
La chute du dictateur el-Assad n’a pas mis fin aux massacres en Syrie. Depuis le 6 mars, près de 1 500 Syriens alaouites ont été massacrés par des miliciens djihadistes soutenant le gouvernement d’Al-Charaa. Ces massacres interviennent alors que le dirigeant islamiste d’Hayat Tahrir al-Cham (HTC) tente de « policer » son régime à l’approche du quatorzième anniversaire du déclenchement du Printemps arabe en Syrie.
La déclaration constitutionnelle promulguée par le nouveau dirigeant de la Syrie rompt certes avec la Constitution des el-Assad, reconnaît certains droits aux femmes, aux minorités, mais elle fait de la loi islamique la « source principale » de la législation, ce qui n’a pas empêché les représentants de l’ONU de se dépêcher de louer « un cadre juridique solide pour une transition politique véritablement crédible et inclusive » – quelques jours à peine après le début des massacres…
Derrière la lutte contre les partisans d’el-Assad, la terreur contre la population
Des officiers du régime el-Assad avaient trouvé refuge dans les régions environnant Lattaquié et Tartous – où la communauté alaouite (minorité chiite à laquelle appartient le clan el-Assad) est majoritaire. C’est à partir de ces positions qu’ils dirigent une guérilla contre les forces d’Al-Charaa. Le 6 mars dernier, ils ont mené une série d’attaques coordonnées visant les bases d’HTC sur la côte syrienne. Des centaines de miliciens djihadistes, faisant partie des forces de répression envoyées depuis Damas, se sont livrées à des massacres afin de terroriser la population alaouite. Difficile de savoir s’ils ont agi de concert avec Al-Charaa, en lui laissant la possibilité de condamner après coup les massacres pour conserver son image de dirigeant « modéré », ou s’ils ont agi de leur propre initiative afin de se tailler des bastions par la terreur.
L’accord entre le Rojava et Al-Charaa, une « avancée historique » ?
Al-Charaa est de toute façon contraint de s’associer aux autres fractions armées qui existent dans un pays très morcelé. Il doit composer avec des groupes djihadistes, mais aussi aux forces armées druzes au sud ou kurdes au nord-est. Le 10 mars dernier, après des semaines de négociations sous la houlette des États-Unis, un premier accord a été signé entre Mazlum Abdi, commandant en chef des Forces de défense syrienne (kurdes), et Al-Charaa à Damas. Sans régler aucun des réels désaccords entre les deux fractions, tant sur l’exploitation des hydrocarbures que l’intégration – semi-autonome ou non – des structures de l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (l’AANES, plus connue sous le nom de Rojava) dans un État syrien1 unifié.
Erdogan se réjouit publiquement de l’accord entre les FDS et HTC, dont il a activement soutenu l’arrivée au pouvoir. Cela, alors qu’il avait engagé l’armée turque pour tenter, depuis des années, d’écraser les forces kurdes de Syrie, proches du Parti des travailleurs kurdes de Turquie (PKK), contre lequel le régime turc mène une répression féroce depuis de longues années. Faut-il y voir un lien avec l’appel d’Ocalan, – le dirigeant historique du PKK, emprisonné en Turquie depuis 1999 – à la fin de la lutte armée et à la dissolution du PKK ? Pour la Turquie, aider à la « pacification » de la Syrie voisine sous l’égide du HTC peut être une façon de renforcer son propre régime et son influence dans la région.
Toutes ces tractations se font dans le dos des peuples concernés. Les conditions de vie des classes populaires de Syrie continuent de s’aggraver, avec des vagues de licenciements dans la fonction publique et un taux de chômage de 80 %. Et ce n’est pas l’intégration du nouveau régime syrien au « libre-échange » impérialiste qui représente pour les travailleurs de Syrie une perspective de progrès – surtout à un moment où il apparaît de plus en plus ouvertement comme étant la loi du plus fort… Si la population syrienne veut faire entendre sa propre voix, il lui faudra l’imposer tant aux fractions armées à l’intérieur du pays, qu’à leurs « parrains » régionaux !
Stefan Ino
1 Quant aux druzes de Souëida, ils n’ont pas rendu les armes et le régime d’Al-Charaa se trouve quelque peu obligé de leur laisser la responsabilité de la « sécurité régionale ».