
Le 19 avril 2025, la justice tunisienne a clôturé le procès pour « complot », ouvert début mars dernier. Des peines d’une sévérité extrême ont été prononcées : de 13 à 66 ans de prison. Une quarantaine de personnalités – opposants politiques, avocats, journalistes, militants des droits humains, hommes d’affaires – ont été jugées pour atteinte à la sûreté de l’État et appartenance à des groupes qualifiés de terroristes.
Depuis son coup de force en juillet 2021 et les pleins pouvoirs qu’il s’est attribués, le président Kaïs Saïed a méthodiquement concentré tous les leviers du pouvoir entre ses mains : dissolution du Parlement, suspension de la Constitution, gouvernement par décrets. Ce verdict marque une étape de plus dans le retour à un régime autoritaire en Tunisie.
Parmi les condamnés figurent plusieurs figures majeures de l’opposition, telles qu’Abdelhamid Jelassi (ancien cadre du parti Ennahdha), Ghazi Chaouachi (courant démocrate), Issam Chebbi (chef du parti Al Joumhouri) et Jawhar Ben Mbarek. Tous sont membres du Front du salut national, une coalition formée en réaction au coup de force de 2021. D’autres personnalités ont également été visées : des avocats, des journalistes, des militants des droits humains. Chaïma Issa, militante des droits humains, a été condamnée à 18 ans de prison. D’autres militants, notamment issus d’associations venant en aide aux migrants subsahariens, croupissent encore en prison.
Si la plupart des accusés ont fui à l’étranger, plusieurs d’entre eux étaient déjà emprisonnés depuis deux ans. Les audiences, quant à elles, se sont tenues à huis clos. La presse, les observateurs internationaux, et parfois même les avocats de la défense, ont été exclus des débats. Human Rights Watch a dénoncé des détentions arbitraires, des dépassements des délais légaux et la criminalisation des opinions politiques sous couvert de sécurité nationale.
Alors que la Tunisie s’enfonce dans l’autoritarisme, la communauté internationale reste silencieuse. L’Union européenne, bien plus soucieuse de conclure des accords de gestion des flux migratoires avec le régime, détourne le regard. En échange de son rôle de garde-frontières, Kaïs Saïed obtient les mains libres pour affirmer son pouvoir d’une main de fer. Le message est clair : toute opposition est assimilée à un ennemi intérieur, les médias sont muselés, les libertés piétinées.
La révolution du Jasmin de 2011, symbole d’espoir dans le monde arabe, est désormais bien loin, remplacée par un nouveau régime fondé sur la peur, la répression et une propagande d’État nourrie de complotisme, de populisme et de xénophobie. Kaïs Saïed règne, comme Ben Ali en son temps.
Mais si Kaïs Saïed gouverne comme Ben Ali, la réponse doit être la même. La révolution de 2011 a prouvé que le peuple tunisien savait briser les chaînes de la dictature. Aujourd’hui encore, l’espoir ne réside ni dans les urnes vidées de leur sens, ni dans les compromis internationaux. C’en est fini des illusions réformistes, des Constitutions et des conciliations. Ce pouvoir ne se réformera pas : il faut le renverser, pour qu’enfin il puisse être remplacé par celui des classes populaires.
Nora Debs