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Réponse au bureau de l’Académie des sciences

Source : wikipedia, photo de Guilhem Vellut

Ci-dessous la réponse de Selma Labib à un questionnaire de l’Académie des sciences

 

 

Paris le 28 mai 2024

Au bureau de l’Académie des sciences,

Avant de répondre de la manière la plus ramassée aux questions que vous m’avez adressées, je souhaite réagir à la déclaration de l’Académie du 6 mai dernier « L’avenir de l’Europe nécessite la promotion d’une recherche scientifique et d’une éducation de qualité, qui soient libres et accessibles à tous ».

La connaissance scientifique et sa diffusion est le plus grand défi qui soit lancé aux sociétés d’exploitation. Le capitalisme n’y échappe pas. Il tente d’enrôler la science pour perfectionner l’exploitation du travail humain, mais ne parvient qu’à prouver à quel point l’humanité pourrait subvenir à ses besoins en limitant le temps passé à travailler par nécessité – et en augmentant le temps où « règne la liberté » pour reprendre les mots de Karl Marx.

Oui, le capitalisme enrôle la science pour augmenter la productivité, mais celle-ci se venge au centuple en donnant les moyens à l’activité collective de l’humanité de s’émanciper de toute forme d’exploitation, de repousser toutes les frontières et d’imaginer une société gouvernée collectivement, où l’oppression des hommes serait remplacée par l’administration des choses.

Faute de pouvoir la dompter, le capital tente de standardiser la connaissance, de la privatiser afin de la vendre. Il tente de la transformer, comme tout, en marchandise. Tentatives vaines, car la connaissance est, par sa nature, différente de tous les biens ou services susceptibles de s’échanger : elle ne se partage pas mais au contraire se multiplie lorsqu’elle se diffuse, elle ne s’use pas mais s’enrichit lorsqu’elle circule. Non, les brevets commerciaux et autres secrets militaires n’ont aucun avenir. Mais ils n’en sont pas moins aujourd’hui des obstacles bien réels, et ce n’est pas la moindre des raisons qui nous motivent à renverser le capitalisme !

Il est révoltant qu’une partie de la recherche fondamentale et appliquée soit confisquée en priorité par les armées. Il est révoltant que la circulation internationale des connaissances soit entravée par des frontières entre pays ou blocs rivaux. De même qu’il est révoltant que des brevets interdisent ou rendent trop coûteuses les productions de médicaments là où il y en a besoin quand il y en a besoin.

La recherche scientifique et sa diffusion sont des outils d’émancipation. L’accès de tous et toutes à une éducation de qualité, non seulement ne progresse plus, mais est mis à mal en France par des politiques d’économies budgétaires qui pèsent uniquement sur les enfants de travailleurs – ceux des classes privilégiées seront toujours financés par leurs parents, car quel parent ne fait pas de l’éducation de ses enfants une priorité ? La logique de sélection n’est pas une manière d’offrir des choix d’orientation mais transforme l’enseignement primaire et secondaire en une usine à tri social – parcoursup et la réforme des groupes de niveau au collège en sont deux exemples récents.

La recherche publique est le véritable moteur des progrès de la connaissance. Dégagée, du moins en partie, des impératifs de rentabilité immédiate, elle se déploie dans des champs étrangers à l’investissement privé, notamment les sciences fondamentales et humaines. La cure d’austérité auxquelles sont soumis le CNRS, les universités et les instituts est un crime contre la connaissance. Nombreux sont mes camarades du NPA-Révolutionnaires qui ont eu la chance d’accéder, pour quelques années, à une formation universitaire, y ont acquis le goût de la recherche, avant de se voir fermer les portes de toute institution faute de postes. Que les membres de l’Académie se rassurent, cette génération n’en a pas conçu une aversion pour la science, bien au contraire, mais pour le capitalisme !

Ce sont ces camarades, ainsi que ceux et celles qui travaillent comme salariés (ouvriers, techniciens ou ingénieurs) dans les secteurs de production concernés (automobile, transports, énergie, industrie chimique dont pharmaceutique, informatique et agriculture) que j’ai sollicités pour répondre aux questions que vous m’avez posées.

Salutations anticapitalistes, révolutionnaires et internationalistes.

Selma Labib, conductrice de bus, pour le NPA-R « Pour un monde sans frontières ni patrons, urgence révolution ! »

 

 

A) Thème énergie

Questions

1. Dans le cadre de la trajectoire vers une énergie bas-carbone, quelle place accordez-vous aux énergies renouvelables (hydraulique, solaire et éolien) et au nucléaire dans le mix énergétique de l’Europe – et dans celui de notre pays – à horizon 2050 ?

2. Comment envisagez-vous l’utilisation de l’hydrogène comme porteur d’énergie en Europe à l’horizon 2050 ?

Réponses (maximum 2 pages) :

1. Pour répondre à l’urgence du dérèglement climatique, on ne peut se contenter de poser le problème uniquement en fonction de la place des différentes formes d’énergie dans le mix énergétique, qu’il soit européen, ou bien français. La pollution et les rejets de gaz à effet de serre sont des problèmes mondiaux. Même si les rejets de GES dans l’atmosphère diminuent sur un territoire donné, cela ne compensera pas les émissions d’autres zones sur la planète. Une politique conséquente d’un point de vue du rejet de GES ne peut donc pas se discuter à l’échelle nationale, ni à l’échelle d’un continent. A fortiori dans le cadre d’un système capitaliste extrêmement concurrentiel, où toutes les politiques climaticides des uns servent de prétexte aux autres pour, au mieux, rester immobiles, au pire, accentuer les rejets de polluants : pourquoi faire des efforts en termes de normes environnementales à respecter, d’investissement à assurer si ces obligations ne sont pas faites au concurrent avec les dépenses supplémentaires que cela induit.

L’énergie nucléaire est certes la source d’énergie la plus décarbonée aujourd’hui. L’absence de gestion des déchets radioactifs reste néanmoins catastrophique, empoisonnant les zones d’enfouissement et les écosystèmes alentour pour des milliers et des milliers d’années. Cette non-gestion correspond à une volonté de réduire au maximum les coûts de cette activité non rentable, mais néanmoins indispensable. Par ailleurs les baisses des budgets de l’État – conséquences des choix économiques de privilégier les entreprises et le patronat plutôt que le bien-être de la population – entraînent immanquablement une augmentation des risques d’accidents – à commencer par la mise en danger des travailleurs des sites nucléaires, en particulier les plus précaires.

Le développement des énergies renouvelables reste pour le moment très modeste au vu des enjeux du dérèglement climatique. La tendance actuelle montre que loin de remplacer d’autres formes de production énergétique bien plus productrices de GES, la production par énergie renouvelable s’ajoute à la production à base d’hydrocarbures, de charbon ou de gaz naturel. La fameuse « transition » ne correspond pas à une substitution d’une forme d’énergie polluante par une forme d’énergie moins polluante mais à une superposition de toutes ces formes d’énergies et donc ne diminue pas les émissions globales. Pire, le développement des énergies renouvelables s’accompagne d’une augmentation des énergies fossiles. Entre 2015 et 2021, d’après les données du cabinet de conseil Carbone4, les énergies renouvelables ont vu leur production augmenter de 18 ExaJoules quand les énergies fossiles ont vu leur production augmenter de 27 ExaJoules. Que cette augmentation concerne en grande majorité des pays extérieurs à l’UE, ne doit pas déresponsabiliser l’UE, car les multinationales parmi les plus polluantes sont d’origine européenne, comme Total et que leurs émissions se font principalement hors UE.

Par ailleurs, le développement de la production d’énergie électrique à partir de sources bas carbone, même si elle était amenée à remplacer l’utilisation des énergies fossiles, peut entraîner de nouvelles catastrophes écologiques, d’autant plus qu’il ne s’accompagne pas d’une remise en cause profonde de la quantité globale d’énergie consommée pour la production et le transport et donc des choix et des modes de production du système capitaliste. Les capitalistes ne produisent pas pour répondre aux besoins de la grande majorité de la population, mais uniquement pour faire du profit. Ils cherchent à tout prix à s’affranchir des (faibles) réglementations environnementales quand elles existent ou à les amoindrir.

En considérant un scénario business as usual qui est le seul scénario envisagé dans le système capitaliste qui ne saurait souffrir d’une remise en cause de la production de richesses, l’AIE prévoit un doublement des ressources en métaux nécessaires à la transition d’ici 2030, un quadruplement si les objectifs de l’accord de Paris sur le climat sont respectés (et ils sont insuffisants au vu des enjeux). Or, l’industrie minière est une des industries les plus polluantes de la planète. La baisse des émissions de GES, si tant est qu’elle soit réelle dans le cadre de la « transition », déplacerait le problème et entraînerait une pollution massive de l’environnement et une destruction tout aussi massive des écosystèmes. Et il ne faut pas croire que ces catastrophes ne se produiraient qu’hors d’Europe, où les normes environnementales seraient moindres. En 1998 la rupture du barrage de la mine de Los Frailes en Andalousie a pollué des milliers d’hectares de pâturages et de marécages et 80 kilomètres de cours d’eau. En Bretagne, une mine d’Imerys accapare d’immenses espaces pour construire ses fosses, au détriment de la biodiversité ainsi que les ressources en eau de la région. C’est une multiplication de ce genre d’impacts sur l’environnement qui risque de se produire dans le cadre du développement de la production minière.

Tant que la société sera organisée autour de la production de profits, de la concurrence généralisée entre les entreprises et entre les États qui défendent leurs intérêts pour contrôler tel territoire ou tel approvisionnement en matières premières, que les vies de milliards de travailleurs passeront toujours après les profits des entreprises, aucun mix énergétique ne permettra d’atténuer le dérèglement climatique et ses conséquences. Pour atténuer ou même arrêter d’accentuer le dérèglement climatique, il s’agira non seulement de baisser la facture énergétique globale mais également d’avoir un droit de regard sur ce qui est produit et comment il est produit et de mettre au premier plan la protection de la santé humaine et de l’environnement plutôt que les profits. Mais cela ne pourra avoir lieu qu’en mettant fin au pouvoir des capitalistes sur la production.

2. Là encore, poser la question de la place de l’hydrogène, sans poser la question de qui organise la société pour défendre quels intérêts, c’est rechercher une solution technique à un problème qui est fondamentalement politique.
Le dihydrogène est envisagé aujourd’hui comme combustible dans des piles à combustible, notamment pour les transports collectifs (trains et avions). Les sources de dihydrogène natif ne permettraient de produire qu’une fraction infime de ce qu’il faudrait réellement si on souhaitait généraliser l’utilisation de cette technologie dans les transports en commun. Et on ne peut pas compter sur l’éventualité de trouver de nouvelles sources vu l’urgence du dérèglement climatique aujourd’hui. Alors il faut trouver une autre manière de produire du dihydrogène. La principale utilisée aujourd’hui est le vaporeformage de gaz naturel, méthode qui rejette énormément de gaz à effet de serre, c’est donc un déplacement du problème. L’autre solution envisagée est l’électrolyse de l’eau. Or cela nécessite un apport d’énergie en amont et donc là encore le problème est déplacé et la question devient celle de la source d’énergie électrique pour réaliser l’électrolyse. Il faut donc reposer les problèmes évoqués dans la première question. Mais en plus les différentes conversions nécessaires (production du dihydrogène puis utilisation dans une pile) ainsi que l’énergie utilisée pour son stockage et son transport, font que le rendement global est bien inférieur à celui de l’utilisation directe d’électricité pour le transport. L’intérêt du point de vue social semble très limité.

B) Thème agriculture et nature

Questions

1. Comment considérez-vous les nouvelles techniques génomiques (NGT en anglais) pour leur utilisation agronomique, en particulier par rapport aux techniques de transgénèse utilisées antérieurement et regroupées sous le terme d’OGM ?
2. Quelles mesures préconisez-vous pour préserver la biodiversité à l’échelle européenne ?

Réponses (maximum 2 pages):

1. Votre question porte en réalité sur deux problèmes scientifiques sous-jacents : l’intérêt des recherches sur le génome vivant d’une part, et l’apport que la recherche agronomique peut apporter à la production agricole d’autre part.
En ce qui concerne la recherche sur le vivant et les modifications du génome, les années précédentes ont montré que, tant que cette recherche sera soumise à la loi du profit (que ce soit en agronomie, ou dans d’autres champs disciplinaires), toute découverte présente un risque de dévoiement social et économique. L’exemple des OGM que vous citez en est une illustration, puisque loin d’éradiquer la famine ou d’élever le niveau de vie des cultivateurs, leur commercialisation par les grandes firmes biotechnologiques a surtout permis de verser de confortables dividendes à leurs actionnaires, tout en asservissant les agriculteurs, contraints de renouveler annuellement leur dépendance financière à ces firmes en leur achetant des semences brevetées.

Plus précisément, les NGT que vous évoquez sont basés sur la technique des « ciseaux moléculaires », ou complexe CRISPR-Cas9. Cette technique, déjà largement utilisée dans le domaine de la recherche académique, présente l’avantage auprès des multinationales de l’agronomie d’être relativement inconnue du grand public et donc exempte de la mauvaise presse qui accompagne les OGM. Pourtant, sa commercialisation par ces mêmes entreprises aboutirait au même résultat pour les agriculteurs : une dépendance économique accrue.

Sur l’impact des avancées de la recherche agronomique en matière de production agricole, force est de constater que les rendements agricoles n’ont cessé d’augmenter, particulièrement depuis la fin du XIXe siècle et la généralisation des engrais et des pesticides. Pourtant, le nombre de victimes de la famine à l’échelle mondiale se compte en centaines de millions. Ce n’est pas par inefficience du système de production agricole mondial, mais par suite des conflits provoqués par les dirigeants des grandes puissances capitalistes dans leurs entreprises impérialistes. Ces conflits provoquent une flambée des coûts alimentaires, décorrélés de la quantité de denrées alimentaires réellement produites, amplifiées par des flambées spéculatives opportunistes qui sont la marque du système commercial capitaliste, phénomènes tout sauf naturels qui affament les populations les plus pauvres de la planète.

Par conséquent, nous ne pensons pas que, sous le capitalisme, les NGT, ou quelque avancée scientifique que ce soit, puissent changer les rapports socio-économiques évoqués ci-dessus, ni résoudre un seul des problèmes immédiats auxquels est confrontée l’agriculture moderne, à savoir : l’effondrement du niveau de vie et des conditions de travail des petits agriculteurs, l’épuisement et la raréfaction des sols agricoles, et les conséquences du réchauffement climatiques sur les cultures.

2. La principale menace sur la biodiversité européenne est le réchauffement climatique, phénomène global qu’on ne peut enrayer qu’à l’échelle planétaire. À l’heure actuelle, les capitalistes et leurs gouvernements refusent de lutter sérieusement contre ce réchauffement, de prendre les contraintes qui seraient nécessaires mais qui menaceraient leurs intérêts économiques. En l’occurrence, nous ne préconisons aucune mesure à l’échelle européenne, mais nous militons pour l’organisation des travailleuses et des travailleurs afin d’arracher le pouvoir aux capitalistes et de poser les bases d’une société rationnelle, où le rapport de l’homme à la nature serait dégagé du prisme destructeur de la recherche du profit.

C) Thème numérique

Questions

1. Selon vous, quels bénéfices peut-on attendre de l’intelligence artificielle (IA) au niveau européen et quels sont les sujets de préoccupation qui doivent être pris en considération ?

2. Comment envisagez-vous le partage et la protection des données personnelles au niveau européen, dans un monde numérique ?

Réponses (maximum 2 pages) :

1. Nous préférons parler d’apprentissage machine que d’intelligence artificielle, car il est loin d’être avéré que ces technologies fassent preuve d’intelligence, même si cela ne préjuge en rien de leurs bénéfices. Il s’agit d’une avancée technique indéniable, qui, comme ses prédécesseurs (l’informatique, internet,…), constitue un progrès pour l’humanité. Au niveau européen — et, nous l’espérons, mondial, car il n’y a pas de raison pour qu’il n’y ait que l’Europe qui en profite, à l’instar de toute connaissance scientifique comme vous le défendez à juste titre dans votre déclaration — nous pouvons en attendre des progrès dans de nombreux domaines. La traduction automatique facilite d’ores et déjà la communication entre les peuples ; en médecine, les avancées sont déjà visibles, notamment pour la détection de tumeurs lorsque la machine est supervisée par un cancérologue ; et dans l’industrie et l’informatique, cela permettrait d’automatiser des tâches répétitives.

Cependant, comme ses prédécesseurs, l’apprentissage machine porte en lui les contradictions d’une société gouvernée par le profit : au lieu de libérer l’humanité du travail, il est d’ores et déjà utilisé pour justifier des plans de licenciements, comme c’est le cas en France avec Onclusive ; on peut également citer l’étude de la banque Goldman Sachs qui annonce que 300 millions d’emplois seraient menacés – argument fallacieux ! Sur ce sujet, l’analyse que faisait Marx de la mécanisation n’a pas pris une ride : en mettant les travailleurs en concurrence directe avec les machines, chaque avancée technique dégrade d’autant la valeur du travail humain et le réduit à sa plus simple expression. La nouveauté est qu’elle touche également les professions dites intellectuelles, et l’on entend par exemple les journalistes ou les avocats exprimer leur crainte d’être, à terme, réduits à être des superviseurs de ChatGPT. Pour l’instant, de telles tentatives se sont soldées par un échec cuisant, d’une part du fait de l’incapacité de ces modèles à distinguer le vrai du faux (on parle d’« hallucinations »), et d’autre part par les résistances que leur mise en place a suscitées, comme lors de la grève des scénaristes d’Hollywood dont nous sommes solidaires.

Néanmoins, il est clair que ces métiers et de nombreux autres connaîtront des transformations majeures. Pour sortir de ce chantage à l’emploi, nous revendiquons la réduction du temps de travail pour toutes et tous sans perte de salaire et l’interdiction des licenciements, car il n’y a aucune raison que les gains de productivité attendus se fassent au bénéfice du patronat. Ce dernier n’est d’ailleurs pas pour grand-chose dans ce progrès, puisque la maturation de ces idées est essentiellement le fait de la recherche académique, même si Facebook et Google ont par la suite recruté et encouragé les principaux chercheurs à l’origine de ces développements.

Nous sommes par ailleurs très préoccupés par le renforcement de ces entreprises, accentué par l’effet de monopole naturel de ces technologies : plus leur masse de données d’apprentissage est importante, plus elles sont performantes, si bien que les trusts du numérique (les fameux « Gafam ») et leur poulain OpenAI ont une avance difficile à rattraper, assise sur le pillage des données publiques générées bénévolement par les millions d’utilisateurs d’internet — au mépris d’ailleurs de la propriété intellectuelle, qui leur est si chère lorsqu’il s’agit de brevets. Nous ne pouvons cependant pas nous placer sur le terrain législatif pour combattre ces mastodontes, leur pouvoir économique leur assurant un rapport de force très favorable (on se souvient du bilan de la loi anti-trust adoptée aux États-Unis en 1890 contre les trusts pétroliers). Ce n’est pour autant pas une fatalité : chacun de ces trusts n’est que le fruit du travail de ceux qui le composent, et, bien que cela semble lointain aujourd’hui, nous défendons leur reprise en main par les travailleurs, seuls à même de contrôler leur impact sur la société, qui n’est pour l’instant dicté que par la loi du profit. Les compétences sont là, comme en témoignent les multiples initiatives pour un internet libre, qui font face à l’indifférence polie des États et sont cantonnés à la marginalité par les lois économiques.

2. Ce qu’est devenue la RGPD illustre bien les contradictions de la protection des données personnelles dans nos sociétés capitalistes : en en faisant une marchandise, les trusts du numérique en ont fait un bien comme un autre, que l’on peut s’approprier librement pour peu qu’on en ait les moyens. En l’occurrence, cela s’est fait par le biais de services fournis gratuitement (sur le modèle du moteur de recherche de Google) en échange de données personnelles qui donnent un avantage concurrentiel colossal sur le marché publicitaire et désormais sur le marché de l’ « IA ». Face à cela, l’ambition initiale de la RGPD a laissé la place à des mesures timides pour tenter d’endiguer le phénomène, qui constituent certes des avancées mais trop limitées par le refus des institutions d’engager un combat avec ces géants. Les données qu’ils détiennent constituent un véritable trésor qui, mis au service du collectif et dûment anonymisé, donnerait lieu à de précieuses avancées scientifiques et techniques : de nombreux chercheurs reconnaissent que leurs données collectées avec les comparativement maigres moyens universitaires font parfois pâle figure par leur quantité, malgré la rigueur et l’abnégation de ceux qui les collectent. Dans ce cas comme dans de nombreux autres, la propriété privée de ce qu’il faut bien appeler des moyens de production (comme en témoigne le poids des données personnelles dans l’économie) constitue un obstacle au progrès de l’humanité.

Les États pourraient-ils être les garants de ce bien commun ? Nos activités politiques nous montrent le contraire, puisqu’ils sont eux-mêmes très friands de données personnelles à des fins de surveillance. On pense notamment à nos camarades écologistes de France et d’ailleurs qui ont fait l’objet d’un fichage intensif au nom de la lutte contre le terrorisme, qui a donné lieu à une répression inouïe ; gageons que nous faisons l’objet d’attentions similaires. La vie privée s’arrête ainsi là où commence « l’intérêt national » (et, de quelque nation que l’on parle, il s’agit bien sûr d’un prête-nom pour la défense de l’ordre bourgeois), qui connaît une extension indéfinie. Nous continuons donc de combattre la banalisation de ces usages, comme nous l’avions fait en 2020 lors de la mobilisation contre la mal nommée « loi pour une sécurité globale préservant les libertés » en France. Là encore, il n’y a malheureusement que peu à attendre du terrain législatif, car quel État limiterait volontairement sa propre puissance ? Et ce d’autant plus que les États européens dans leur ensemble prennent pour l’instant la direction contraire, sous l’effet de l’accentuation des tensions économiques. Nous nous faisons cependant le porte-voix de celles et ceux qui perçoivent le danger de cette extension, et exigeons l’arrêt du fichage des populations et de l’utilisation de technologies de surveillance comme les drones ou l’analyse automatique des comportements (qui, soit dit en passant, reproduisent les préjugés présents dans les sociétés, notamment racistes).

Enfin, on peut s’interroger sur le modèle de société esquissé par les innovations d’OpenAI, où les machines font (ou imitent) de l’art pendant que les humains travaillent ou vivent dans la misère.