À partir du 1er janvier, l’ensemble des bénéficiaires du RSA seront inscrits d’office auprès de France Travail. Soit près de 1,2 million de personnes en plus, sans aucun moyen supplémentaire et alors que l’opérateur public est déjà exsangue. Et au prétexte d’améliorer « l’accompagnement » des demandeurs d’emploi, la réforme leur impose 15 à 20 heures « d’activité obligatoire » par semaine, sous peine de suspension de l’allocation, voire de radiation. Bref, des chômeurs rendus coupables d’être privés d’emploi et condamnés au travail gratuit pour ne pas être radiés… Une politique d’autant plus criminelle que le chômage explose ces trois derniers mois, au gré des plans de licenciements menés par des grands groupes ultra-bénéficiaires.
Le « contrat d’engagement » : vers le travail gratuit !
Cette généralisation de « l’accompagnement rénové », jusqu’ici expérimenté dans certains départements, est le résultat de la loi « Plein Emploi » votée fin 2023. Le gouvernement en a précisé les modalités par deux décrets parus le 31 décembre. Tout allocataire devra signer un « contrat d’engagement » à travers lequel il s’engage à effectuer 15 à 20 heures « d’activité ». Derrière la très idéologique politique de l’« activation » – ce serait par fainéantise que l’allocataire ne trouve pas de travail –, quelle réalité de ces heures « d’activité » ? Le site de France Travail en dresse la liste : formations, ateliers, démarches d’accès aux droits, mais surtout « immersion en milieu professionnel »… c’est-à-dire travail gratuit !
Peu de place au doute en effet, ces heures seront une réserve de main-d’œuvre corvéable à merci, avec une autre visée désastreuse : assurer a minima des missions de service public afin de permettre à l’État de continuer à y sabrer les emplois. La preuve par les départements où la réforme a été expérimentée : supplétifs aux équipes de jardinage communales, accueil dans les Ehpad, nettoyage… – le tout sans être indemnisé pour les trajets et sans la moindre perspective d’embauche.
Cette obligation servira surtout à faire suspendre l’allocation voire à radier les allocataires à la première défaillance, pouvoir arbitraire confié par la réforme aux présidents des conseils départementaux. Là aussi, les expérimentations en attestent : au bout de quelques mois, le taux de non-versement du RSA est bien plus élevé que le taux de retour à l’emploi… L’obligation est aussi faite pour décourager : le taux de non-recours au RSA a augmenté de 10,8 % dans les départements ayant expérimenté la réforme.
Derrière ces chiffres, ce sont des milliers de foyers jetés dans la misère, alors même que la part des chômeurs indemnisés n’a jamais été aussi basse depuis les années 1970 et qu’une quatrième réforme baissant à nouveau les droits est aussi mise en place au 1er janvier.
La farce d’un « accompagnement renforcé »… toujours moins de moyens, toujours plus de pression
Les moyens pour la formation sont de plus en plus sabrés par le gouvernement, autant que les effectifs de France Travail ou des différents organismes publics d’accompagnement : à nouveau, fin novembre, il était prévu de supprimer 500 postes à France Travail. Les conseillers jonglent déjà avec des « portefeuilles » de plus de 800 demandeurs d’emploi, l’inscription des 1,2 million d’allocataires du RSA ne fera qu’aggraver la charge de travail et l’incapacité à accompagner correctement les personnes inscrites. Un public nouveau, pour lequel les agents n’ont pour l’heure aucune réponse, et surtout aucun moyen pour répondre aux réelles difficultés : accès au logement, aux soins, à la mobilité. Ces « freins à l’emploi » ne sont pas une fatalité, ni la faute de ceux qui les subissent, c’est la responsabilité pleine et entière des gouvernements successifs qui détruisent méthodiquement les services publics, comme les crèches, les écoles et les hôpitaux… Et ce n’est pas la menace et le travail forcé qui changera quelque chose. Dans les départements où la réforme a été expérimentée, seuls 10 % des allocataires ont retrouvé au bout de six mois un emploi dit « durable » (c’est-à-dire de plus de six mois) en CDD ou CDI – et encore, il n’est pas précisé de combien d’heures sont ces contrats…
Le chômage, un marché juteux comme un autre
Sans le dire, la réforme vise à accélérer la privatisation rampante du secteur pour offrir ce juteux marché du chômage aux groupes privés sous-traitants de France Travail. C’était d’ailleurs l’objectif de la loi Plein Emploi, dont le rapporteur n’était autre Marc Ferracci, aujourd’hui ministre de l’Industrie, et qui se trouve être actionnaire d’un des principaux acteurs de ce secteur. Ingérables par les organismes publics dont le gouvernement organise consciencieusement le braquage, le suivi de ce million d’inscrits supplémentaires sera délégué aux sous-traitants, dont il viendra alimenter les caisses. À plus de 75 euros l’entretien, facturé à France Travail, cette sous-traitance a explosé en passant de 286 millions d’euros en 2018 à plus de 600 millions distribués aux groupes privés en 2023. C’est même 1,6 milliard d’euros entre 2019 et 2023 si on additionne les marchés de l’insertion, de l’accompagnement et de la dématérialisation selon une enquête de la CGT chômeurs.
Avec la réforme, les appels d’offres vont se multiplier, à l’instar du département du Val-de-Marne qui a pris de l’avance en organisant la sous-traitance dès janvier 2024 pour l’accompagnement des allocataires du RSA… peu importe si les agents de France Travail du 94 ont déjà fait remonter des défaillances concernant Nuevo, principal sous-traitant du département ayant fait 15 millions de chiffre d’affaires en 2023.
De l’inquiétude chez les agents et des grèves à France Travail
« Nous sommes prêts », martèle le directeur général de France Travail, Thibaut Guilluy, dans un entretien accordé aux Échos. Pourtant rien n’est prêt et chez les agents c’est l’inquiétude qui domine. L’inscription automatique des bénéficiaires du RSA a d’ailleurs immédiatement été reportée de 15 jours. Les agents du Calvados, à qui la ministre est venue « rendre hommage » ont été clairs : « Ce n’est pas d’hommage dont nous avons besoin, mais de préparation ! »
Au-delà, les agents refusent pour la plupart de remplir ce rôle de contrôleur : l’introduction de la nouvelle sanction « suspension-remobilisation » et l’objectif de tripler les contrôles d’ici 2027 vont accentuer la pression sur les chômeurs et les agents. D’autant que la surcharge de travail rend déjà tout accompagnement impossible : un exemple en Moselle, où l’application de la réforme nécessiterait de l’aveu même du département la création de 180 postes… qu’ils ne sont pas près de créer ! La métropole de Lyon elle-même, qui a expérimenté le dispositif, estime qu’il faudrait au moins 1000 euros de plus par allocataire.
À France Travail, plusieurs grèves ont eu lieu depuis novembre, sur les salaires, les effectifs et l’abrogation de la loi « Plein emploi ». En Île-de-France, la grève du 12 novembre a été fortement suivie (30 %) et a permis à une délégation d’être reçue à la direction générale. Au niveau national, même résultat le 5 décembre avec un taux de grévistes autour de 25 à 30 %. Pourtant, aucune perspective n’est proposée par l’intersyndicale, ce que l’absence d’assemblées générales n’a pas permis de dépasser, hormis dans quelques agences isolées qui ont débrayé le 11 décembre.
Reste que le manque criant de moyens laisse apparaitre la réforme pour ce qu’elle est : de la démagogie anti-pauvres pour accroître la pression sur les chômeurs, et à travers eux sur tous les travailleurs. Au final, le patronat est gagnant sur tous les tableaux. Alors qu’il est, lui, abreuvé de subventions, il licencie pour augmenter les marges, et fait même doublement son beurre sur le dos des chômeurs : les patrons du secteur font de plus en plus de fric dans « l’accompagnement », et les sanctions et la baisse des allocations renforce la pression pour accepter n’importe quel boulot. Face à ce braquage permanent des richesses que nous produisons, il n’y aura pas d’autre choix que d’opposer notre résistance collective contre ces parasites : interdiction des licenciements et répartition du travail entre tous.
Lucas Duval et Hélène Arnaud