Toute la presse en parle, une contre-offensive de grande ampleur de l’armée ukrainienne serait en préparation pour une date indéterminée, d’ici à l’été peut-être, tandis qu’en Russie, Poutine et son régime martèlent sans relâche leur propagande mensongère et font assaut de répression pour imposer la continuation de la guerre et préparer une nouvelle offensive. Le fait que Zelensky se soit entretenu le 26 avril pour la première fois depuis le début de l’agression russe avec le dictateur chinois Xi Jinping qui, affirmant respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine, s’est proposé pour une médiation, ne traduit rien d’autre que la volonté de la Chine d’occuper sa place dans le monde. Poutine ne veut pas lâcher sa guerre, il sait qu’il risque d’y perdre son pouvoir, tandis que les États-Unis n’approuveront jamais un plan de paix émanant de la Chine, leur principale rivale, d’autant que celle-ci a refusé de condamner l’agression de la Russie. Lors d’une conférence de presse au Luxembourg, le secrétaire général de l’Otan, Stoltenberg, a d’ailleurs déclaré le lendemain de l’entretien : « Si nous voulons une solution pacifique et négociée qui permette à l’Ukraine de s’imposer en tant que nation souveraine et indépendante, le meilleur moyen d’y parvenir est d’apporter un soutien militaire à l’Ukraine, exactement comme le font les alliés de l’Otan. »
Autant dire que la guerre va se prolonger, les morts et les mutilations, les destructions, les souffrances sans fin pour les civils et soldats ukrainiens, pour les soldats russes et leurs familles, les privations. Un immense gâchis en vies humaines et en matériels, une absurdité érigée en devoir moral incontournable par les dirigeants des deux camps, non seulement Poutine, qui a déclenché les hostilités, et l’État ukrainien, mais aussi derrière lui, les États-Unis et leurs alliés, dont la France, qui font mener à la population ukrainienne une guerre par procuration contre la Russie au nom de la « légitime défense » de l’Ukraine et de la « défense des valeurs occidentales ».
Les États-Unis et leurs alliés, de la belligérance officieuse à la belligérance officielle ?
Le 21 avril dernier se sont retrouvés sur la base militaire américaine de Ramstein, en Allemagne, les représentants des 41 pays du groupe de contact organisé sous l’égide des États-Unis pour la défense ukrainienne. La réunion était présidée par le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, et le président des chefs d’état-major interarmées des USA, Mark Milley. Deux jours auparavant, l’armée ukrainienne avait reçu ses premiers systèmes de défense anti-aérienne Patriot et des chars français AMX-10RC.
« Tous ensemble, nous allons assurer que les Ukrainiens disposent de tout ce dont ils ont besoin pour vivre en liberté », a déclaré en ouvrant la réunion Lloyd Austin qui s’est félicité de ce que le groupe de contact avait fourni à l’État ukrainien plus de 55 milliards de dollars en équipements purement militaires. « En quelques mois seulement, a précisé le secrétaire général de l’Otan, Stoltenberg, le groupe de contact a livré plus de 230 chars, plus de 1550 véhicules blindés et d’autres équipements et munitions pour soutenir plus de neuf nouvelles brigades blindées. Les Ukrainiens disposent donc des capacités dont ils ont besoin pour reprendre davantage de territoires. »
La veille, le 20 avril, à Kiev, Stoltenberg invitait Zelensky au prochain sommet de l’Otan à Vilnius en juillet prochain en lui promettant que l’adhésion de l’Ukraine y serait discutée, précisant : « Permettez-moi d’être clair : la place légitime de l’Ukraine est au sein de la famille euro-atlantique. L’Ukraine a toute sa place au sein de l’Otan. Et au fil du temps, notre soutien vous aidera à rendre cela possible. » En langage non diplomatique, comme cela a déjà été affirmé à plusieurs reprises, il considère l’Ukraine comme membre de l’Otan et pourrait alors s’appliquer l’article 5 de ses statuts, l’assistance à tout État membre, y compris par l’intervention militaire directe. Nous n’en sommes pas encore là mais les USA et l’Otan se préparent et préparent l’opinion à une nouvelle étape de l’escalade militaire, pouvant conduire y compris à l’utilisation d’armes nucléaires.
Les plaintes de Zelensky concernant une insuffisance des livraisons d’armes, en particulier d’avions, sont largement répercutées dans la presse, mais l’armée ukrainienne dispose d’anciens avions soviétiques, les Mig 29 fournis par la Slovaquie et la Pologne et des livraisons d’avions de chasse américains sont d’ores et déjà prévues. Seulement, comme le dit lui-même le ministre de la Défense ukrainienne, Reznikov, il faut le temps de la formation des pilotes et des techniciens nécessaires à leur utilisation.
Les fuites du Pentagone n’ont fait que confirmer que l’armée ukrainienne est non seulement équipée de pied en cap et entraînée par les pays occidentaux, mais elle est également commandée par un état-major issu des services spéciaux du Pentagone, elle utilise les renseignements de ses satellites, etc. Aujourd’hui elle se prépare à une contre-offensive accompagnée d’une offensive politique et diplomatique de l’Otan proclamant considérer l’Ukraine comme un de ses membres. Formellement, ce n’est pas et ce ne sera probablement pas le cas lors du sommet de Vilnius mais ces déclarations signifient sans ambiguïté une possible entrée en guerre officielle des pays membres de l’Otan en vertu de l’article 5 de son traité. Une escalade guerrière aux conséquences effroyables ! Stoltenberg, sous la pression de Zelensky et de la logique de cet engrenage, s’est-il avancé plus loin que ne le souhaitent les États-Unis et leurs alliés ? C’est probable. Dans l’immédiat, la contre-offensive de l’Ukraine est préparée de façon intensive et elle marquera une nouvelle accentuation de la guerre, sa prolongation sans la moindre perspective de paix et la menace de la part des grandes puissances occidentales d’une intervention directe.
L’Europe dont la France aux avant-postes de la guerre
Lecornu, le ministre des Armées, auditionné par la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale le 15 mars dernier, a annoncé qu’une trentaine de canons Caesar, en plus des dix-huit déjà livrés, allaient être fournis à l’État ukrainien « entre novembre 23 et mars 24 ».
En avril, 14 chars AMX-10 RC avaient été livrés à la 37e brigade de l’infanterie de marine ukrainienne dont les hommes ont été spécialement formés à l’utilisation de ces blindés. « Nous l’avons essayé avec nos combattants et sommes convenus de l’appeler le ‘fusil de sniper rapide sur roues’ », a affirmé Reznikov, le ministre ukrainien de la Défense. De quoi contrevenir à l’idée que l’État français serait réticent à équiper l’armée ukrainienne. Macron n’émet de réserves que pour défendre les intérêts des industriels français à travers une mythique « défense européenne commune », il refuse que le fonds européen baptisé « facilité européenne pour la paix » – auquel la France participe – rembourse des achats d’armements autres qu’européens. À noter que ce fonds est hors budget de l’Union européenne, tout comme les achats d’équipements militaires livrés à l’Ukraine ne sont pas comptabilisés dans la loi de programmation militaire. Par ailleurs, l’État français est très largement engagé dans les opérations de « renforcement du flanc oriental de l’Otan », en Estonie, Lituanie et en Roumanie. Il est en première ligne, même s’il n’est pas le premier contributeur européen dans l’aide militaire à l’Ukraine.
Cette place revient à la Grande-Bretagne qui a déjà formé 22 000 soldats ukrainiens entre 2015 et 2022 avec l’objectif de les initier au maniement des équipements militaires qu’elle a déjà livrés, plusieurs centaines de missiles anti-char et de systèmes lance-roquettes, ou qu’elle s’est engagée à envoyer, 14 blindés Challenger 2 et une trentaine de canons AS-90, un autre tank.
L’Allemagne a basculé dans une politique militariste dès le 27 février 2022 avec l’annonce par le chancelier Scholz de sa volonté d’injecter 100 milliards d’euros dans le budget militaire. Elle a choisi d’obéir aux injonctions des États-Unis qui maintiennent toujours dans le pays 181 bases militaires, 35 000 soldats ainsi que 17 000 employés civils américains. Réticente au départ à la livraison de chars Leopard 2 dont elle a vendu 3600 exemplaires dans le monde, en particulier à l’Arabie saoudite qui les utilise au Yémen, elle promeut aujourd’hui la création en Ukraine même d’une usine de Rheinmetall, conglomérat allemand de l’armement, qui en produirait 400 par an. Le gouvernement allemand a en outre donné sa caution au mensonge officiel produit par l’administration américaine sur les attentats qui ont détruit les gazoducs Nord Stream 1 et 2, alors que le journaliste d’investigation Seymour Hersh les attribue à un groupe de mercenaires américains et norvégiens.
Mais jusqu’à présent, c’est la Pologne gouvernée par le parti d’extrême droite Droit et justice (PiS), allié au Parlement européen avec le parti de Meloni, Fratelli d’Italia, qui a eu les faveurs des États-Unis, recevant Biden à deux reprises, en mars 2022 puis en février 2023. Il faut dire que le gouvernement polonais a annoncé sa volonté d’augmenter les effectifs de son armée pour atteindre 300 000 hommes et de consacrer 4 % de son PIB à son budget militaire, bien au-delà des 2 % exigés par l’Otan depuis quelques années. Depuis le début de la guerre, elle a commandé 366 chars Abrams aux États-Unis, 32 avions F35 et 96 hélicoptères Apache. Elle devrait leur passer une nouvelle commande pour un montant de 10 milliards de lance-roquettes et de plusieurs matériels militaires. Un biais, peut-être, par lequel ces derniers pourraient fournir indirectement leurs armements à l’État ukrainien, élargir leurs armées de supplétifs et apparaître aux yeux de leur opinion publique moins engagés dans la guerre en Europe.
Préparer l’opinion à l’état permanent de guerre mondialisée
Les États-Unis, la première puissance capitaliste, sont engagés dans une lutte pour la sauvegarde de leur leadership mondial avec la Chine, en qui ils voient une dangereuse rivale. Il y a cinq ans, Trump déclenchait une guerre commerciale en augmentant considérablement les droits de douane de certaines exportations chinoises, entraînant une réponse comparable de la Chine. Mais aujourd’hui, il s’agit de la désigner comme un danger pour la sécurité des USA, une dictature qui combat les « valeurs occidentales », un conflit qui serait idéologique et non économique.
C’est ainsi que Janet Yellen, la secrétaire au Trésor des États-Unis, ancienne présidente de la banque centrale américaine, la Fed, a formulé la ligne officielle de la politique des américaine lors d’un discours prononcé le 20 avril : « Même si nos actions ciblées peuvent avoir un impact économique, elles sont uniquement motivées par nos préoccupations concernant notre sécurité et nos valeurs. Notre objectif n’est pas d’utiliser ces outils pour obtenir un avantage économique concurrentiel. » Il ne s’agirait en aucun cas de « découpler » l’économie chinoise de l’économie américaine, de les isoler l’une de l’autre, ce qui, soit dit en passant, est strictement impossible sans entraîner une catastrophe économique pour les deux pays et le monde entier.
Le chroniqueur Stephen S. Roach commente dans le journal Les Échos du 27 avril : « Le point de vue de Mme Yellen est tout à fait conforme au sentiment anti chinois qui s’est emparé des États-Unis. Le “nouveau consensus de Washington”, comme l’appelle le chroniqueur du Financial Times, Edward Luce, soutient que l’engagement a été le péché originel des relations entre les États-Unis et la Chine, parce qu’il a permis à la Chine de tirer parti de la naïveté américaine qui accordait une grande importance aux accords. L’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001 occupe la première place à cet égard : les États-Unis ont ouvert leurs marchés, mais la Chine n’aurait pas tenu sa promesse de ressembler davantage à l’Amérique. L’engagement, selon cet argument alambiqué mais largement accepté, a ouvert la porte à des risques de sécurité et à des violations des droits de l’homme. Les responsables US sont aujourd’hui déterminés à fermer cette porte. »
À partir des années 80, les multinationales et les États, dont l’État américain, ont fait tomber toutes les barrières qui constituaient une entrave à leurs capitaux et ont organisé les chaînes de production à l’échelle mondiale en fonction des coûts les plus bas, de la main-d’œuvre la plus exploitée. La Chine est devenue d’abord « l’atelier du monde » puis une puissance émergente et enfin la deuxième puissance économique mondiale.
Alors que la crise de rentabilité des capitaux amène une exacerbation de la concurrence mondiale, la lutte pour l’accaparement des richesses conduit à des tensions guerrières, une militarisation du monde, à la guerre. C’est le même problème qui est fondamentalement à l’origine de la guerre de la Russie contre l’Ukraine et de la contre-offensive des puissances occidentales contre la Russie, une question de zones d’influence, de richesses à accaparer, de pouvoirs à laquelle les peuples sont sacrifiés.
Pour la paix, la lutte internationaliste contre notre propre impérialisme, pour le socialisme
2240 milliards de dollars ont été dépensés dans le secteur militaire en 2022 dans le monde, révèle le dernier rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), publié lundi 24 avril. Une hausse record de 3,7 % par rapport à l’année dernière. C’est en Europe que l’augmentation a été la plus forte : les dépenses y ont bondi de 13 %.
L’Ukraine consomme 5000 obus par jour. Bien plus que ce que peuvent produire les usines françaises, allemandes ou espagnoles. Dans l’usine Nexter qui fabrique près de Bourges des obus de 155 mm pour les canons Caesar, la production actuelle est de 50 000 obus par an et devrait doubler d’ici à deux ans. Il y a la même pression sur tous les équipements militaires nécessaires, comme le disent les généraux, pour faire face aux besoins d’une guerre de haute intensité. Voilà pourquoi Macron a lancé « l’économie de guerre ». On n’a pas de quoi embaucher dans les hôpitaux et l’éducation, ou augmenter les salaires, mais on va produire des canons, des avions de chasse et des munitions, à flux tendus, en 3 × 8, en travaillant plus sans être payé plus.
Et il se trouve même au sein du mouvement révolutionnaire l’idée étonnante que la guerre ne serait pour les USA et leurs alliés qu’un prétexte à la militarisation !
L’agression de Poutine contre l’Ukraine n’est pas un prétexte pour les USA et l’Otan mais le résultat d’un enchaînement géostratégique et militaire inscrit dans les évolutions des rapports de force à travers le monde et de la concurrence, des luttes d’influence entre grandes puissances dont les USA et leurs alliés sont un des facteurs de guerre déterminant.
Le combat contre la guerre est indissociable du combat social, contre l’injustice et l’exploitation et on ne peut le mener avec succès qu’en attaquant le mal à la racine, le mode de production capitaliste, basé sur la propriété privée des moyens de produire les richesses.
Après avoir approuvé la politique des puissances occidentales, dont celle de l’État français, au motif que la guerre en Ukraine serait une guerre de légitime défense d’un peuple, le PCF et LFI disent vouloir une paix négociée grâce à l’intervention d’institutions internationales comme l’ONU. Ils se réclament de la « souveraineté nationale » française et du nationalisme, respectueux des institutions de la bourgeoisie. C’est une impasse tragique. Le seul moyen d’arrêter cette guerre, c’est que les travailleurs, la jeunesse, les peuples refusent d’être la chair à canon des ambitions des capitalistes, oligarques ou multinationales qui sont assoiffés de richesses et de pouvoir sans lesquels ils ne peuvent survivre en tant que classes dominantes.
Notre solidarité avec les peuples d’Ukraine et de Russie, c’est notre indépendance par rapport aux storytelling et aux mensonges des brigands des deux camps, c’est notre affranchissement de l’idéologie des classes dominantes, c’est notre fidélité aux idées internationalistes comme notre soutien politique aux militants et militantes qui les défendent à travers le monde.
Galia Trépère