Nos vies valent plus que leurs profits

Syrie : le pouvoir islamiste se raidit

Mercredi 7 mai, le nouveau dirigeant syrien Ahmed al-Charaa rencontrait Macron à l’Élysée. Pour Macron, c’était l’occasion de rappeler sa volonté de lever rapidement les sanctions économiques occidentales qui continuent de frapper la Syrie, alors qu’un accord à 230 millions d’euros vient d’être signé pour la gestion du port de Lattaquié par le géant français CMA CGM. Pour la France, comme les autres puissances qui regardent avidement vers la Syrie, la répression de minorités religieuses ou ethniques organisée par le nouveau régime ne doit pas empêcher la reprise des affaires.

Cinq mois après la chute du régime el-Assad, le pillage de la population continue

Bachar el-Assad est tombé, mais les conditions de la population de Syrie continuent de sombrer. La guerre civile a considérablement détruit les infrastructures du pays, qui continue de subir des pannes d’électricité jusqu’à 20 heures par jour. D’après les Nations unies, la Syrie ne réussirait à retrouver ses capacités économiques d’avant-guerre qu’en 2080 ! Plus de 85 % de la population continue de vivre sous le seuil de pauvreté international (moins de 2,15 dollars par jour) et peine à se nourrir, alors que le régime a licencié plusieurs centaines de milliers de travailleurs de la fonction publique – entraînant des manifestations qui n’ont pris fin qu’avec la répression et le déchaînement des milices djihadistes contre les populations alaouites début mars, un signal pour l’ensemble des travailleurs. À Damas, des boîtes de nuit sont attaquées par des miliciens, où ils ont brutalisé et assassiné une femme qui s’y trouvait. Les déclarations sur « l’inclusion des minorités » se heurtent à la réalité du nouveau pouvoir : après avoir massacré des milliers d’Alaouites, il multiplie les menaces contre le « séparatisme » kurde au Nord-Est et a déployé ses troupes contre les milices druzes au Sud.

La Syrie au centre des appétits d’Israël et de la Turquie

L’armée israélienne profite des tensions avec la communauté druze pour déployer son influence en Syrie. Après la chute d’Assad, elle avait bombardé et détruit la quasi-totalité des infrastructures militaires syriennes, pris le contrôle de la totalité du plateau du Golan – déjà annexé aux deux tiers depuis les occupations successives de 1967 et 1981 – et placé des canons sur le mont Hermon : pas question que les nouveaux dirigeants de Damas puissent menacer Israël ! Alors que les troupes d’HTC (les milices d’Ahmed al-Charaa) ont cherché à prendre le contrôle du quartier druze de Damas ou à Suwaydah (ville du sud de la Syrie, à la frontière de la Jordanie), Israël a bombardé les abords du palais présidentiel avant de pousser ses troupes plus profondément dans le territoire syrien, tout en cherchant à amadouer les populations druzes en leur offrant électricité, emplois et nourriture. Le gouvernement israélien se donne le rôle du protecteur des minorités : il ne défend en réalité que ses intérêts régionaux, notamment contre la Turquie, qui développe également son influence en Syrie.

Car le régime d’Erdoğan possède des liens historiques avec le pouvoir en place, qu’il appuie depuis ses débuts à Idlib. Des miliciens pro-turcs de l’ex-« Armée nationale syrienne » obtiennent des postes dans l’armée et l’administration syrienne, tout en cherchant à briser les tentatives d’autonomie des forces kurdes – liées au Parti des travailleurs du Kurdistan – à ses frontières. Les capitalistes turcs font aussi de bonnes affaires en Syrie, s’arrogeant de juteux contrats dans le domaine de l’énergie et de la reconstruction.

En Syrie, les marchés et magasins sont désormais remplis de produits chinois… et turcs – moins chers que les syriens –, au grand dam d’une partie de la bourgeoisie syrienne qui se plaint d’une « invasion turque » et demande de rétablir des barrières douanières pour protéger ses profits. L’homme d’affaires syrien, Ayman Asfari, milliardaire et principal actionnaire d’une société d’ingénierie pétrolière britannique, se plaint du manque d’ouverture du nouveau régime vers les occidentaux et dit craindre la « bombe à retardement » que constituent les licenciements massifs organisés par le gouvernement… Comme toujours, la véritable crainte de ces gouvernants et hommes d’affaires est qu’explose la colère sociale.

Stefan Ino