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Depardieu : un « monstre sacré »…ment dégueulasse

Les images de Gérard Depardieu lors d’un voyage en Corée du Nord divulguées par le reportage de Complément d’enquête, diffusé sur France 21 le 7 décembre, ont légitimement choqué. Le réalisateur Yann Moix – qui pense avoir tourné un chef-d’œuvre du cinéma, ce qui en dit long sur lui aussi ! – filme l’acteur alors qu’il fait preuve d’un sexisme complètement débridé et sexualise en permanence les femmes dont de très jeunes filles coréennes. Des images ne détonnant pas avec la longue carrière d’un homme qui a toujours semblé considérer les femmes comme des objets sexuels à consommer : Gérard Depardieu est aujourd’hui sous le coup de trois plaintes pour viol et agression sexuelle et mis en cause par treize femmes pour les violences subies lors de tournages. L’été dernier, une longue enquête du journal Le Monde retraçant la vie et le parcours de Depardieu2 a décortiqué les mécanismes en jeu derrière le comportement de l’acteur : le sexisme ambiant sur les plateaux de tournage ; les rapports hiérarchiques et de domination en jeu, Depardieu s’attaquant souvent à des jeunes femmes dans des positions de subordination (jeunes actrices dans des rôles secondaires, assistantes de réalisation, habilleuses…) ; la manière dont les actes de Depardieu, du fait de sa place centrale dans le cinéma français, ont été passés sous silence pendant des dizaines d’années. Les rares voix discordantes, comme celles de Sophie Marceau – dès 1985 ! –, n’ont pendant longtemps pas été prises en considération.

Macron y va de son couplet réactionnaire

En plein service après-vente de sa loi « Immigration » directement inspirée des idées du Rassemblement national, Macron a profité de son passage à la télé le 20 décembre pour faire un éloge de Depardieu, qui « rendrait fière la France », tout en reprenant à son compte la thèse pourtant démentie de la manipulation des images de Complément d’enquête. Bref, une nouvelle œillade en direction de l’extrême droite et de toute la frange réactionnaire qui relativise les violences sexistes et sexuelles et considère la libération de la parole des femmes comme problématique. La défense du « rayonnement artistique » de la France, symbolisé par Depardieu, semble aux yeux de Macron plus importante que le féminisme. L’égalité entre les femmes et les hommes, déclarée à maintes reprises « grande cause du quinquennat » s’efface ainsi bien vite devant les milliards d’euros générés par l’industrie du cinéma au plus grand bénéfice de ses actionnaires et de la poignée de stars qui les entourent.

Tribune de soutien à Depardieu : « l’Art » a bon dos !

Alors que la chape de plomb entourant Depardieu se fissure – la vague de #MeToo est heureusement passée par là ! –, le vieux monde du cinéma se rebiffe. La tribune en soutien à l’acteur, signée par cinquante « personnalités » de la culture, des proches de Depardieu pour la plupart, est symptomatique de toutes les argumentations qui tendent in fine à défendre le sexisme. Pas un mot pour les victimes, mais rien de plus normal si on suit la logique des signataires. Car la vraie victime serait… Depardieu qui subirait une « chasse à l’homme ». Pire, le critiquer serait carrément s’attaquer à « l’Art » (!). Pour résumer l’esprit de cette tribune, Jean-Marie Rouart, un des signataires, n’y va pas par quatre chemins : « Qu’importe le comportement de Gérard Depardieu, c’est un tel immense acteur, un tel génie. C’est l’esprit gaulois de la France ! » À lire ces mots, on ne s’étonne pas d’apprendre que l’initiateur de la tribune, le comédien Yannis Ezziadi, a frayé avec les sphères réactionnaires et identitaires proches de Zemmour : le soutien à Depardieu s’insère dans tout un discours idéologique qui regrette « la France d’avant »… comprendre celle où des hommes pouvaient agresser verbalement ou physiquement des femmes en toute impunité ? Ce sont d’ailleurs les médias du groupe Bolloré qui sont apparus en pointe dans la défense de Gérard Depardieu : le cas de l’acteur devient aujourd’hui le porte-étendard de toute une galaxie d’extrême droite s’opposant au mouvement #MeToo.

Un grand coup de balai est nécessaire

Une lettre ouverte initiée par le collectif #MeTooMedia puis une contre-tribune3 signée par 2500 artistes dont les chanteuses Angèle et Pomme, ont été publiées en réponse aux soutiens de Depardieu, Macron en tête. À raison, elles et ils critiquent notamment les discours appelant à taire toute critique des comportements sexistes en attendant que la justice « fasse son travail » : comme si nous n’avions pas toutes et tous un rôle à jouer dans le combat contre le sexisme en le dénonçant partout où il se trouve et en ne laissant pas s’installer une « culture de l’impunité ». Sans s’en remettre à une justice au demeurant bien défaillante : rappelons que moins de 10 % des femmes victimes d’agressions sexuelles portent plainte et que moins de 1 % des viols déclarés par des majeures ont fait l’objet d’une condamnation ! Et comme l’a répété cette semaine Sophie Marceau, Depardieu « ne s’en prenait pas aux grandes comédiennes, plutôt aux petites assistantes » : pour combattre le sexisme ainsi que les violences sexistes et sexuelles à la racine, c’est à l’ensemble des rapports de domination et d’exploitation qu’il faut s’attaquer.

Boris Leto

 

 

 

1  https://www.france.tv/france-2/complement-d-enquete/5454513-gerard-depardieu-la-chute-de-l-ogre.html

2  https://www.lemonde.fr/cinema/article/2023/07/17/gerard-depardieu-le-crepuscule-d-un-monstre-sacre-du-cinema-rattrape-par-ses-derives_6182257_3476.html

3  https://cerveauxnondisponibles.net/2023/12/29/contre-tribune-artistes/