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Travailleurs migrants en Hongrie : un militant raconte

Nous avons publié, le 30 décembre 2023, un article sur les difficultés du gouvernement hongrois, mené par l’ultra-réactionnaire Viktor Orbán, à recruter des travailleurs étrangers pour son ambitieux plan de « réindustrialisation » : https://npa-revolutionnaires.org/hongrie-un-gouvernement-victime-de-sa-demagogie-raciste/. Il a prévu de faire de la Hongrie le « leader de la batterie », poursuivant la politique de dérogations fiscales et de casse du Code du travail qui a permis de faire du pays un des centres européens de la production automobile. Un seul problème : ce plan nécessite le recrutement de près de 500 000 travailleurs migrants, pour pallier le manque de main-d’œuvre. Et la démagogie raciste d’Orbán se retourne contre lui : peu de migrants souhaitent aller en Hongrie, et sur place, les administrations locales et la partie de la population perméable au discours xénophobe, acceptent mal cette politique.

Nous apportons ici des informations supplémentaires, transmises par un militant local de Szikra Mozgalom, une organisation de gauche radicale dans laquelle militent aussi quelques trotskistes hongrois. Ces infos viennent de Debrecen, où une usine BMW est installée depuis quelques années, à laquelle devraient donc s’ajouter une usine de fabrication de batterie pour BMW, ainsi qu’une « giga-usine » du constructeur chinois de batteries, CATL.

« Quand l’investissement pour la première usine BMW a été annoncé, il y a eu peu de critiques. À mon avis, c’était pour deux raisons : d’abord, l’entreprise a plutôt bonne image en Europe de l’Est, et puis, il y a eu des élections locales en 2019, où les partis d’opposition se sont mis d’accord pour éviter de critiquer le projet. En tout cas, il n’y a pas eu de vraies frictions avec la population locale concernant la construction de cette usine BMW. Elle l’a été essentiellement par des entreprises du BTP hongroises, qui recrutaient intensément des ouvriers parmi les jeunes hongrois. L’encadrement et les ingénieurs allemands étaient plutôt les bienvenus, donc tout le personnel de l’usine était docilement toléré.

Après les années Covid, en 2022 et 2023, les nouvelles autour de la « gigafactory » de l’entreprise chinoise de batterie CATL ont explosé dans la presse hongroise. Le projet a tout de suite rencontré une forte opposition – le premier débat public autour de l’investissement a attiré 800 personnes qui s’y opposaient. Pour le dire rapidement, il n’y a pas de ressources dans la région (eau, énergie…), le gouvernement central a accordé le projet pour 320 milliards de forints [846 millions d’euros], et la technologie est opaque, ce qui veut dire que les autorités de protection environnementale n’ont pas pu faire leur travail pendant le processus d’autorisation – à supposer qu’elles aient eu envie de le faire. Au printemps, un deuxième investissement a été annoncé, EVE-Power, qui doit produire des batteries pour l’usine BMW.

Contrairement au moment de l’investissement de BMW, le marché du travail en Hongrie et localement à Debrecen est en difficulté : l’effondrement démographique et la réduction de l’immigration ont réduit l’offre de main-d’œuvre alors que la politique intense de « réindustrialisation » demande toujours plus d’ouvriers. Du point de vue des capitalistes et du gouvernement, ça a un sens de faciliter l’apport de main-d’œuvre de pays tiers. Mais le niveau élevé de l’investissement (9000 salariés sont prévus pour l’usine CATL dans cinq ans) alors que sévit la propagande anti-migrants du parti au pouvoir depuis 2015, voilà qui mène à la confusion ! Et le gouvernement local n’est absolument pas préparé à gérer la situation. Par exemple, il n’y a pas de communication claire sur les lieux où les travailleurs vivront, sur leur accession à des services de base, par exemple aux soins. De différentes sources, on peut anticiper un développement à grande échelle de « colonies » isolées, qui n’existent pas encore pour le moment. Les entreprises ont tendance à louer des maisons familiales ou des motels dans les environs, pour ensuite transporter les ouvriers par navettes vers les chantiers.

Malheureusement, l’opposition locale (de la gauche à l’extrême droite) joue sur l’« émotionnel » et met l’accent sur les « risques sociaux » de la vie avec des travailleurs étrangers. L’approche xénophobe est de mise. Et d’ergoter, du côté des partis au pouvoir, sur les risques comparés d’un afflux de migrants d’Afrique vers l’Europe du Nord et l’Ouest, ou de travailleurs « loués » par les usines chinoises. Mais le message principal reste que les batteries sont un élément clé d’un « avenir vert », et que si la Hongrie ne joue pas un rôle dirigeant dans cette transition, elle perdra sa position actuelle dans la fabrication automobile.

Pour le moment, il n’y a pas de voix audible pour protéger les travailleurs étrangers, pour les dépeindre autrement que comme des simples « variables d’ajustement » économiques, et ne parlons pas de ceux qui encouragent les peurs xénophobes d’une partie de la population. Nous, les membres de Szikra à Debrecen, étions surtout concentrés sur les problèmes de logement posés par cette politique de réindustrialisation. Pour le moment, nous essayons de développer des arguments par rapport aux travailleurs migrants, de nous concentrer sur leurs droits, sur leur bien-être, sur l’exploitation et les liens avec la population locale et sa situation. On essaie de souligner que ces travailleurs essaient juste de gagner leur vie, de la même manière que nous. Et rappelons que beaucoup de Hongrois travaillent en Allemagne, en Irlande, etc. Nous voulons montrer que cette société irait mieux avec une économie que nous maîtriserions, plutôt qu’en laissant toutes nos ressources naturelles et humaines entre les mains de capitalistes avides de profits.