Nos vies valent plus que leurs profits

L’OLP, d’une organisation de lutte au rôle de gestionnaire de la misère

I. Fatah, FPLP, FDPLP : le radicalisme d’une petite bourgeoisie nationaliste

C’est en 1959 que Yasser Arafat crée au Koweït, avec une poignée d’intellectuels palestiniens réfugiés comme lui dans ce pays, le principal mouvement nationaliste palestinien, le Fatah (nom complet : Mouvement de libération de la Palestine). Son modèle : le Front de libération nationale (FLN) algérien. Son principe : la libération des Palestiniens sera l’œuvre des Palestiniens eux-mêmes. Et d’entrée il affirme, vis-à-vis des gouvernants des pays arabes : « Tout ce que nous demandons est que vous entouriez la Palestine d’une ceinture défensive et regardiez la bataille entre nous et les sionistes. » Pas d’internationalisme prolétarien, cela n’étonne pas. Mais sur le plan de la solidarité arabe, le panarabisme a, à l’époque, les faveurs des milieux tiers-mondistes dans la région…

Les premières actions militaires du Fatah en Israël datent de 1965. Mais c’est au lendemain de la guerre des Six Jours de 1967, au terme de laquelle Israël occupe la Cisjordanie et la bande de Gaza (et, plus au nord-est, le Golan syrien) et pousse à de nouveaux exodes massifs de Palestiniens, que dans les camps de réfugiés surgit une nouvelle génération de militants. Ces jeunes n’ont pas connu la défaite de la « Nakba » (la « catastrophe » de 1948 qui a chassé de chez eux 700 000 Palestiniens, la moitié de la population autochtone de Palestine) et ont rejoint en grand nombre les organisations de résistance palestiniennes.

Parmi les autres courants nationalistes palestiniens qui apparaissent alors, les deux principaux sont le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) créé en 1967 et sa scission, le Front démocratique populaire de libération de la Palestine (FDPLP), nommé plutôt ensuite FDLP, qui se veut plus à gauche. Le premier, le FPLP, est issu d’un courant panarabiste, le Mouvement nationaliste arabe, né dans une université de Beyrouth. Son fondateur, Georges Habache, se réclame du marxisme-léninisme maoïste. Quant au FDLP, il apparaît comme la fraction la plus à gauche du FPLP, dont il a scissionné en 1969. Plus « internationaliste », il s’est un temps revendiqué de l’idée d’une Palestine socialiste où Palestiniens et Juifs pourraient jouir des mêmes droits ; un tiers-mondisme radical, mélange de Castro, Mao, Giap et Che Guevara lui servait d’idéologie. Mais sur le fond de la politique, la façon de mener leur lutte, FPLP et FDLP ne se sont jamais beaucoup distingués de la politique du Fatah lui-même, si ce n’est parfois par une surenchère sur le terrain des attentats ciblés et des prises d’otages.

Les autres courants sont de moindre importance numérique et surtout politique, comme la Saïqa, succursale du parti Baas au pouvoir en Syrie, qui a ainsi une main sur le mouvement palestinien.

Ce qu’on appelle l’OLP, l’Organisation de libération de la Palestine, n’était, à sa création en 1964, qu’une instance créée de toutes pièces et financée par la Ligue arabe (organisme regroupant les gouvernements des États arabes), pour donner, sous sa houlette, une représentation diplomatique officielle aux Palestiniens. Elle n’est devenue qu’en 1969, une fois que le Fatah d’Arafat en a pris la tête, cette sorte de front regroupant, derrière le Fatah, les autres courants du mouvement palestinien. L’OLP apparaît dès lors comme la direction du mouvement, la direction avec laquelle vont se mener les diverses négociations entre Israéliens et Palestiniens, sous l’égide des États-Unis, dont les accords d’Oslo de 1993 qu’Arafat signera en tant que président de l’OLP.

Dans le mouvement palestinien de cette première période il est à noter la quasi-absence, jusqu’à la fin des années 1980, d’une composante islamiste, qui aujourd’hui avec le Hamas semble tenir le haut du pavé. Les Frères musulmans, réprimés en Égypte par le régime de Nasser, ont une confrérie à Gaza, animée par le cheikh Ahmed Yassine (futur fondateur du Hamas) qui y inaugure en 1973 sa mosquée, en présence du gouverneur israélien de Gaza. L’occupation israélienne du territoire n’est pas le problème des Frères, et de son côté Israël trouve en leur encadrement religieux, complété d’un réseau d’œuvres de charité, un concurrent commode aux organisations nationalistes palestiniennes pour encadrer la population. D’autant que c’est un mouvement honni de l’Égypte de Nasser, mais aidé par le très réactionnaire régime du roi de Jordanie, que les Frères musulmans de Gaza soutiendront en retour contre l’OLP.

II. Méfiez-vous de vos prétendus amis !

Dans les révolutions des peuples coloniaux qui ont marqué les années 1945-1975, la lutte contre l’oppression nationale était étroitement liée à la lutte contre l’oppression sociale, la première oppression servant à l’autre. N’en déplaise aux directions nationalistes petites-bourgeoises qui ne se voyaient qu’en futures dirigeantes de « leur » peuple, et futurs patrons. Elle avait un caractère international de par sa contagion, même si chacun ne la voyait qu’à l’aune de l’État qu’il entendait construire. Mais la lutte du peuple palestinien avait, plus encore que toutes, ce double caractère. Elle dépassait inévitablement les frontières de la Palestine du simple fait que plus de la moitié des Palestiniens étaient des émigrés, réfugiés dans les pays voisins, et que c’est là, dans les camps surtout, que s’est organisée la résistance palestinienne, là où elle s’est retrouvée confrontée non seulement aux troupes d’Israël mais aussi aux gouvernements des pays arabes où ils étaient réfugiés. Les Palestiniens qui étaient restés en Israël ou dans les territoires occupés à partir de 1967 n’y étaient pour la grande majorité que des ouvriers agricoles ou d’entreprises, les plus exploités, mais pas les seuls1 (et ne parlons pas d’aujourd’hui où elle a été remplacée par une importante main-d’œuvre venue d’Asie). Les réfugiés de Jordanie, du Liban, de Syrie, eux, s’y trouvaient mêlés à la classe ouvrière de ces pays, une classe ouvrière aussi pauvre qu’eux, habitant parfois les mêmes quartiers de Beyrouth ou d’Amman, voire les mêmes bidonvilles.

C’est de ce côté-là que pouvaient être leurs alliés, et non du côté des gouvernants auxquels Arafat demandait une simple « ceinture défensive » en leur promettant de ne pas intervenir dans leurs affaires. Le peuple palestinien allait en faire l’amère expérience.

1970, Septembre noir en Jordanie

Le royaume de Jordanie est l’État arabe le plus réactionnaire de la région. Au lendemain de la Nakba de 1947-1948, avec le démantèlement total de la Palestine, la Jordanie (qu’on appelait Transjordanie, à l’est du Jourdain) avait annexé la Cisjordanie (ouest du fleuve) dont les habitants devenaient de fait citoyens jordaniens. La Jordanie en fut chassée par Israël au lendemain de la guerre des Six Jours (1967) et la défaite de la coalition arabe. L’annexion cette fois par Israël de toute la Cisjordanie avait poussé un contingent de plus de 300 000 Palestiniens supplémentaires dans les camps de Jordanie. Les Palestiniens dans leur ensemble, ceux des camps ou ceux déjà fondus dans la population des principales villes du pays, représentaient plus de la moitié (voire les deux tiers2) de la population du pays, et en 1970 les organisations palestiniennes contrôlaient de fait la ville d’Amman.

Il était temps pour le roi d’en finir avec toute contestation de son pouvoir. Alors que l’armée israélienne ne cessait ses raids militaires ou bombardements en Jordanie visant ce qu’elle considérait comme des bases de la résistance palestinienne, sans réaction de l’armée jordanienne, c’est à l’intérieur du pays que le roi de Jordanie estimait son pouvoir menacé. Début septembre 1970, le roi Hussein s’est senti les mains libres pour en finir avec la résistance palestinienne présente dans son pays et les soutiens dont elle bénéficiait dans les quartiers populaires d’Amman : Nasser venait d’accepter un projet d’accord de compromis avec Israël proposé par les États-Unis : il ne serait désormais pas seul à lâcher les Palestiniens. Un détournement d’avions par la résistance palestinienne les faisant atterrir en Jordanie, qui avait fait pousser des hauts cris dans le monde occidental, lui servit de prétexte.

Le 15 septembre le roi Hussein déclarait la loi martiale, le 17 septembre l’artillerie pilonnait les quartiers palestiniens d’Amman avant l’intervention massive des chars dans la ville et dans les camps. Les combats durèrent plus d’une semaine, faisant des milliers de morts (entre 3 500 et 10 000 selon les sources) et des dizaines de milliers de blessés. Le 27 septembre, réunis au Caire par le président Nasser, Arafat et Hussein signaient un accord de cessez-le-feu. Les Palestiniens de Jordanie allaient connaître un nouvel exode, direction le Liban.

1975-1976 au Liban : extrême droite libanaise et troupes syriennes contre les Palestiniens

C’est désormais dans ce pays, où les camps de réfugiés étaient déjà très nombreux, que se retrouvent donc concentré dans les années 1970 l’essentiel des forces des organisations palestiniennes. Le Sud-Liban est régulièrement sous les bombardements et raids de l’armée israélienne, qui ne se gêne pas pour pénétrer dans le pays, sous l’œil d’une armée libanaise trop faible pour réagir, mais surtout dirigée par l’extrême droite chrétienne dont les Palestiniens sont la bête noire.

Le Liban connaît une crise économique et politique qui oppose les diverses fractions de la bourgeoisie libanaise et ses grandes familles qui se partagent le pouvoir. Face au mécontentement social qui se manifeste notamment par des grèves, du côté de l’extrême droite libanaise, ce sont les Palestiniens qui sont désignés comme la cause de tous les maux, et qu’il faudrait expulser du pays. Mais ce sont toutes les couches pauvres qui sont visées, celles des quartiers ouvriers de Beyrouth, ces Libanais de la région sud du Liban, l’une des plus pauvres du pays, qui, fuyant les bombardements israéliens, se retrouvent dans les bidonvilles de la capitale aux cotés de réfugiés palestiniens.

La grève des marins pêcheurs de Saïda et leur manifestation sur laquelle tire l’armée libanaise, le 26 février 1975, faisant plusieurs morts, avaient pour but d’exiger le retrait du droit de pêche qui venait d’être accordé pour l’ensemble de la côte libanaise à une grosse société, les privant de fait de leur moyen de vivre. La société en question était présidée par Camille Chamoun, l’ancien chef d’État libanais, l’un des hommes les plus riches de la bourgeoisie maronite au pouvoir. La fusillade avait été suivie de plusieurs jours d’émeutes et d’échauffourées avec l’armée (bilan total, quinze morts), et l’appel à une grève générale est lancé dans la région. Il est à noter que parmi les manifestants tués figurait l’ancien député de la ville, homme de gauche et se disant ouvertement pro-palestinien : à son enterrement, son cercueil était recouvert du drapeau palestinien3. Par contre, quelques jours après la répression de la manifestation de Saïda, à Beyrouth, étudiants de droite, partis de droite et d’extrême droite manifestaient leur soutien à l’armée.

Et c’est la fusillade faisant 27 morts, le 13 avril 1975, d’un car de Palestiniens (surtout des femmes et des enfants) par des miliciens des « phalanges » de Gemayel, leader de l’extrême droite chrétienne maronite et admirateur d’Hitler, qui a marqué le point de départ de ce qui allait être la guerre civile du Liban. Elle souleva autant d’indignation que la fusillade de Saïda moins d’un mois plus tôt.

La guerre civile qui se déclenchait pris une allure en partie confessionnelle : la grande bourgeoisie libanaise était surtout chrétienne maronite (mais eulement, bien sûr) ; la grande majorité de la population laborieuse (et à vrai dire la majorité de la population tout court) était musulmane. Mais dans la période 1975-1976 cette guerre était avant tout sociale.

Il fallait toute la myopie politique d’un dirigeant nationaliste, qui voulait se montrer responsable vis-à-vis de la bourgeoise libanaise autant que de la bourgeoisie mondiale et ne chercher d’alliés que dans la cour des grands, pour déclarer, comme l’a fait Arafat en juin 1975 : « Tout ce qui se passe au Liban est injustifiable. La révolution palestinienne sait pour sa part que le véritable champ de bataille se trouve en Palestine. »

Pendant plus d’un an, les combattants palestiniens se sont trouvés au coude à coude avec les ouvriers et chômeurs libanais, appuyés par la gauche libanaise, pour la défense de leurs quartiers contre les assauts des phalanges de Gemayel épaulées souvent par l’armée. Les quelque 200 000 réfugiés palestiniens (sur une population totale de 2,7 millions) étaient en plein milieu de cette bataille. Leur sort en dépendait. Et ils se sont retrouvés complètement impliqués, aux côtés des travailleurs et populations pauvres du Liban. Ce sont même en grande partie les militants palestiniens, parce qu’ils étaient plus aguerris, mieux armés, qui furent l’ossature des milices qui défendaient les quartiers ouvriers.

Jusqu’à ce que, début juin 1976, les troupes syriennes entrent au Liban et rétablissent l’ordre en prenant le parti de l’extrême droite libanaise dont les milices étaient en difficulté face aux forces de ce qu’on appelait le camp « palestino-progressiste ».

De façon dérisoire le chef de l’OLP, Yasser Arafat, et le leader de la gauche libanaise, Kamel Joumblatt joignaient Moscou pour lui demander d’imposer à la Syrie le retrait de ses troupes. En vain. Le 22 juin les phalanges de l’extrême droite libanaise appuyées par l’armée partaient à nouveau à l’assaut du camp de réfugiés de Tal Al-Zartar (17 000 habitants) qui est écrasé après 50 jours de combats, et plus de 2 500 morts. Un millier d’autres sont exécutés au moment de l’évacuation des survivants.

III. De la défaite au Liban à la révolte des pierres

Les années suivantes au Liban ne furent donc plus que des années de défaites, où les troupes israéliennes n’ont cessé d’attaquer les camps de réfugiés palestiniens. Jusqu’à la décision en 1982 du général Sharon d’envahir le Sud-Liban, et de pousser l’offensive jusqu’à la ville de Beyrouth.

Le 6 juin, 100 000 soldats israéliens entraient au Liban pour l’opération de guerre dite « Paix en Galilée ». Ils passaient sans encombre la ligne de démarcation officiellement tenue par les casques bleus de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) : 15 000 soldats de l’ONU mis en place depuis 1978 pour créer une zone tampon entre le Liban et Israël. Les troupes israéliennes allaient monter jusqu’à la capitale libanaise pour assiéger les quartiers ouest de Beyrouth, quartiers populaires de 200 000 habitants où des militants de l’OLP étaient supposés avoir trouvé refuge, pendant que les camps de réfugiés du sud étaient sous les bombes. La Finul n’avait servi que de passoire. Mais c’est à la fin des combats que les « forces de paix » de la « communauté internationale » (comme on appelle les instances internationales, que Lénine, du temps de la Société des nations, ancêtre de l’ONU, qualifiait de « caverne de brigands ») intervenaient pour organiser fin août, avec des troupes françaises italiennes et américaines, l’évacuation du Liban de l’OLP et de ses combattants (15 000 hommes) : direction leur exil en Tunisie. Israël qui avait promis, en échange de cette expulsion, de ne pas entrer dans la ville de Beyrouth, ne s’est pas gênée pour le faire, le 15 septembre, avec l’accord de l’armée libanaise. Les 16 et 17 septembre des milices libanaises d’extrême droite, avec la complicité de l’armée israélienne, massacraient les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, désormais privés de tous les combattants palestiniens pouvant les défendre.

L’espoir des années 1980 n’est pas venu des états-majors de l’OLP, ni des combattants qui s’étaient levés au lendemain de la guerre de 1967. Il est venu des jeunes de la Cisjordanie occupée, quand a commencé, en 1987, la première Intifada (ou « révolte des pierres »). Une des pires révoltes aux yeux de l’État hébreu. Face à ces jeunes de 14-15 ans, parfois moins, armés de simples caillasses qui exprimaient leur rage de vouloir vivre, leur haine de l’occupation et des colonisations, faisaient face à l’armée, à de jeunes soldats israéliens, surarmés eux, qui avaient difficilement le cœur à obéir aux ordres. La guerre n’était pas à Beyrouth ou à Amman, mais sur place. Il n’y a eu, jusque-là, que deux périodes où l’armée israélienne a compté dans ses rangs des soldats qui ne voulaient plus marcher : lors de la guerre du Liban de 1982, et au moment de cette révolte des pierres. À voir ce que l’intervention actuelle féroce de l’armée israélienne contre Gaza peut déclencher.

L’OLP par contre en est morte. Le Fatah, la principale organisation palestinienne qui composait l’OLP et se confond pratiquement aujourd’hui avec l’Autorité palestinienne, en est morte aussi en tant qu’organisation de résistance. Il n’est plus qu’un embryon d’appareil d’État. Un appareil, mais sans pouvoir, à part celui de supplétif local qu’Israël lui laisse.

IV. De l’exil à Tunis aux fauteuils (éjectables ?) de Ramallah

La révolte des pierres ayant montré que l’occupation de la Cisjordanie n’était plus si simple, c’est le grand parrain américain qui a poussé vers une prétendue issue. Pour les États-Unis, au début des années 1990, avec la fin de l’URSS, il semblait possible de tenter de solder quelques-uns des points de tensions permanents de la planète. Même si on ne peut pas dire qu’ils y aient beaucoup réussi ! Cette tentative de résoudre l’éternel problème palestinien, ce fut alors les accords d’Oslo, négociés dans la capitale norvégienne, signés en grande pompe à la Maison-Blanche et couronnés d’un prix Nobel de la paix.

La paix des dupes. Avec un mouvement palestinien émietté, vaincu, un commandement presque sans troupes, exilé (on pourrait dire en résidence surveillée) à Tunis, Yasser Arafat a de fait accepté toutes les conditions posées par Israël à la solution que prônait les États-Unis : en guise d’un bout d’État, promis souverain pour plus tard, ce n’était qu’un territoire morcelé, affublé d’une simple « Autorité palestinienne », à l’autorité plus ou moins limitée selon qu’on est dans une zone dite A, B ou C, et de toute façon partout limitée au droit de faire la police (et encore, sous la surveillance d’Israël) et de gérer la misère sur ces territoires sans boulot, et qui depuis 30 ans maintenant n’ont cessé d’être grignotés par de nouvelles colonisations.

L’OLP, mise hors course par son exil à Tunis, avait été quasi absente de la révolte des pierres. Elle revenait en Palestine non plus en direction de la révolte, mais pour construire, en tant qu’Autorité palestinienne, son embryon d’appareil d’État, sa police et ses bureaux, pour gérer la misère et se porter garante vis-à-vis d’Israël du contrôle de la population de Gaza et de Cisjordanie. Elle s’efforçait de récupérer pour son propre appareil (y compris bâtir sa police) une partie des jeunes militants qui s’étaient révélés dans l’Intifada4. Même si l’Intifada a été aussi l’occasion pour un courant, le courant islamiste jusque-là cantonné à l’encadrement religieux et aux œuvres de charité, de commencer à s’immiscer dans la politique en concurrence des organisations de la résistance palestinienne5.

La seconde Intifada, celle de l’année 2000, l’explosion de colère qui a suivi la provocation sur l’esplanade des Mosquées de Jérusalem d’Ariel Sharon (l’homme de la guerre du Liban de 1982 et parrain des massacres de Sabra et Chatila) a en grande partie échappée à l’OLP. Elle fut surtout marquée par la politique du Hamas.

Sur les territoires occupés, baptisés par Oslo « Territoires palestiniens » à la charge de l’Autorité palestinienne, mais toujours contrôlés par Israël et depuis 30 ans grignotés par les nouvelles colonisations, une bourgeoisie palestinienne, peu nombreuse, s’est développée, autour de l’Autorité palestinienne bien entendu. Elle monopolise les relations commerciales entre les territoires palestiniens et Israël, gère (ou empoche) l’aide internationale. Cette bourgeoisie a seule des facilités de circulation, exploite sur place dans de petites entreprises une main-d’œuvre à bon marché, touche les pots de vin des marchés publics passés par l’Autorité palestinienne. Même sur le permis de travail de 2 500 shekels (environ 600 euros), dont les ouvriers palestiniens qui vont travailler en Israël doivent s’acquitter, l’intermédiaire palestinien qui le fournit en retient en moyenne 600 (140 euros). Mahmoud Abbas lui-même est accusé de corruption. À noter qu’il en est de même de ses concurrents du Hamas qui gèrent depuis 2007 la bande de Gaza.

Olivier Belin

 

 


 

 

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1 Le roman Chronique du figuier barbare de Sahar Kahlifa, datant de 1978 en montre un aspect.

2 Selon le reportage de Gérard Challand dans le Monde Diplomatique de juillet 1970 (https://www.monde-diplomatique.fr/1970/07/CHALIAND/29729#nh5)

3 Voir notamment à ce sujet le livre Le Liban au bout du fusil de Pierre Vallaud (Édition Hachette, 1976).

4 Le livre Génération Intifada, de Laetitia Bucaille, donne quelques portraits de ces jeunes, de l’intégration de certains à l’appareil d’État naissant de l’Autorité palestinienne, le malaise d’autres de ces révoltés au rôle de cadres qu’on leur propose.

5 Voir sur ce sujet notre article « Le Hamas au pouvoir : un gouvernement capitaliste, rentier et autoritaire, sous-produit de l’oppression israélienne ».