
Ces trois derniers jours, de violents affrontements ont coûté la vie à plus de 350 personnes dans la province de Soueïda. Plus de six mois après l’effondrement du régime de Bachar al-Assad, le pouvoir central établi à Damas par les islamistes d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS) d’Ahmed al-Sharaa cherche à mettre au pas les milices druzes et à établir son contrôle total sur le Sud de la Syrie – ce que refuse Israël, qui a bombardé non seulement les milices du régime, mais le ministère de la défense et même le palais présidentiel syrien. Sous la pression des États-Unis, de la Turquie et des bombardements israéliens, al-Sharaa a donc retiré les troupes de son régime du sud de la Syrie et confié responsabilité de la « sécurité » à la chefferie traditionnelle druze.
Trois jours de violences « sectaires »
À l’origine des affrontements actuels, l’enlèvement d’un marchand druze, torturé le 13 juillet par des miliciens bédouins soutenus par des factions proches du régime d’Al-Sharaa. Les enlèvements et kidnappings – suivis de tortures, exécutions ou demandes de rançons – au sein des minorités ethniques ou religieuses (druze, alaouite ou kurde) sont fréquents aujourd’hui en Syrie : un véritable climat de terreur est instauré par le régime et alimenté par les prêches des mosquées extrémistes sunnites à l’égard des « ennemis » du régime. En mars dernier, plusieurs milliers d’alaouites ont été massacrées par les milices islamistes, mettant fin à la petite période d’ouverture ouverte par l’effondrement de la dictature de Bachar al-Assad.1 Mais le nouveau pouvoir installé à Damas, malgré ses ambitions, n’a toujours pas réussi à établir sa domination sans partage sur la Syrie : les milices kurdes du PYD (parti frère du Parti des travailleurs kurdes de Turquie) maintiennent leur domination sur le Nord-est syrien, tandis que la province de Soueïda, au Sud, est dirigée par les forces druzes – malgré des affrontements meurtriers en mai dernier.
L’enlèvement du 13 juillet était celui de trop. Rapidement, la nouvelle s’est propagée à travers toute la région et des affrontements ont éclaté entre Druzes et Bédouins, ces derniers étant rapidement soutenus par des milices du régime. Le lendemain, une partie de l’armée d’HTS s’est élancée de Damas pour « rétablir l’ordre » avec du matériel militaire lourd (artillerie, chars et hélicoptères), notamment les miliciens Ahrar ash-Sharqiyah, qui sont particulièrement connus pour avoir participé aux massacres des Alaouites en mars dernier, entraînant le déplacement de populations druzes vers la capitale régionale. Des négociations se sont engagées avec les chefs druzes : arrêt des combats, retour de l’autorité centrale et dissolution/incorporation des milices druzes au sein de l’appareil militaire d’HTS, en échange du droit à une certaine « autonomie ». L’armée d’HTS est ainsi rentrée sans combat à Soueïda, sans que la « paix » y soit pour autant revenue. Les milices islamistes se sont livrées à des pillages des zones occupées du Jabal Druze, des exécutions de miliciens et civils, avec leur lot d’humiliations publics.
L’armée israélienne, après avoir laissé les troupes d’al-Sharaa s’avancer dans le territoire druze, a finalement décidé de bombarder ces dernières, au nom de la « défense des Druzes » – en réalité pour empêcher le déploiement de matériel militaire « lourd » dans le sud syrien. Pour les milices d’al-Sharaa, c’est tout d’abord la débâcle : la retraite est désordonnée, les miliciens druzes reprennent le contrôle de Soueïda et mettent la main sur les équipements abandonnés sur place.
Les affrontements ont repris dans les territoires druzes occupés par les milices d’al-Sharaa, l’armée israélienne mettant en scène son soutien aux Druzes : c’est ainsi que des Druzes possédant la nationalité israélienne et vivant sur le territoire israélien ont été autorisés (incités en sous-main ?) à franchir la frontière pour aller « sauver leurs frères » syriens – alors que la majorité des forces druzes en Syrie refuse l’instrumentalisation dont ils sont victimes2.
Que souhaite Israël ?
L’intervention israélienne se déroule quelques jours seulement après une nouvelle rencontre à huis clos entre diplomates syriens et israéliens en Azerbaïdjan, le 13 juillet dernier3. Au centre des discussions, la question du Golan occupé par Israël depuis 1967, qui y a renforcé sa présence militaire à la chute d’al-Assad, jusqu’à occuper la position stratégique du Mont Hermont. Depuis l’arrivée au pouvoir d’al-Sharaa en décembre dernier, le gouvernement israélien cherche à fragiliser le nouveau régime : bombardements de la quasi-totalité des infrastructures militaires abandonnées par al-Assad, proclamation de soutien aux revendications autonomistes kurdes et druzes, etc.
Cette orientation israélienne s’est heurtée au changement de politique américain : en mai dernier, Trump a décidé de « donner sa chance » au nouveau régime, soutenu par les monarchies réactionnaires du Golfe et la Turquie d’Erdogan, mettant ainsi fin aux sanctions contre la Syrie et lavant le nouveau régime de tout soupçon de dictature islamiste4. Il s’agit pour les puissances impérialistes d’éviter que les affrontements entre milices ne nuisent à l’établissement d’un État centralisé capable de contenir d’éventuels soulèvements populaires, d’empêcher le retour de la Syrie dans le giron de l’Iran, et de normaliser les relations avec Israël5. Qu’importent les massacres commis ou le développement d’une dictature islamiste en Syrie, il faut aider le régime d’al-Sharaa.
Le gouvernement israélien a-t-il finalement estimé qu’il était plus simple ou préférable de renforcer directement sa présence en Syrie sous prétexte de défendre les Druzes ? Tient-il à signaler que c’est son armée qui, en fin de compte, met en œuvre les volontés des puissances impérialistes ?
Une chose est sûre, et la population druze ne s’y trompe pas, l’armée israélienne n’est pas là pour les sauver : son intervention ne fait qu’attiser les affrontements entre bandes militaires rivales, affrontements dont les populations sont les premières victimes. Quelles que soient les décisions prises par les différents brigands qui cherchent à se partager la Syrie, ce sont les masses populaires qui en subiront les conséquences, car aucune « paix » ne peut s’établir sous leur ordre impérialiste.
Stefan Ino
1 https://npa-revolutionnaires.org/syrie-le-pouvoir-islamiste-se-raidit/
2 https://www.haaretz.com/israel-news/2025-07-16/ty-article/.premium/following-syrian-druze-clashes-idf-blocks-protesters-try-to-enter-syria/
3 https://thecradle.co/articles/syria-azerbaijan-renew-ties-amid-secret-talks-with-israel
4 https://npa-revolutionnaires.org/trump-au-moyen-orient-le-vrp-du-grand-capital-americain-en-tournee/
5 Al-Sharaa n’est pas opposé à abandonner le plateau du Golan ou rejoindre les accords d’Abraham, même s’il ne le dira pas publiquement, par peur de perdre son soutien auprès des milices islamistes et de la population syrienne. Ainsi, l’ambassadeur des États-Unis en Turquie, Thomas Barrack explique : « Il ne faut pas que propres hommes imaginent qu’il est forcé à signer les accords d’Abraham. Il doit travailler lentement. » Un rapprochement trop important avec Israël n’est pas non plus au goût de la Turquie d’Erdogan, qui cherche à maintenir son influence en Syrie.