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Le « Nouveau Front populaire » au second tour : comme on fait son lit, on se couche

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Après un entre-deux tours marqué par la menace du RN et les combines politiciennes de la gauche et de la macronie, l’urgence est à la reprise du chemin des luttes

Sommaire

 

 


 

 

 

Le « Nouveau Front populaire » au second tour : comme on fait son lit, on se couche

Le soir du premier tour à 20 h 15, Jean-Luc Mélenchon annonçait le désistement immédiat de tous les candidats du NFP devancés arrivés en troisième position derrière le RN et les macronistes ou des LR. Il fallait bien que ce soit le représentant le plus à gauche de cette coalition qui proclame la décision de transformer cet éphémère « Front populaire » en un front républicain tellement usé que, s’il parvenait à éviter un gouvernement Bardella dans une semaine, il ne ferait que préparer l’arrivée au pouvoir du RN à très courte échéance. C’est pourquoi Bardella, jusqu’à présent, déclare ne pas avoir l’intention d’accepter le poste de Premier ministre s’il n’a pas la majorité absolue.

Que le NFP arrive second derrière le RN, ou même par extraordinaire devant lui, « la balle restera dans le camp de Macron »

Le NFP n’a jamais eu aucune chance d’emporter une majorité absolue de députés, et il est très improbable qu’il puisse même obtenir une majorité relative. Les querelles sur le choix de son premier ministre ? Une polémique qui n’a pu hanter la campagne de premier tour que parce que Macron et Bardella en ont profité pour présenter Mélenchon comme un épouvantail. Le contenu de son programme (négocié à la va-vite après le partage des circonscriptions) ? Aucune importance en vérité, car il n’a jamais été question qu’un gouvernement, même de gauche, soit responsable devant ses électeurs. La tiédeur dudit programme, y compris comparé à celui de la Nupes deux ans auparavant, n’avait qu’une valeur idéologique, comme marqueur d’une gauche recentrée dont le centre de gravité était déplacé de la FI au binôme PS-Verts.

Le NFP prétend « tout changer », pour citer son slogan de campagne, mais ses électeurs eux-mêmes y croient bien peu : la présence de François Hollande ou Aurélien Rousseau a fini par ôter à beaucoup tout espoir d’un changement en mieux. En vérité le seul argument de la coalition de gauche est qu’elle pourrait l’emporter, tous ses tracts de campagne se terminent par « on peut gagner ». Cela représente pour l’électeur l’espoir que la débâcle de la macronie ne signifie pas forcément l’avènement du RN : au mieux l’espoir d’un statu quo. Mais les résultats électoraux sont le fruit de dynamiques sociales profondes, ils donnent une image de rapports de force politiques dans le pays qui ne changent pas d’un coup de baguette magique en deux semaines. Les dirigeants du NFP le savent bien, c’est à cette aune qu’ils ont négocié la répartition de leurs circonscriptions. Leur principal argument pour attirer l’électeur, à savoir qu’ils pourraient devenir le bloc majoritaire, est donc un mensonge éhonté, destiné à mettre sous le tapis, le temps de la campagne, la discussion sur l’après 30 juin et ensuite sur l’après 7 juillet. Que faire lorsqu’il devient clair que le NFP ne peut pas gagner ? Ces discussions sont pourtant à n’en pas douter celles qui ont occupé les états-majors des partis de gauche depuis l’annonce de la dissolution.

Il ne leur reste plus qu’à sauver la macronie, ou disons la hollando-macronie, et c’était leur plan dès le départ. D’où l’extrême rapidité à annoncer les consignes de désistement et de vote pour les principaux responsables de la montée du RN. La gauche appelle à voter pour Xavier Bertrand comme pour tous les LR, le PS se désiste pour Olivier Marleix, les Verts pour Laurent Wauquiez, la FI se désiste pour Gérald Darmanin et pour Élisabeth Borne. Les « No pasaran » et autres « Siamo tutti antifascisti » ont un goût amer !

Du côté de Macron, le front républicain est plus mesuré. Il n’est pas « de principe » mais d’opportunité : si les désistements ont été finalement nombreux, c’est avant tout pour tenter de tempérer un peu l’avance écrasante du bloc d’extrême droite qui frôle la majorité absolue. Les hésitations avec le « ni NFP ni RN », savamment mises en scène jusqu’à la dernière heure du dépôt des candidatures, ont pour fonction de ne pas réhabiliter la FI dans « l’arc républicain » et de permettre de continuer la campagne de diffamation destinée à disqualifier électoralement cette frange de la gauche qui est apparue comme la plus combative, en particulier dans le soutien au peuple palestinien.

Cette campagne politique mensongère, mais extrêmement appuyée, aura des répercussions sur la situation militante de la gauche politique, syndicale et associative et bien sûr de l’extrême gauche. Dans l’entre-deux tours elle donne lieu à cette situation ubuesque dans le Val-de-Marne où le porte-parole de Renaissance, Loïc Signor, annonce qu’il se maintient dans la circonscription où le jeune insoumis Louis Boyard a fait plus de 40 % au premier tour pour éviter que ses électeurs ne se reportent sur le RN : cela en dit long sur la diabolisation de la FI !

À l’inverse, en Seine-et-Marne où Amal Bentoussi, militante contre les violences policières investie par la FI, a recueilli 30 % des voix face à un RN à 41 %, le candidat LR se désiste « sans donner de consigne de vote » mais sans non plus laisser le moindre doute sur la préférence de ses électeurs !

Oui, la gauche s’est couchée, sans même exiger la moindre contrepartie du camp macroniste, ou alors en sanglotant contre leur absence de morale républicaine comme Marine Tondelier des Verts sur France Inter. L’Humanité et Libération ont publié sans se consulter la même une embarrassante de lâcheté et d’impuissance adressée à Macron : « Désiste, prouve que tu résistes ». Même Olivier Besancenot, aile gauche de la gauche du NFP, a vanté cette tactique de faire réélire les pires ministres racistes ou pro-patronaux, au nom du fait qu’ainsi, « la balle est dans le camp de la macronie… »

La tragédie et la farce : ce second « front populaire » n’était que le faux nez du Macrono-Hollandisme

Cette tentative de sauvetage de Macron, Darmanin et Borne auprès des électeurs de gauche était inscrite dans les objectifs même du NFP dès sa formation entre le 10 et le 13 juin. Il est encore cette semaine uni dans cette lâcheté qui ne vise qu’à sauver quelques places de député. Mais le succès électoral, s‘il a lieu, de cette manœuvre sans principe signifiera automatiquement l’explosion du NFP entre d’un côté les composantes autorisées par Macron à participer à un gouvernement d’union nationale sans le RN (le PCF, les Verts, le PS) et de l’autre la FI (à l’exception de quelques insoumis ou ex-insoumis qui ont depuis montré patte blanche).

Un tel gouvernement, s’il voit le jour, serait d’une part très instable et d’autre part très à droite. Cet attelage allant du PCF aux Républicains, même si la gauche en son sein était majoritaire, ne s’appuierait au mieux que sur une majorité relative, voire regrouperait moins de députés que l’extrême droite. Quant aux éventuelles pressions que l’opposition de gauche de la FI pourrait tenter pour en infléchir la politique ou en bloquer les pires mesures, elles ne seraient rien face au poids du RN à droite. D’autant que la FI est bien du côté de Macron dans ce « front républicain » bancal de l’entre-deux tours et que le RN n’avait pas besoin de gouverner pour déjà influencer la politique des gouvernements Borne et Attal précédemment, sur l’immigration, sur Mayotte et le droit du sol, etc. Un tel gouvernement sauvera-t-il les trois dernières années de quinquennat pour Macron ? Il ne nous sauvera pas de la poursuite de la droitisation des politiques gouvernementales sous la pression à la fois du RN et des exigences du patronat. Politiques qui continueront à paver la route du RN.

PS, PCF et Verts se sont déjà dit prêts à participer à un tel gouvernement après avoir fait se désister plus de 100 candidats au profit de Macron sans contrepartie. François Ruffin, lui, prétend mettre des conditions : le rétablissement de l’ISF, le RIC et l’abrogation de la réforme des retraites. Conditions évidemment inacceptables pour Macron. Mais, restrictions verbales mises à part, le message est le même : Ruffin, comme le PS, le PCF et les Verts, est candidat à gérer les affaires de la bourgeoisie y compris avec des partis de droite.

Voilà l’allure du « barrage républicain » dans le « meilleur » des cas où il permettrait d’éviter une majorité absolue au RN et ses alliés ! Voilà à quelle impasse a mené ce bluff du « front populaire ».

La politique désastreuse des partis de gauche ne doit pas désarmer nos luttes

Là serait la vraie défaite. Sept ans de pouvoir de Macron ont dopé l’extrême droite parce qu’elle apparaît comme la seule à même de nous en débarrasser. La complicité affichée du NFP à son égard, au point de lui proposer un gouvernement commun, sera un accélérateur puissant de la montée du RN, qui n’en avait pourtant pas besoin.

Les directions syndicales, notamment celles des syndicats dont les militants sont de bien des luttes, CGT et Solidaires, avaient appelé à voter NFP dès le premier tour. Les militants du NPA-Révolutionnaires dans les syndicats s’y sont opposés, certainement pas au nom d’une quelconque neutralité politique ou d’une version frelatée de la charte d’Amiens, mais pour défendre la nécessaire indépendance des syndicats vis-à-vis de cet attelage de la gauche de gouvernement. La conséquence de cet appel syndical ne s’est pas fait attendre : dès le lendemain du premier tour, les mêmes directions appelaient à voter, y compris pour les macronistes et LR, afin de barrer la route au RN.

Le seul barrage que cet appel va dresser est entre les travailleurs révoltés par la politique antisociale de Macron et les syndicats eux-mêmes. Combien de militants CGT avaient déjà entendu en 2017 des travailleurs leur reprocher l’appel de Martinez à voter Macron contre Le Pen ? Certes, ce reproche était entretenu, bien sûr, par des lepénistes, mais pas seulement. Ce qui se passe cette semaine est sans commune mesure : les directions syndicales en appellent à un bloc électoral à vocation gouvernementale avec l’artisan de la retraite à 64 ans, de la baisse des salaires réels, des attaques contre les chômeurs, avec l’éborgneur de Gilets jaunes…

Un an a passé depuis la mobilisation massive contre la réforme des retraites. Depuis un an, ces directions syndicales n’ont appelé à rien : ni sur les salaires, ni contre les licenciements, ni sur les services publics, ni contre les violences policières malgré la révolte de la jeunesse et encore moins sur la Palestine. Mais elles sortent de la naphtaline avec une énergie (au moins médiatique) qu’on n’avait vue sur aucune action revendicative pour appeler à… sauver le soldat Macron !

La question n’est pas de savoir si cela laissera des traces en accentuant encore la distance entre la masse des travailleurs et les organisations syndicales. C’est une certitude. La question est plutôt de savoir comment regrouper, en totale indépendance de la gauche, des militants politiques, des militants syndicaux qui ne se résignent pas à l’impasse du dialogue social et du front républicain et de s’adresser aux travailleurs sur des bases de lutte et d’indépendance de classe.

C’est la tâche que peuvent se fixer les militants révolutionnaires. Nous ne pourrons devenir une force politique qu’en entraînant de larges couches de la jeunesse et du monde du travail. Une tâche à laquelle nous pouvons nous atteler tous. Une tâche pour laquelle les organisations révolutionnaires (à l’inverse des organisations politiques d’extrême gauche qui se sont dissoutes dans le NFP) se doivent de resserrer leurs liens. C’est même une nécessité urgente de la période et une évidence : se serrer les coudes face à l’adversité d’une extrême droite puissante et additionner nos forces pour peser dans les crises politiques et sociales que nous sommes en train de vivre et qui vont s’accélérer.

Notre faible score électoral est le résultat du fait que l’extrême gauche n’a pas su, ou pas pu, peser pour tout un tas de raisons dans la situation de crise larvée que nous vivons depuis des années. Pour autant, notre présence – celle de Lutte ouvrière et la nôtre – nous permet de défendre largement les idées révolutionnaires auprès des travailleurs et des jeunes qui se politisent. Oui, il existe un courant communiste révolutionnaire en France qui n’a pas renoncé à son indépendance et nous devons le construire et le renforcer. Mais cela implique aussi de se poser la question du terrain social, terrain où l’affrontement est devant nous. Les militants ouvriers, les jeunes révoltés par la situation, par la progression des idées réactionnaires, à la recherche d’une politique sont toujours là. Dans ces luttes à venir, un pôle des révolutionnaires pourrait peser bien au-delà de ses scores électoraux, si du moins nous nous mettions collectivement en position de saisir les occasions, car c’est ce terrain des luttes, contrairement au terrain électoral, sur lequel la politisation des travailleurs se fait dans l’action et non dans la résignation. Au cours de la période électorale, nous avons progressé sur la voie de la constitution de ce pôle, en nous adressant à LO avec la volonté de créer des rapports plus égalitaires et fraternels entre nos deux organisations. Mais en attendant que le pôle des révolutionnaires ait une existence politique et militante effective, il nous revient de savoir prendre des initiatives nous-mêmes, et la situation d’instabilité qui s’ouvre en offrira des occasions.

Raphaël Preston

(Sommaire du dossier)