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Nationalisation d’Orano au Niger : un recul surtout symbolique pour l’impérialisme français

Le 19 juin 2025, le gouvernement du Niger a annoncé la nationalisation de la Société des mines de l’Aïr (Somaïr), jusqu’alors détenue à plus de 63 % par la multinationale française Orano, exploitant les mines d’uranium afin de fournir en combustibles les centrales nucléaires françaises.

Cette nationalisation est l’aboutissement de plusieurs années de recul de l’impérialisme français dans cette ancienne colonie, indépendante depuis 1958, et plus largement dans la région.

Près de six décennies d’exploitation

En 1965, alors que la France s’apprêtait à ouvrir sa première centrale nucléaire à la fin de la décennie, le Niger est devenu un nouvel eldorado, avec les principales ressources d’uranium exploitables de l’ancien empire colonial. Deux ans plus tard, en 1967, le gouvernement nigérien concédait à la France un accord d’accès privilégié à son uranium, en échange d’une aide exceptionnelle au développement… qui n’a jamais été versée.

En 1969, la Société des mines de l’Aïr (Somaïr) était créée pour exploiter la mine d’Arlit, au nord du pays, avec pour principal actionnaire, à 67 %, le Commissariat à l’énergie atomique français (CEA, dont le secteur de production est devenu en 1976 la Cogema, puis Areva et enfin Orano, détenue à 90 % par l’État français).

En 1974, une deuxième société, la Compagnie minière d’Akouta (Cominak) était créée, détenue à 34 % par le CEA et pour le reste par des capitaux japonais, espagnols et nigériens. Cette mine, située dans la même région que celle d’Arlit, a été exploitée jusqu’à son épuisement, en 2021 (Orano était alors montée à 59 % des parts).

Enfin, toujours dans le nord du pays, un projet d’exploitation du gisement d’Imouraren, dont les réserves sont estimées à 200 000 tonnes, a été longuement étudié, puis relancé en mars 2023, sans être finalement concrétisé.

En 2022, après la fermeture de la mine d’Akouta, le Niger restait le deuxième fournisseur d’uranium de la France, derrière le Canada (21 % de l’uranium utilisé en France) et à quasi égalité avec la Russie, le Kazakhstan et l’Australie (16 à 18 % chacun), loin devant la Namibie (10 %).

Cette diversification s’explique par les besoins de la filière nucléaire française, mais aussi par une conscience des gouvernements français successifs depuis les années 1970, du risque qu’il y aurait à tout miser sur un seul fournisseur, a fortiori un fournisseur auquel avait été promise une aide jamais versée !

Une expulsion progressive

Le gouvernement actuel d’Abdourahamane Tiani, arrivé au pouvoir par le putsch militaire de l’été 2023, s’inscrit dans la vague qui a chassé l’armée française de la région : elle a fini de quitter le Mali en juin 2022, la Centrafrique en décembre 2022, le Burkina Faso en février 2023, le Niger en décembre 2023 et, dernier en date, le Tchad en janvier 2025.

En février 2024, le gouvernement a permis à Orano de reprendre ses activités qui étaient à l’arrêt depuis le coup d’État… Mais le pouvoir ayant fermé la frontière avec le Bénin, où l’uranium est embarqué pour la France au port de Cotonou, 1 300 tonnes de concentré d’uranium (pour une valeur de 250 millions d’euros) sont restées bloquées au Niger. Elles y sont maintenant depuis deux ans !

En juin suivant, le pouvoir a retiré à Orano son permis d’exploitation du gisement d’Imouraren. Puis en octobre, Orano a annoncé la suspension de sa production, étant empêchée de fait de continuer à travailler dans le pays. Quelques semaines plus tard, les autorités nigériennes ont pris le contrôle opérationnel de la mine.

Enfin, en mai dernier, les locaux d’Orano Niger ont été perquisitionnés et son directeur général, Ibrahim Courmo, arrêté… Dernier épisode avant la nationalisation finale du 19 juin 2025.
Une expulsion progressive, donc, qui a permis à Orano de se réorganiser, et qui n’a pas empêché la multinationale française de tripler ses bénéfices entre 2023 et 2024.

Un meilleur partage entre impérialistes et capitalistes nationaux

Nous ne pouvons que nous réjouir de l’affaiblissement d’une vieille puissance capitaliste et néo-colonialiste qui a, des décennies durant, multiplié les crimes et les pillages au Niger comme ailleurs en Afrique et dans le monde. Mais cette politique a été menée par les militaires de Niamey sans réellement brusquer les intérêts du capitalisme français, seulement pour rechercher d’autres contrats plus équitables (ce n’est pas difficile !) : la Chine est sur les rangs, la Turquie a signé il y a un an un contrat minier…

Plus étonnante a été l’expulsion en mars et mai derniers de dirigeants, puis de salariés de la Société nationale du pétrole de Chine (CNPC) afin d’imposer l’embauche de main-d’œuvre locale et le transfert de technologies. Mais là encore, il ne s’agit que d’imposer une meilleure répartition des postes de direction et des fruits de l’exploitation des richesses. Pour la même raison, les contrats d’exploitation qui lient des sociétés nigériennes à des capitaux espagnols, japonais, sud-coréens ou canadiens sont toujours en vigueur, tant que ces capitaux sont minoritaires et que les entreprises appartiennent majoritairement au Niger. À l’automne dernier, des sociétés russes ont été invitées par le ministre des Mines, Mahaman Moustapha Barké, à étudier une possible installation, dans le même état d’esprit.

Voilà jusqu’où peuvent aller des gouvernements capitalistes et nationalistes : imposer un meilleur partage des fruits de l’exploitation entre eux et les capitalistes des métropoles impérialistes… Mais en aucun cas sortir d’une économie d’exportation de matières premières, autrement dit de rente, ni mettre fin à la pauvreté et à l’exploitation.

Jean-Baptiste Pelé