
Depuis le rachat de la franchise Star Wars par Disney pour 4 milliards de dollars à George Lucas, les moments où la saga Star Wars a impressionné sont rares. Rogue One avait néanmoins été un énorme succès, ce qui a donné l’idée à Lucasfilm de développer une série autour de l’un des personnages du film, Cassian Andor, interprété par Diego Luna.
Dans le film Rogue One, ce personnage surprend par sa froideur : dès la première scène, il assassine un indic qui risque de lui poser un problème s’il est attrapé par l’Empire. Membre du contre-espionnage de la Rébellion, le personnage apparaît curieusement sous un jour plutôt positif. Car malgré les meurtres de sang-froid qu’il est amené à commettre, Andor reste fidèle à lui-même, politiquement comme moralement. Les conséquences de ses actes sont présentées comme héroïques1. Andor fournit ainsi une justification, et même une esthétisation, des moyens violents contre un pouvoir oppressif.
La série maintient le même schéma de complexité, loin des rebelles bien gentils de trilogie originale, en quête de rétablir la paix et la sérénité de l’ancienne république et de l’ordre Jedi.
Le personnage de Cassian Andor est à la recherche de sa sœur dans les bas-fonds de la galaxie, jusque dans les bars éclairés par les enseignes lumineuses au néon où la prostitution a cours. Un ensemble de flashback révèlent son passé, avec l’arrivée de la République (avant qu’elle ne devienne l’Empire), son industrie et sa guerre, qui ont perturbé la vie de son peuple. Il va se retrouver engagé comme mercenaire dans une mission rebelle avec une petite équipe d’activistes déterminés à voler les coffres de l’Empire destinés aux soldes de l’armée impériale. La série est celle de la saga qui n’hésite pas à présenter « l’impérialisme » comme soutenu par l’exploitation de ce qu’il est convenu d’appeler une classe ouvrière, enfin montrée dans Star Wars comme un sujet de l’action. Certaines scènes se déroulent notamment dans une prison-usine, mettant en lumière la répétition des gestes dans le travail à la chaine, les notions de cadences à tenir, avec un petit chef (Andy Serkis) choisi au sein des travailleurs2.
La critique du système capitaliste et de l’impérialisme américain n’a jamais été entièrement étrangère à la saga Star Wars : les Ewoks contre l’Empire sont une image des combattants du Viêt Cong face à l’armée américaine, la Fédération du commerce, ou la « guilde des mines » symbolise les grands conglomérats capitalistes capables d’influencer les démocraties bourgeoises. La série Andor va un peu plus loin, en traitant plus profondément ces sujets : les ouvriers de la planète-minière Ferrix qui ramassent leurs gants pour aller dans ce qu’on pourrait imaginer être une fonderie ou une mine, une véritable classe ouvrière des services (« hyper-industrielle » pourrait-on dire) qui travaille en réseau, à la maintenance, réparation et démantèlement des vaisseaux spatiaux ; des rebelles ouvriers dépeints comme des activistes engagés prêts à mourir pour la cause.
Disney oblige, quelques ombres restent au tableau. D’abord, les perspectives politiques des rebelles sont souvent éclipsées et en fait subordonnée à la véritable direction politique de la résistance choisie parmi les parlementaires de haut-rang, voire les aristocrates (notre chère « Princesse Leïa »). Un rebelle écrit bien un « manifeste », mais le spectateur ne saura jamais trop quelles sont ses idées pour un monde post-impérial. Le personnage de Luthen, dessiné en fin stratège qui accepterait le massacre d’autres rebelles par l’Empire pour que sa taupe au Bureau de sécurité impériale (BSI) ne soit pas découverte, est finalement aussi totalement dénué de positionnement politique.
Il y a souvent dans ce genre de blockbuster une fin amère, avec les rebelles qui finissent par devenir pires que l’ordre qu’ils combattaient, manière d’avertir sur les dangers possibles d’une révolution, au final elle serait forcément pervertie3 et mise à égalité dans la violence avec celle qu’elle combat ? Cette pensée « contre-révolutionnaire » mène à conclure les œuvres sur un statu quo où le héros change le système de l’intérieur, dans les strictes limites de ce que les institutions – bourgeoises elles aussi – de la « Rébellion » autorisent, comme dans Black Panther, Arcane ou encore plus récemment Mickey 174. Il faudra attendre la fin de la saison 2, qui arrive le 22 avril, pour savoir si Andor continue dans sa voie transgressive ou si, encore une fois, le réformisme bon teint finira par l’emporter… Mais on connaît déjà sur quoi s’achèvera Rogue One !
David Sauter
1 Spoil Rogue One : son sacrifice ultime servira la cause de la rébellion
2 Là encore évitons le spoil, mais c’est bien l’Étoile noire (de l’épisode IV de Star Wars) que les ouvriers-prisonniers fabriquent
3 C’est un problème qui se rapproche du « syndrome magneto » développé par Bolchegeek