Nos vies valent plus que leurs profits

Procès Le Scouarnec : la plus grande affaire de pédocriminalité jamais jugée en France

Depuis le 24 février, une salle comble de la cour criminelle du Morbihan de Vannes voit défiler les témoignages glaçants des victimes et des proches de l’ex-chirurgien breton Joël Le Scouarnec, accusé par près de 300 anciens patients et patientes de viol et d’agression sexuelle. Les victimes avaient en moyenne onze ans au moment des faits, certaines à peine deux ans.

En 2020, le médecin avait déjà été condamné à quinze ans de prison pour avoir abusé de quatre enfants, dont ses petites-nièces dans le volet incestuel de l’affaire. Premier procès qui s’était tenu à huis clos total, sans public ni presse, ce qui n’est pas le cas pour celui-là où une centaine de journalistes, près de trois cent parties civiles, une soixantaine d’avocats suivent ces 75 jours d’audience.

Au cours de ces quatre mois de procès, les interventions des premières victimes en ont encouragé d’autres à se porter partie civile et à témoigner, après des années d’isolement et d’amnésie traumatique. Ce procès, qui touche à sa fin, est l’occasion pour elles de pouvoir se reconstruire.

Toutes étaient des patients des différents hôpitaux où il exerçait. L’accusé faisait passer ces agressions sexuelles pour des contrôles médicaux postopératoires – quel enfant remettrait en question la parole de son médecin ? Pour les enfants plus âgés, il profitait de l’anesthésie pendant l’opération… Dans les deux cas donc, le moyen sûr que la victime ne se souvienne de rien. Mais l’absence de souvenir n’est pas l’absence de traumatisme.

Le rôle de Le Scouarnec, son statut social, sa maison, sa famille où, comme le raconteront ses enfants lors du procès, régnait ordre, discipline, « bonne éducation », sa bonne entente avec ses collègues de l’hôpital, tout ça était la couverture parfaite pour que personne ne se doute de rien, mais aussi que le peu de victimes qui se souviennent de quelque chose n’osent jamais rien dire.

Au fur et à mesure de l’enquête, il a été révélé, comme pour d’autres affaires de violences sexuelles, comme celles du procès de Dominique Pelicot, que c’est toute la famille qui en était victime, comme le fils Le Scouarnec qui était abusé par le grand-père… Une ambiance violente au sein du foyer familial, couverte par le silence et l’omerta, qui pave la voie à l’impunité.
D’autant plus quand les violences sexuelles faites aux enfants sont aussi courantes : c’est 160 000 cas par an. Tus, cachés, couverts de honte, comme c’est le cas également pour l’affaire Bétharram où Bayrou continue de nier les faits.

Toute la société ouvre la porte aux violences pédocriminelles, depuis le chef du gouvernement qui les couvre à Bétharram, jusqu’à la justice – cette justice qui avait déjà condamné Le Scouarnec à cinq mois avec sursis en 2005 pour détention d’images pédopornographiques, sans l’empêcher de travailler avec des enfants. En passant par les directions des hôpitaux qui se sont renvoyé la balle, qui étaient au courant de cette condamnation mais n’en ont rien fait et l’ont même promu à des postes de responsabilité.

Si les vingt ans que Le Scouarnec risque d’écoper à l’issue du procès pourront soulager les plusieurs centaines de victimes, reste à savoir comment ne plus engendrer des Le Scouarnec, Pelicot, P. Diddy, etc.

Ce procès, comme celui de Dominique Pelicot, (qui était aussi « un bon père de famille ») est montré en exemple. Mais si 10 % des victimes de violences de ce genre seulement portent plainte, c’est bien que tout est fait pour les réduire au silence. Ce qui a donné du courage à celles qui le font à Vannes en ce moment, c’est la force du nombre, de pouvoir se serrer les coudes et d’être plus fortes que tous ceux qui ne les ont jamais crues – y compris au sein de leur propre famille. La parole des premières aidant les autres à faire entendre la leur.

Seulement, ce système qui engendre des violences, et donc des criminels, ne pourra pas être aboli lors d’un procès extraordinaire. Les preuves contre l’ancien médecin sont sans appel, il a lui-même assumé et décrit ses actes, avec nom et âge de chacune de ses victimes. Mais des crimes comme ceux-ci, par des médecins qui abusent de leur position comme on l’a vu lors du #MeeTooHôpital, ou par des « monsieur Tout-le-monde », se comptent par milliers… et posent la question de comment les combattre.

La solidarité des victimes de Le Scouarnec montre la voie, parce que toutes les avancées pour mettre à mal la domination masculine, qui engendre les violences sexuelles sur les femmes et les enfants, l’ont été par la lutte. C’est pour ça que des rassemblements ont été appelés à Vannes le 19 et le 24 mai, et que des propositions seront faites au ministère de la Santé.

Mais les avancées institutionnelles ne sont que des solutions temporaires, toujours susceptibles d’être remises en question, ne serait-ce que par les restrictions budgétaires qui empêchent de les mettre réellement en pratique. Mais ces retours en arrière sont aussi au programme de l’extrême droite et d’une partie de la droite, qui, à coups de polémiques contre l’éducation à la vie affective et sexuelle à l’école, attaquent le droit des enfants à connaitre dès leur plus jeune âge leur propre corps, et à apprendre qu’il leur appartient.

Car ce ne sont pas seulement des individus « déviants » qui sont criminels, ce sont aussi les structures d’autorité, de pouvoir, d’impunité et de domination qui leur permettent de surgir et de s’épanouir. Des médecins, des prêtres, des pères, des patrons, tous abrités par un système qui sanctuarise leur autorité, et la famille en est le premier berceau, car c’est bien contre les enfants en premier lieu qu’il est possible d’être tout puissant. Tant qu’on ne s’attaque pas à ce système, les « monstres » continueront de naître, dans toutes les couches de la population.
Il faudra des mobilisations collectives, de soutien aux victimes, oui, mais surtout de révolte contre ce vieux monde pourri, pour supprimer durablement l’exploitation et toutes les oppressions, afin de réellement mettre fin à toutes les violences de genre.

Abel Toshed