Le 1er février, le ras-le-bol l’a emporté aux dépôts de bus de Villepinte et Tremblay dans le 93 : pas question de conduire ce matin, pas question de rouler sur les nouveaux horaires infernaux, dans des bus dont certains sont en fin de vie, pour une paye de plus en plus rachitique !
Le « grand reset » patronal sur nos conditions de travail
En Île-de-France, le feuilleton de l’ouverture à la concurrence des transports en commun continue. L’été dernier, un nouveau lot, élégamment baptisé « délégation de service public no 7 », a été remporté par Transdev, groupe international dont un des actionnaires principaux est la caisse des dépôts : il comprend 27 lignes de bus qui desservent le nord de la Seine-Saint-Denis dont les communes de Villepinte, Tremblay ou Aulnay-Sous-Bois.
Ce nouveau contrat regroupe donc dans une même entité créée pour l’occasion, Transdev Nord Seine-Saint-Denis, les salariés de plusieurs dépôts. Les deux principaux se font face à une rue d’écart : celui de Villepinte et ses 500 conducteurs environ, déjà Transdev mais anciennement TRA, et celui de Tremblay et ses 200 salariés de la CIF, filiale, elle, du groupe concurrent Keolis.
La nouvelle « entité » n’a donc pas grand-chose de nouveau : vieux bus, vieux dépôts, vieilles lignes, même groupe tentaculaire aux commandes. Mais le fait de rattacher les salariés à cette nouvelle entreprise (tout refus étant assimilé à un licenciement « pour cause réelle et sérieuse », merveille de la loi d’orientation des mobilités, la LOM, adoptée en décembre 2019) permet au patron de faire table rase de toutes les primes, usages et accords locaux qui avaient cours dans les établissements précédents. La région a accordé gracieusement à Transdev un délai de six mois sur ces lignes avant de lui infliger les pénalités liées au nouveau contrat : les perturbations à prévoir le temps de mettre en place des conditions nouvelles de surexploitation ne seront pas pénalisées avant le 1er juillet 2023.
Dialogue social ? Monologue patronal !
Dès que Transdev a remporté l’appel d’offres à l’été 2022, des négociations se sont engagées avec les deux syndicats représentatifs de la TRA, filiale pourtant destinée à disparaître. Les délégués FO et Unsa ont signé un accord salarial qui maintient provisoirement les grilles pour les salariés de la TRA, mais introduit des salaires bien plus bas avec une évolution plus lente pour les nouveaux embauchés. Les mêmes, ainsi que la CFTC, ont aussi validé en décembre les nouvelles feuilles de service ou roulements, appelées « radars » dans le jargon local. Les amplitudes horaires sont largement augmentées, les tours impossibles à tenir, les pauses aux terminus raccourcies et les coupures en milieu de journée rallongées et plus fréquentes. Ces nouveaux radars ont mis le feu aux poudres.
Ces « accords » ont beau avoir trouvé des signataires parmi les délégués, ils n’en sont pas moins inacceptables. Plus encore peut-être pour les conducteurs de la CIF, ex-Keolis, que Transdev n’a même pas fait mine d’intégrer dans ce jeu de dupes qu’est le dialogue social. Ce sont des délégués d’une autre entreprise, pour lesquels ils n’ont pas voté, qui ont validé ces radars qui les épuisent !
Ceux de Tremblay ont entamé l’action à l’aube du 1er février : pas un bus n’est sorti du dépôt. Les groupes WhatsApp ont chauffé et, sûrs de leur unanimité, ils ont immédiatement traversé la rue (comme dirait l’autre) pour faire débrayer ceux de Villepinte. Réussite sur toute la ligne (et toutes les lignes concernées) : belle union qui ridiculise les nombreuses tentatives de division menées par la direction entre ex-Transdev et ex-Keolis. L’union des salariés dans ce mouvement de colère spontané a été soutenue par les militants de deux syndicats non encore représentatifs : la CGT et la CFDT.
Unis dans l’action !
Aucun bus n’est sorti de toute la matinée du côté de Tremblay, côté Villepinte le droit de retrait a fait son effet jusque tard dans l’après-midi. La reprise du travail s’est faite après la promesse de la direction de revoir quelques radars à la fin du mois de mars (alors qu’ils devaient courir au moins jusqu’à la fin de l’année scolaire) mais aussi sous la menace : une lettre diffusée sur l’application mobile qui affiche les plannings invoque que le droit de retrait serait « illégitime » et que les conducteurs risqueraient des sanctions jusqu’au licenciement.
Illégitime de refuser de conduire des bus qui vibrent et tombent en panne ? De refuser de se confronter à des usagers excédés par un service tous les jours en mode dégradé ? Car la direction n’embauche pas en période de « pénurie », elle recourt aux intérimaires qui s’enfuient dès la première semaine à ce régime. Régime de travail qui épuise : les arrêts maladie se multiplient, ce qui renforce la spirale du sous-effectif.
Non, on ne crèvera pas pour Transdev ! Oui c’est un danger « grave et imminent » de travailler dans ces conditions !
Ajoutons que dans le transport de voyageurs, il est impossible de déposer un préavis de branche – combinaison de restrictions au droit de grève prises par la loi sur le « service minimum » de Sarkozy et par une convention de branche réactionnaire. En l’absence de délégués syndicaux – comme c’est le cas actuellement à Transdev Nord Seine-Saint-Denis puisque l’entité a été créée au 1er janvier et que les premières élections sont en mars – pas de droit de grève, du moins en respectant la légalité. Les anciens délégués étaient assez « légitimes » pour signer des accords pourris dans le dos des salariés, mais aucun d’entre eux n’a le droit de leur permettre de réagir par la grève ! C’est bien au rapport de force que ça se réglera.
Retraites, salaires, conditions de travail : la colère sourde du monde du travail commence s’exprimer sur le terrain collectif. Les actions des uns nourrissent et inspirent celles des autres. Les grèves, débrayages et droits de retrait se multiplient dans le privé : elles doivent converger aussi dans le mouvement général en cours.
2 février 2023, correspondants