Périodiquement agitée dans la presse bourgeoise depuis des années, la « question taïwanaise » apparaît comme l’un des principaux points chauds de la confrontation que livre l’impérialisme américain à son rival chinois dans « l’indo-pacifique ». Depuis la guerre froide, et en fait depuis l’arrivée des Européens dans le Pacifique au XVIe siècle, cette petite île (23 000 km²) a toujours représenté un avant-poste stratégique militaire et commercial, essentiel pour qui prétend contrôler les routes maritimes des mers de Chine.
Ce rôle central explique le soutien américain actuel aux Indépendantistes du Parti progressiste démocrate (PDP) qui viennent de remporter une nouvelle fois la présidentielle contre leur ancienne créature, le Kuomintang (KMT), le vieux parti nationaliste de Tchang Kaï-chek désormais favorable à un rapprochement avec la république populaire de Chine. On verra notamment dans le premier article comment ce soutien à l’un puis à l’autre des deux partis taïwanais, loin d’avoir été « inconditionnel », a toujours fait l’objet de marchandages compliqués au gré de l’évolution du rapport de force. C’est d’ailleurs tout le sens de la fameuse « ambiguïté stratégique » américaine mise en place par Nixon et Kissinger dans les années 1970 et toujours défendue aujourd’hui par Biden : les Américains ne soutiennent ni l’indépendance ni la réunification de Taïwan à la Chine, mais refusent toute évolution dans un sens ou dans l’autre qui se ferait contre leurs « intérêts nationaux ».
En sens inverse, le pouvoir chinois s’en est jusqu’à présent accommodé. Faute de pouvoir régler le problème militairement (mais jusqu’à quand ?), Pékin a tenté comme à Hong Kong une réunification à l’européenne, par l’intégration économique de Taïwan, principalement par l’octroi de cadeaux fiscaux et commerciaux à la bourgeoisie taïwanaise, qui en se développant sur le continent est devenue une grande bourgeoisie transnationale à cheval sur le détroit. Comme le montre le second article, cette politique orchestrée par le KMT au pouvoir dans l’île au milieu des années 2000, s’est cependant heurtée en 2014 à une révolte d’une fraction importante de la population taïwanaise, notamment dans la jeunesse. Le « mouvement des Tournesols » a représenté un tournant dans l’affirmation d’une « identité » taïwanaise distincte par son adhésion aux « valeurs occidentales démocratiques » et par son opposition au repoussoir absolu que représente la dictature pseudo-communiste continentale.
Ce retour de la question « nationale » taïwanaise, dont on verra dans les articles qu’il est en fait assez ancien, explique en bonne partie les succès électoraux du PDP depuis lors. Le parti indépendantiste illustre cependant l’impossibilité d’accéder à cette indépendance en en faisant porter toute la responsabilité à leurs protecteurs américains… Qui se réservent le droit d’en décider en fonction de l’évolution de leur confrontation avec la Chine !
Le sens de ce dossier est donc de fournir aux militants internationalistes, d’où qu’ils soient, quelques arguments pour rappeler encore et toujours que les guerres comme les paix des politiciens bourgeois se font toujours au détriment des peuples, et que seule l’union des travailleurs de part et d’autre du détroit pourrait être susceptible d’arrêter la guerre qui se prépare.
Sommaire du dossier
- Taïwan : troisième front possible d’un conflit inter-impérialiste ?
- Taïwan : un peuple dans l’étau de nationalismes concurrents, une île au centre des rivalités impérialistes
- Taïwan et la Chine continentale : le retour à l’amère-patrie
- Le mouvement des Tournesols, dix ans après
- Retour sur les élections présidentielles à Taïwan
- Interview de l’International Socialist Alternative de Taïwan