Nos vies valent plus que leurs profits

Un décret précise les sanctions contre les chômeurs : la guerre aux chômeurs n’a plus aucune limite

Le décret instaurant un nouveau régime de sanctions pour les demandeurs d’emploi et bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA) vient d’être publié, le 31 mai. Déjà le décret du 1er janvier dernier, lui aussi pris en application de la loi dite « Plein emploi », avait soumis l’ensemble des inscrits à France Travail (bénéficiaires du RSA et demandeurs d’emploi) au « contrat d’engagement » et ses 15 à 20 heures « d’activité obligatoire » par semaine sous peine de suspension de l’allocation, voire de radiation. On attendait les précisions sur ces sanctions, elles viennent de tomber avec le décret du 31 mai. Mesure phare : le dispositif de « suspension-remobilisation » qui permet de sabrer les allocations chômage ou revenus de remplacement, parfois dans leur totalité. En conséquence ? Des centaines de milliers de familles qui seront privées des maigres allocations assurant leur survie.

Vagues de radiations à venir

Pourtant, même le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), instance « placée auprès du Premier ministre », avait clamé son opposition à la loi dite « pour le plein emploi » et à ce projet de décret instaurant un nouveau régime de sanctions. Dans un avis publié en mai, il avait dénoncé les conséquences dramatiques de ces sanctions, en des termes particulièrement explicites : « L’introduction d’une nouvelle sanction, dite de suspension-remobilisation, risque d’affaiblir l’accès aux droits des publics visés en multipliant les sanctions, rendues plus aisées par l’absence des protections encadrant actuellement les sanctions, et de contribuer, en cela, à l’accroissement du non-recours aux droits et de la pauvreté. » Et le CNLE de reprocher au gouvernement de vouloir ainsi faire peser la responsabilité du chômage sur les chômeurs, d’instaurer des mesures contre-productives. Mais aussi de renforcer l’arbitraire des collectivités. Par exemple, dans le Finistère ou dans le Nord, les départements sanctionnent désormais l’absence à un rendez-vous et multiplient le nombre de contrôles et de radiations, lesquelles sont responsables des trois quarts de la baisse du nombre des bénéficiaires du RSA.

En effet, le décret est une machine à organiser les radiations et la suppression des allocations ou revenus de remplacement. En cas de « manquements » aux « obligations » des demandeurs d’emploi – en termes de respect des heures « d’activité obligatoire », d’actualisation de leur « contrat d’engagement », ou encore d’assiduité –, il est prévu de suspendre voire de supprimer le revenu de remplacement ou les allocations, pendant plusieurs mois (durée enserrée dans le décret par un plancher et un plafond), ainsi que de radier la personne concernée.

Couper les vivres à ceux qui n’ont déjà rien

Dans le cas de non-respect de tout ou partie des obligations du contrat d’engagement, le premier « manquement » est sanctionné par la suspension d’au moins 30 % du montant du revenu de remplacement ou des allocations pour une durée d’un à deux mois. En cas de « persistance ou de réitération du manquement », c’est cette fois carrément la suppression d’au moins 30 % qui pourra être encourue, pour une durée d’un à quatre mois.

Mais il y a pire. Si le manquement est « l’absence de mise en œuvre, sans motif légitime, du projet de reconversion professionnelle », alors le revenu de remplacement est directement supprimé en totalité pour une durée de quatre mois et la personne est radiée de la liste des demandeurs d’emploi pour la même durée.

Pareil, en cas de refus de deux « offres raisonnable d’emploi » (ORE), le revenu de remplacement ou les allocations seront supprimés directement dans leur totalité, et ce pour une durée de deux mois, et la personne radiée pour la même durée.

En cas de fausse déclaration – qui sont en grande majorité des erreurs, quiconque a déjà eu affaire à l’usine à gaz qu’est France Travail le sait – ou en cas de fraude, là encore, le revenu de remplacement ou les allocations seront supprimées en intégralité et la personne radiée pour une durée de six à douze mois (pendant un mois « seulement » quand le manquement est lié à une activité non déclarée d’une durée très brève).

Des pseudo-critères

Ces sanctions sont fixées en tenant compte de la situation du bénéficiaire : existence de « vulnérabilités sociales », de difficultés liées à la santé ou à une situation de handicap ou d’invalidité, composition du foyer, présence d’enfants ou de personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie, nature et fréquence des manquements constatés… Mais quand on sait que l’objectif est de tripler le nombre de contrôles d’ici 2027, pour le porter à 1,5 million, avec des procédures « simplifiées » pour atteindre les objectifs, qui relèvent davantage de l’abattage que de l’accompagnement, il y a de quoi douter de la prise en compte de ces éléments.

Concrètement, le gouvernement organise la privation des maigres allocations qui assuraient la survie de centaines de milliers de personnes. Même pour celles qui échapperaient à la suppression totale de leurs allocations, 30 % en moins c’est vivre avec au maximum 450 euros pour le RSA, ou 910 euros pour les allocations chômage. On s’apprête donc à affamer des familles, littéralement.

Encore une fois, l’objectif du gouvernement est d’inverser la logique en faisant porter la responsabilité du chômage sur les travailleurs sans-emploi et non sur le patronat qui licencie et l’État qui l’accompagne. Mais une attaque contre les travailleurs privés d’emploi et leur famille est une attaque contre nous tous, d’abord parce que le chômage concerne tous les travailleurs à un moment ou à un autre, et parce que faire le choix du chômage, pour le patronat et l’État à son service, c’est exercer une pression sur l’ensemble des travailleurs.


Lucas Duval