Nos vies valent plus que leurs profits

Un simple accident, de Jafar Panahi

Le film, sorti en salle le 1er octobre, a obtenu la Palme d’or au dernier festival de Cannes. La postproduction s’est entièrement déroulée dans l’Hexagone et le film représentera la France aux Oscars 2026.

Un homme, sa femme enceinte et leur petite fille rentrent à Téhéran dans leur voiture qui tombe en panne. L’homme va demander de l’aide dans un atelier voisin. Vahid, qui se trouve dans l’atelier, reconnaît le bruit de la démarche claudicante de celui qui l’a torturé dans les prisons du régime, Eghbal, « La Guibole » parce qu’il porte une prothèse de jambe.

Après l’avoir suivi, Vahid enlève Eghbal dès le lendemain et s’apprête à l’enterrer vivant. Avant d’être pris d’un doute. Il va tenter de faire confirmer l’identité de son prisonnier par d’autres victimes de « La Guibole ». De tentative de reconnaissance en explosions de colère, de certitudes en doutes, les victimes du régime déroulent des bribes de leurs vies fracassées.

« Nous ne sommes pas comme eux », avait essayé de dire à Vahid le libraire vers qui il s’était tourné en premier pour lever ses doutes, Sahar. Sahar l’envoie vers Shiva, qui prend des photos pour le mariage de son amie Golrokh avec son fiancé Ali. Shiva et Golrokh ont été torturées par La Guibole. De fil en aiguille, le van se remplit, de personnages, mais surtout de colère, de haine vengeresse lourde, palpable.

Pourtant, « ils ne sont pas comme eux ». « Eux » torturent et tuent sans crainte : « S’il est coupable, il n’aura eu que ce qu’il mérite. Et, s’il est innocent, il ira au Paradis »… Vahid et ses compagnons veulent se venger, mais pas se tromper…

Tourné clandestinement à Téhéran, sans respecter le port du voile pour les femmes que le régime voudrait imposer, la quasi-totalité du film se passe dans et autour du van de Vahid dans lequel La Guibole est gardé prisonnier. Mais qu’importe la modicité des moyens, c’est son intensité qui fait d’Un simple accident un grand film.

Jafar Panahi est persuadé que le régime iranien est à bout de souffle. « Plus les dirigeants mettent la pression, plus cela signifie qu’ils approchent de la fin, et c’est notre souhait le plus cher. Les mollahs sont au pied du mur », explique-t-il dans une interview au Point. Et Jafar Panahi se projette, et nous projette, dans l’après : quand ce régime sera tombé, que faire avec tous ceux qui auront été ses soutiens ? Comment réagir face à ses tortionnaires ? Comment coexister avec ces centaines de milliers, ces millions de personnes qui ont, d’une manière ou d’une autre, contribué à maintenir la dictature des mollahs ?

Le pouvoir de se venger insuffle chez les victimes une peur vertigineuse. Les dictatures tracent des sillons sanglants dans les âmes et personne n’en sort indemne. Les victimes – serons-nous comme eux ? –, mais en fin de compte les bourreaux eux-mêmes, nous dit Jafar Panahi. « Je tiens à préciser que, à mes yeux, Un simple accident n’est pas un film politique. Oui, le sujet est politique, mais le film est avant tout social. […] Dans le cinéma social que je défends, j’aime l’idée qu’il n’existe pas de mal ou de bien absolu. Je parle d’un système, d’une société, d’une structure qui a fait que les individus empruntent un bon ou un mauvais chemin. » Le film de Jahar Panahi se passe dans un van, à Téhéran. Mais il pourrait se passer dans n’importe quelle dictature, ou même n’importe où.

Jean-Jacques Franquier