Nos vies valent plus que leurs profits

Le marxisme : un outil écologique

Loin de la cravate anti-écolo que l’on fait souvent au marxisme, Marx faisait en réalité preuve d’une lucidité frappante sur la rupture qu’engendre le capitalisme sur les cycles naturels. Matérialiste, il considérait l’humanité comme faisant partie de la nature. Dialecticien, il les considérait comme deux entités en interaction, faisant de lui un précurseur de l’approche systémique qui est au fondement de l’écologie moderne.

À partir des travaux du chimiste et agronome Liebig sur l’appauvrissement des sols d’Angleterre provoqué par l’agriculture intensive et la séparation croissante entre ville et campagne, Marx analyse comment le capitalisme bouleverse les cycles écologiques (ici, le cycle des nutriments) sur lesquels l’humanité s’appuie pour survivre et vivre. Il s’inspire aussi des travaux d’Engels, qui a étudié les effets de la pollution sur les conditions de vie de la classe ouvrière anglaise. Marx, dans Le Capital (Livre I), résumait : « La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production social qu’en ruinant dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur. » Le capitalisme génère ainsi des problèmes écologiques qu’il est incapable de résoudre sans abandonner l’impératif d’accumulation du capital. Pour affronter la crise écologique, l’humanité n’a donc d’autre choix que de reprendre le contrôle de ses interactions avec la nature, c’est-à-dire de ce qu’elle produit, et comment.

Jean Einaugig et Martin Castillan

 

 


 

 

Pour en savoir plus

Marx écologiste, de John Bellamy Foster
Éd. Amsterdam, réédition en poche, 2024, 12 €

Ce livre fondateur fait le lien entre la philosophie de Marx et ses préoccupations écologiques. En lisant Liebig, Marx observe que l’agriculture capitaliste introduit une cassure irrémédiable dans le cycle des nutriments, la recherche effrénée de profit menant à l’épuisement des sols. Foster en extrait la notion de « rupture métabolique », pour désigner la manière dont l’organisation économique peut rompre l’interaction entre l’humanité et la nature. Une excellente lecture, dans un style très accessible, pour étayer les raisonnements présentés dans l’article.

La nature contre le capital, de Kohei Saito
Éd. Syllepse, 2021, 25 €

Publié dans les années 2010 au Japon, l’apport principal du livre est une étude minutieuse des manuscrits de Marx, ainsi que de ses sources de l’époque (notamment agronomiques et chimiques) qui mettent en lumière un travail de longue haleine sur les questions écologiques. Cela permet à Saito d’approfondir et de renforcer les arguments déjà avancés par Foster, et de montrer pleinement l’incompatibilité entre la recherche du profit et l’équilibre de la nature. Le style est cependant très académique, ce qui en rend la lecture parfois ardue. Dans un livre plus récent, Moins ! La décroissance est une philosophie, Saito cherche à s’adresser à un public plus large, mais y développe en grande partie les mêmes arguments que Foster — avant d’en tirer des conclusions politiques pour le moins curieuses (voir notre critique du 25 novembre 2024 jointe à ce dossier).

La Nature en révolution : une histoire environnementale de la France, 1780-1870 (vol.1) de Fressoz, Jarrige, Le Roux, Marache, Vincent
La Découverte, 2025, 24 €

Conçu comme le premier tome d’une histoire environnementale de la France, ce livre traite de la période 1789-1870. Son principal intérêt est de souligner que les préoccupations écologiques ne datent pas d’hier. La bourgeoisie qui arrive au pouvoir se dote d’une véritable politique concernant l’environnement, en essayant de le mettre le plus possible sous le contrôle de l’industrie naissante. Les auteurs dépeignent avec brio les tâtonnements de la révolution industrielle en France, plus lente qu’en Angleterre, mais déjà destructrice pour l’environnement. Une lecture fascinante et remarquable.

La grande contamination, de François Jarrige et Thomas Le Roux
Seuil, 2017, 14 €

L’intérêt du livre est le choix de l’époque étudiée, en remontant jusqu’au XVIIIe siècle. Dès cette époque, alors que le capitalisme est encore balbutiant, les États favorisent systématiquement les intérêts des industriels à ceux de la population et au respect de l’environnement. Les auteurs montrent aussi que les guerres impérialistes marquent à chaque fois une augmentation de la pollution. Les auteurs présentent de façon exhaustive les différentes industries polluantes, et montre à chaque fois le lien entre les risques sanitaires et la destruction de l’environnement.

 

 


 

 

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