Jeudi 9 mars, 85,9 % du personnel de la Deutsche Post votait pour une « grève à durée indéterminée » pour revendiquer une augmentation de 15 % des salaires afin de faire face à l’inflation. Mais deux jours plus tard, à la surprise générale, le syndicat Ver.di annonçait la fin des négociations et annulait la grève annoncée.
Mobilisation massive des postiers
Pourtant, lors du vote, les salariés de la poste s’étaient prononcés contre la dernière offre de la direction et pour la grève. Ils revendiquaient une augmentation de 15 %, fixée dans un accord collectif durant douze mois – en Allemagne, l’un des paramètres des négociations salariales est la durée de l’accord instaurant l’augmentation, plus il est long et plus cela renvoie les prochaines augmentations à plus tard). Face à cela, la proposition de la direction était à la fois vicieuse et très éloignée de ces revendications : une prime d’inflation d’un montant total de 3 000 euros ‒ exonérée d’impôts et de cotisations sociales et complètement déconnectée de la grille salariale ‒, combinée à des augmentations de salaire progressives à partir de 2024 seulement. Les responsables de la centrale syndicale avaient alors qualifié l’offre de la poste de scandaleuse et appelé à la rejeter. Le résultat du vote des salariés – 85,9 % contre cette offre et pour des grèves d’ampleur – annonçait la couleur : une colère profonde envers la direction, qui s’était déjà exprimée lors des grèves d’avertissement. Beaucoup se réjouissaient certainement de la perspective de poursuivre la grève en mars avec les employés des services publics, des chemins de fer et des bus. C’était sans compter le sabotage de la mobilisation par les responsables du syndicat Ver.di.
Négociations secrètes dans le dos des grévistes
Peu après l’annonce du résultat du vote le jeudi 9 mars, la direction de la poste a supplié de relancer les négociations. C’était à prévoir. Quelle entreprise ne saisirait pas une dernière occasion de faire un tout petit pas vers la partie adverse dans l’espoir d’éviter une grève ? D’autant plus, qu’étant donné le contexte, il s’agissait ici d’une grève qui pouvait devenir une étincelle pour des grèves et des mobilisations plus importantes.
Mais ce qui est resté secret – y compris des postiers eux-mêmes – c’est que les responsables de Ver.di étaient prêts à négocier sans même en faire l’annonce publique, et dans un lieu confidentiel. Et ce pour mieux accepter un accord qui n’avait pas du tout été convenu avec les postiers. Samedi 11 mars, le marché conclu à l’insu des salariés de la Deutsche Post fait l’effet d’une gifle. Les responsables syndicaux font volte-face et présentent un accord qu’ils qualifiaient hier de scandaleux, comme formidable. Jeudi, tous les signaux étaient encore à la grève illimitée, et samedi annulation brutale sur fond d’harmonie entre la direction et Ver.di. Depuis, les discussions redoublent sur tous les réseaux.
Le résultat des négociations n’est guère meilleur que l’offre de la poste d’abord rejetée. Le versement des 3 000 euros de prime d’inflation et l’augmentation de salaire de 340 euros brut par mois ont été avancés de quelques mois. Mais tout ce que Ver.di avait qualifié de scandaleux avant le vote – prime d’inflation qui n’est pas intégrée durablement dans la grille, longue durée conventionnelle, perte de salaire réel… – tout cela figure toujours dans le « super » accord actuel. Que la direction se moque des salariés, c’est dans l’ordre des choses, mais de la part des responsables du syndicat c’est un coup plus dur à encaisser pour les postiers.
Ce qui attise aussi la colère, c’est cette opération secrète. Déjà, les décisions concernant le moment, le lieu et la durée de la grève avaient été prises dans le secret à la centrale du syndicat, mais pour les négociations, même procédé. La direction de Ver.di n’a pas traité les postiers bien autrement que la direction de la poste ne le fait quotidiennement au travail…
Des directions syndicales qui jouent aux éteignoirs
Aurait-on pu obtenir davantage avec des grèves ? Sans avoir lutté, on ne peut pas le savoir. Il peut arriver de faire des compromis, mais un compromis de cet ordre, au moment même où la volonté de faire grève était déclarée, et avec la perspective d’actions communes avec d’autres branches, c’est capituler avant même la bataille ! Et ce n’est pas sans engendrer méfiance et frustration. C’est du moins ce qui s’exprime parmi les collègues de la poste, y compris les délégués de Ver.di, dont beaucoup n’ont pas ménagé leurs efforts pour mobiliser pour la grève et le vote. Ceux qui voient dans les patrons des syndicats, les « élites » et la politique, une seule et même mafia se sentiront confortés. Et si les idées d’extrême droite en sortent renforcées, personne n’en sera surpris.
Les postiers sont maintenant appelés à se prononcer sur le nouvel accord jusqu’au 30 mars. Il s’agit d’un vote sans débat organisé, sans assemblées de grève où l’on pourrait discuter ensemble du pour et du contre. L’organisation des discussions et la publication des résultats dépendront des militants syndicaux sur place. Mais en plus, l’accord n’est considéré comme rejeté que si plus de 75 % s’y opposent ! Selon les règles internes du syndicat Ver.di, c’est ce qu’il faut obtenir pour lancer une « grève coercitive » – ou « Erzwingungsstreik », c’est-à-dire une grève qui intervient après l’échec des négociations afin de faire adopter de nouvelles propositions de la part de l’employeur. Pour modifier la Constitution allemande, il faut les deux tiers des députés. Pour rejeter un compromis issu d’une opération secrète, il faut les trois quarts des travailleurs ! Les grèves sont pourtant à bien des égards plus déterminantes que la Constitution. Quoi qu’il en soit, les postiers n’ont pas encore dit leur dernier mot.
Des discussions sont en cours parmi les salariés de la poste, des campagnes pour le « non » sont menées. Parmi les travailleurs du secteur public, des chemins de fer et des bus, la proposition de la Deutsche Post est également discutée. La section de jeunesse du syndicat des chemins de fer et des transports EVG s’est ouvertement positionnée contre la proposition finale de la poste. Mais au-delà, la lutte pour la démocratie ouvrière et pour les grèves reste une tâche importante, y compris dans les négociations, avec la transparence qui s’impose et des votes parmi les grévistes à chaque étape. Chaque pas dans cette direction, même modeste, serait déterminant.
Correspondants