Nos vies valent plus que leurs profits

P. Diddy face à la justice : l’empire de la violence

New York, mai 2025, l’ouverture du procès fédéral de Sean « Diddy » Combs marque une secousse majeure dans l’industrie musicale. Inculpé pour trafic sexuel, racket, enlèvement, corruption et exploitation sur plus de deux décennies, l’ancien magnat du hip-hop est désormais au cœur d’un scandale qui expose les rouages d’un système violent, organisé, et longtemps protégé.

Du studio au domicile : un empire de contrôle

Cassie Ventura, ex-compagne et principale plaignante, a été repérée à 19 ans par Combs, alors âgé de 37 ans. Une relation asymétrique a alors commencé, où l’affectif et les promesses de succès masquaient la prédation. Derrière la façade du mentor artistique, se cachait un contrôle absolu : « Il contrôlait ma vie entière », a-t-elle déclaré à la barre. Vêtements, coiffure, ongles, communications : tout était réglé au millimètre. S’écarter du script imposé, c’était s’exposer à l’humiliation, au retrait brutal de ses biens, à l’isolement.

Ce type de domination porte un nom : le contrôle coercitif. Surveillance constante, menaces, dépendance économique, isolement, manipulation psychologique, autant de techniques utilisées pour priver la victime de toute autonomie. Le but n’est pas seulement de dominer, mais de réécrire la réalité de l’autre, d’en faire une extension de sa volonté. Cassie décrit des scènes d’une violence inouïe : « Il me frappait à la tête, me traînait au sol, me donnait des coups de pied. » Ces agressions n’étaient pas des « dérapages » dus à la jalousie, comme le prétendent les avocats de la défense, mais bien les instruments d’un « dressage ».

L’inversion de la culpabilité

La stratégie des avocats de Combs est classique : « relation toxique mais consentie » ; ils parlent « d’une histoire d’amour, de jalousie et d’argent », mettant aussi en avant les côtés « violents » de Cassie Ventura. Derrière ces formules se déploie une logique classique bien rodée : blâmer la victime. Si elle est restée, c’est qu’elle le voulait bien ou qu’elle en tirait un avantage ; si elle n’était pas une victime parfaite, bien docile, c’est qu’elle était complice ; si elle parle, elle ment.

Ce raisonnement nie complètement la logique de l’emprise. Quitter un agresseur qui détient votre carrière, vos revenus, votre intimité et vos secrets, ne peut pas être une décision libre. C’est une mise en danger. Le contrôle coercitif installe une prison sans murs, dans laquelle la peur, la dépendance et l’effacement de soi paralysent toute capacité à fuir.

Du « roi du hip-hop » au chef d’entreprise criminel

Combs n’est pas jugé pour violences domestiques, ni des agressions individuelles. Il est décrit par les procureurs comme le chef d’un réseau structuré de violences et d’exploitation. Derrière l’image de l’homme à 700 millions de dollars (selon le magazine Forbes), c’est un système mafieux qui est révélé : enlèvements, corruption, prostitution forcée, manipulation psychologique. Une mécanique bien huilée, protégée par l’argent, la célébrité et l’impunité masculine.

Mais le fait que Ventura ait réussi à sortir de cette emprise a permis à d’autres victimes ou témoins de parler. En portant plainte en novembre 2023, elle a brisé l’isolement et ouvert une brèche. D’anciens collaborateurs, dont des membres du groupe de R&B B5, ont pris la parole. D’autres femmes et hommes aussi. Ce qui semblait impensable il y a encore un an devient visible. La parole se libère. La peur recule. Le récit unique de Cassie a fissuré une façade et révélé une architecture plus vaste, faite d’abus en série, couverts et reproduits.

Une industrie de l’omerta

Les actes d’accusation évoquent les « freak-offs » : soirées privées orchestrées par Combs, mêlant drogues, abus sexuels, enregistrements non consentis, parfois en présence de mineurs. Des violences ritualisées dans des lieux de luxe, avec la complicité silencieuse, ou active, de managers, agents, artistes ou journalistes.

Ce n’était pas un secret. Ce n’était pas une « face cachée » de Combs. C’était su, toléré et banalisé. Parce que dans l’industrie musicale, comme au cinéma ou dans le sport, tant que les figures masculines génèrent du profit, elles sont sanctuarisées. Intouchables.

Croire que Combs agissait seul, dans ce contexte, est naïf ou complice. Ces soirées où « il fallait être » étaient des lieux de pouvoir. Des rites d’entrée. Des scènes de domination partagée. Qui filmait ? Qui fournissait les lieux ? Qui regardait en silence ? Qui s’enrichissait ?

Ce n’est pas seulement un homme qu’il faut juger, c’est tout un système

Cassie Ventura a brisé la machine à silence. Grâce à son témoignage, d’autres récits émergent. D’autres vérités remontent. Mais il ne suffit pas de condamner un homme, aussi puissant soit-il. Il faut défaire les conditions qui ont permis cette toute-puissance.

Les violences faites aux femmes ne sont pas l’apanage d’un milieu ou d’un statut. Mais plus les hommes sont riches, plus ils disposent de moyens pour dominer, exploiter et faire taire. Et plus le système met de ressources à leur service.

Car le « cas Combs » n’est pas un cas isolé. Ce n’est pas une « dérive ». Ce procès révèle comment l’argent et la notoriété confèrent un permis d’abuser, tant que cela sert les intérêts d’un système.

Nora Debs