La guerre déclenchée au Soudan depuis le 15 avril entre le général al-Burhan, à la tête de l’armée régulière, et le général Hemedti, patron des puissantes milices des Forces de soutien rapide (FSR), a fait en moins de deux semaines entre 400 et 600 morts et plus de 3 500 blessés. Les habitants de Khartoum se terrent chez eux ou fuient les quartiers où se déroulent les combats et où des roquettes tombent sur les habitations.
Les deux chefs militaires qui s’affrontent aujourd’hui pour le pouvoir sont les deux hommes forts du Conseil militaire de transition qui règne sur le pays depuis avril 2019, depuis le renversement du dictateur Omar el-Bechir. Cela faisait alors des mois, depuis décembre 2018, que se succédaient les manifestations, les sit-ins, les grèves voulant en finir avec le régime d’el-Bechir, au pouvoir depuis 30 ans. Ni l’armée ni les milices FSR, créées pour la répression dans la province du Darfour et ramenées d’urgence dans la capitale, n’avaient pu en venir à bout, malgré leur violence contre les manifestants. Il ne restait plus aux deux grandes bandes armées du pays qu’à renverser elles-mêmes le président el-Bechir (le 11 avril 2019) pour prendre le pouvoir au nom de ce comité militaire de transition.
De transition vers quoi ? Vers la démocratie, disaient-ils, vers un gouvernement civil d’ici deux ou trois ans. La promesse s’est dégonflée en deux mois. Le 3 juin, les milices des FSR étaient envoyées pour disperser la foule qui continuait ses sit-ins et tenait des campements dans la capitale pour demander la démocratie et un gouvernement civil et non militaire. Elles faisaient plus d’une centaine de morts. La révolution soudanaise, trompée en avril, était désormais vaincue. Sous l’œil complaisant des grandes puissances et leur surveillance, accompagnée de temps à autre de quelques pressions économiques (subies durement par le peuple plutôt que par les gouvernants). Ces grandes puissances comptaient sur ces bandes armées de l’État pour que, affublées de quelques ministres civils, elles assurent une certaine stabilité du pouvoir dans un pays de misère.
Tel est le pédigrée des deux alliés d’hier, qui s’affrontent aujourd’hui.
Leur rivalité n’est pas que d’ambition personnelle : elle est sonnante et trébuchante, elle a ses clans et ses alliés. D’un côté l’armée régulière, c’est-à-dire ses généraux, qui contrôlent l’essentiel des sociétés industrielles du pays. De l’autre, le général Hemedti et son clan, qui contrôlent les régions plus reculées, et avant tout leurs ressources minières, dont l’or que produit le pays. Le général al-Burhan a le soutien du maréchal al-Sissi, l’Égypte voyant notamment dans une alliance avec le Soudan une façon de faire face, en commun, aux revendications de l’Éthiopie sur l’utilisation des eaux du Nil bleu, en amont des deux pays. Le général Hemedti a fourni entre 30 000 et 40 000 hommes pour combattre au Yémen, aux côtés de l’Arabie saoudite. Et n’oublions pas que ses troupes ont aussi été financées par les pays de l’Union européenne pour assurer le blocage des migrants des pays voisins tentant de gagner l’Europe. N’oublions pas non plus les responsabilités des États-Unis dans la misère et la crise du Soudan depuis des années : le soutien des USA à la sécession de la partie sud du pays, la partie riche en pétrole, avait aggravé cette crise.
En pleine guerre et devant le terrible chaos que subit la population soudanaise, les rats quittent le navire : les grandes puissances occidentales rapatrient en urgence leurs ressortissants, représentants du monde des affaires et personnel d’ambassade en tête. Mais elles sont au premier chef responsables de la misère et des guerres que connait aujourd’hui l’Afrique.
Olivier Belin, 25 avril 2023