jaunes ». Mais, à aucun moment, Scargill ne remit en cause la bureaucratie syndicale en s’adressant par exemple par-dessus sa tête aux syndicalistes et salariés de base qui ne cachaient pas leur sympathie pour les mineurs. Bien mieux, alors qu’en plein mouvement le gouvernement conservateur avait annoncé 14 500 suppressions d’emplois chez les cheminots, 15 000 dans la sidérurgie, 10 000 dans les chantiers navals et plusieurs milliers d’autres dans les hôpitaux et chez les dockers, à aucun moment la direction du syndicat des mineurs ne chercha à devenir le fer de lance d’une riposte ouvrière généralisée contre les suppressions d’emplois et pour les salaires. Cela n’a pas seulement été une occasion manquée, mais a laissé le champ libre à une offensive généralisée du gouvernement et du patronat britannique contre toute la classe ouvrière : lorsque la grève s’acheva, les mineurs n’avaient rien obtenu, beaucoup perdu, et leur défaite scella non seulement la fin de l’industrie charbonnière (entre 1984 et 1994 plus de 150 puits de mine fermèrent), mais aussi un recul durable du mouvement ouvrier, qui a suscité des envies chez de nombreux dirigeants de la bourgeoisie qui, comme Macron ici, se rêvent en Thatcher terrassant le dragon ouvrier.
Jean Liévin